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dimanche 3 mai 2015

PÉROU. LE PISCO DE LA DISCORDE

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PHOTO GUSTAVO RODRIGUEZ
Le pisco est une eau-de-vie de raisin qui, au Pérou, a toujours eu mauvaise réputation. Jusqu’à récemment, les connaisseurs considéraient que cet alcool de basse extraction ne méritait qu’une chose : être dilué dans le jus de citron, puis additionné de blanc d’œuf et, selon les goûts, d’une pincée de cannelle. C’est la recette du pisco sour. Un cocktail à consommer, certes, avec modération mais qui ne prêtait pas à discussion.



D’autant que personne n’avait jamais contesté la “péruanité” de la fameuse liqueur. À Lima, on explique comme une évidence que pisco dérive du mot quechua pishku, “dindon”. Un mot qui d’ailleurs a eu une nombreuse descendance côté péruvien, puisqu’il a servi à forger le nom d’un fleuve, celui d’un port et même celui d’une poterie traditionnelle. Le problème, c’est que les Chiliens ont eux aussi commencé à en revendiquer la paternité. Après tout, on engloutit au Chili 18 fois plus de pisco qu’au Pérou. Et puis, les Chiliens ont aussi leur cocktail : la piscola, un mélange rafraîchissant de pisco et de cola. Enfin, à Santiago, on assure qu’à l’origine le breuvage était une eau-de-vie chilienne – puisqu’elle était fabriquée à Coquimbo. Leurs voisins du Nord ne faisaient que l’importer par mer, via le port de Pisco. D’où son nom.

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La réplique péruvienne ne s’est pas fait attendre. En 1988, le gouvernement d’Alán García proclame le pisco “patrimoine culturel de la nation” et interdit l’importation de “l’imitation chilienne”. Le Chili réplique en bannissant immédiatement les bouteilles péruviennes. Puis la guéguerre du pisco connaît une trêve de quatre ans. Mais elle reprend de plus belle en 2002. Cette année-là, le gouvernement Fujimori décide de déposer un brevet afin de régler définitivement la question. La fureur chilienne est d’autant plus grande que, pour illustrer les prétentions péruviennes, une revue de Lima, Caretas, fait réaliser une affiche où la forme de l’Amérique latine épouse celle d’une superbe grappe de raisin. A la place du Chili, l’illustrateur péruvien a pris soin de représenter des grains pourris. L’affiche est aussitôt brûlée en public à Santiago, où des manifestations houleuses sont organisées sur la place d’Armes. Le gouvernement va même jusqu’à demander des explications à l’ambassadeur du Pérou. Va suivre une véritable guerre des nerfs et des slogans. La radio la
plus écoutée du Pérou décrète un “jour du pisco sour”. Le Chili réplique évidemment par “un jour de la piscola”, puis crée un site Internet avec forum de discussion. Du coup, de l’autre côté de la frontière, on distribue jusqu’à plus soif des milliers de tee-shirts pour soutenir la cause. Depuis, la guerre du pisco fait rage. Et, comme toujours, les seuls à avoir gagné quelque chose à ces rodomontades sont les commerçants. La chaîne de supermarchés péruviens Wong n’a-t-elle pas avoué que ses ventes de pisco avaient tout simplement doublé depuis 2002?