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mercredi 29 mai 2013

L’ETAT CHILIEN DEVANT LA JUSTICE POUR VIOLATIONS DES DROITS DES MAPUCHE

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GRAFFITI MAPUCHE. PHOTO DIEGO CUPOLO CHEZ FLICKR.
Depuis une vingtaine d’années, ils se sont organisés et ont lancé des actions d’occupation de terres, réprimées par les autorités qui ont utilisé la loi antiterroriste, ce qui implique des peines bien plus lourdes. Une loi qui date de l’ère de la dictature de Pinochet.

C’est ce que dénoncent les Mapuches, comme l’explique Jimena Reyes de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), qui va les représenter devant la Cour interaméricaine : « Depuis 2001 où l’Etat utilise les lois antiterroristes pour poursuivre et condamner des indigènes mapuches, pour la plupart des dirigeants qui promeuvent la récupération de leurs terres ancestrales, personne n’a reconnu l’existence d’une utilisation indue de cette législation et d’une discrimination à leur encontre. Car ces indigènes ne sont pas des terroristes. Donc le fait d’aller devant des instances interaméricaines, c’est la possibilité d’avoir une reconnaissance des violations des droits de l’homme qu’ils ont subies. »

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DRAPEAU MAPUCHE. PHOTO FEUC

La Cour interaméricaine a retenu les cas de sept dirigeants mapuches

Sept dirigeants mapuches et une militante, condamnés en 2002 en vertu de la loi antiterroriste (de 1984), ont porté plainte pour discrimination, utilisation abusive de la loi antiterroriste, et irrégularités lors des procès, notamment l’utilisation par l’accusation de témoins protégés, dont n'ont été révélés ni le nom ni le visage.

« Ces lois antiterroristes datent de Pinochet, avec des définitions bien trop larges, car elles étaient justement faites pour cibler des militants, souligne Jimena Reyes. Cette loi doit donc absolument être révisée. »

Parmi les cas retenus figure celui de Victor Ancalaf. Il avait pris part à des actions pour protester contre des barrages dans la région du Bio Bio. Il avait été condamné à cinq ans de prison. « Dans les années 1997-98, j’ai fortement soutenu ce qu'il s’est passé dans le haut Bio Bio , avec le barrage hydroélectrique Ralco, où 15 000 hectares de terres ont été usurpés, et une douzaine de nos sites sacrés ont été inondés, relate M. Ancalaf. J’ai été arrêté, et incarcéré en 2002, accusé d’avoir incendié des camions, et condamné en vertu de la loi "pinochettiste" antiterroriste 18 / 314. Moi, j’ai été condamné non pas comme auteur matériel, mais pour participation présumée à ces faits. »

Certains dirigeants mapuche ont écopé de peines allant de cinq à dix ans de prison. Un procureur avait même réclamé dans un cas jusqu’à 100 années d’emprisonnement. Selon Nancy Yañez, codirectrice de l’Observatoire citoyen au Chili -qui suit ces cas de près-, ceci montre « la discrimination envers le peuple mapuche, surtout lorsqu’on compare cela aux peines infligées à ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité dans notre pays, qui ne dépassent pas les vingt ans de réclusion, ce qui signifie une disproportion dans l’application de la justice. »


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GRAFFITI  QUI DÉNONCE LA RÉPRESSION CONTRE LES MAPUCHE.  « PROMENONS NOUS DANS LES BOIS / PENDANT QUE LE LOUP N'Y EST PAS / LOUP Y ES-TU ? »
La loi antiterroriste toujours en vigueur, les jeunes Mapuches se radicalisent

La répression a eu pour effet de radicaliser la jeune génération mapuche. Un groupe a mis le feu à une maison en janvier dernier, causant la mort d’un couple d’agriculteurs âgés dont les terres étaient réclamées par la communauté, ce qui a provoqué une onde de choc au Chili. Mais selon Nancy Yanez, la loi antiterroriste est inappropriée : « Si des actes de violence sont commis, il faut bien sûr que la responsabilité pénale soit établie, mais selon les lois qui s’appliquent à tous les citoyens chiliens, et non pas de façon discriminatoire contre le peuple mapuche pour réprimer leurs revendications politiques. »

Plusieurs Mapuches incarcérés avaient observé une longue grève de la faim en 2010. L’Etat chilien avait alors promis de réviser la loi antiterroriste. Mais jusqu’à présent, rien n’a changé, explique Jimena Reyes de la FIDH : « L’Etat avait promis de réformer la loi, il y a eu des discussions, des projets de révision ont été présentés au Sénat, mais ils ne sont pas passés. Puis l’Etat a changé son fusil d’épaule et a recommencé à appliquer ces lois antiterroristes. Cette politique répressive a contribué à radicaliser les choses. La jeune génération est dépitée, haineuse et plus violente. L’Etat n’a pas su accompagner ce mouvement. Au contraire, il a causé de très grandes frustrations. »

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LES GRAFFEURS CHILIENS SONT DE PLUS EN PLUS RECONNUS DANS DES CONTEXTES OFFICIELLES. LE GOUVERNEMENT LOCAL SAUVEGARDE LES BEAUX GRAFFITIS, TELS CE D'ALAPINTA DU SUD DU CHILI AU CŒUR DE TEMUCO. ALAPINTA FORMÉ À TEMUCO PAR DES ÉTUDIANTS. PHOTO 
Les Mapuches attendent des réparations « en terres »

Avec ce procès qui s’ouvre à la Cour interaméricaine des droits de l’homme au Costa Rica, les Mapuches attendent des réparations de l’Etat chilien. « Ils veulent une reconnaissance des violations à leur encontre, et de leur gravité, ce qui conduirait à une véritable réforme de la loi antiterroriste, explique Jimena Reyes. Les victimes sont des dirigeants spirituels de leur communauté, qui revendiquent leur droit à leurs terres ancestrales. C’est pour cette raison qu’elles demandent à être réparées "en terres". »

La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme pourrait être suivie pour d’autres situations sur le continent américain. « La jurisprudence de la Cour interaméricaine est très ouverte aux particularités indigènes et on espère qu’elle comprendra que pour les Mapuches, c’est la terre qui compte. »

Du côté de la défense des Mapuches devant la Cour, Jimena Reyes dit aussi demander que « les procureurs et les juges qui ont contribué à cette grave discrimination soient sanctionnés. Car aujourd’hui encore, cette loi antiterroriste est utilisée à l’encontre de Mapuches par les mêmes acteurs qui agissent avec beaucoup d’idées préconçues. »

La Commission interaméricaine des droits de l’homme avait transmis ces cas à la Cour le 7 août 2011, car elle a « considéré que l’Etat chilien n’avait pas suivi les recommandations contenues dans le rapport qui lui avait été transmis », peut-on lire sur le communiqué de la CIDH.

Au cours de ces deux jours d’audience (29 et 30 mai 2013), les juges vont entendre les témoins cités à comparaître et les deux parties. Un verdict pourrait être attendu dans six mois.