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mardi 23 juin 2015

« LE RETOUR DE FABIOLA » : RENTRÉE AMÈRE POUR LA FILLE PRODIGUE

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UNE SCÈNE DU FILM « LE RETOUR DE FABIOLA ».

Il ne faudra sans doute pas longtemps au spectateur installé devant Le Retour de Fabiola pour se demander s’il ne manque pas un point d’interrogation au titre du film de Jairo Boisier, ou s’il ne faut pas le comprendre dans un sens ironique. Existe-t-il vraiment une possibilité de retour pour cette jeune femme de trente ans qui revient dans son village natal habiter chez son père, après une carrière dans le cinéma X à Santiago du Chili ? C’est tout ce que l’on sait de son passé, et tout ce que l’on saura. Le film démarre lorsque Fabiola descend du bus avec sa famille, et Jairo Boisier établit très vite un petit jeu visant à contourner les tentations voyeuses que l’on pourrait avoir : il montre quelques DVD des films de Fabiola, mais sur lesquels n’apparaissent qu’un titre et une photo de son visage très maquillé, ou coupe la seule scène où Fabiola consent à raconter « comment c’était » à une ancienne amie, à l’instant où elle va commencer son récit.
Ce que l’amie voulait savoir, c’est ce que nous, spectateurs, ne saurons pas : pourquoi Fabiola s’est tournée vers le cinéma X, les performances auxquelles elle s’y livrait, le succès de sa carrière – que l’on imagine cependant modeste, au jugé de la maigre valise qu’elle rapporte au village et de ses efforts pour trouver rapidement un travail. En rejetant en même temps qu’elle toutes les possibilités d’évoquer l’avant, Jairo Boisier nous contraint à la considérer presque comme les autres, et à nous demander dans quelle mesure ce « presque » suffit à faire une différence, et plus encore un mur qui la maintient en marge du monde.

Bourrue, taiseuse, maladroite

Il ne devrait assurément pas y suffire, et Fabiola ne cesse pourtant de se heurter aux murs. Elle s’y heurte au sens figuré, à chaque refus d’un employeur potentiel, à chaque réaction farouche d’anciens proches, ou même de sa sœur, de son père. Au sens propre, elle se heurte aux cadres presque toujours fixes de Jairo Boisier, qui ne la filme qu’en plans-séquences, et comme prisonnière de petitesses multiples et presque toujours inconfortables – la maison, le village, le regard des villageois.

Les choix esthétiques aussi radicaux tiennent souvent mal la durée, sentent rapidement l’artifice : c’est tout le contraire ici. Les cadres fixes, les plans-séquences disent toute la rigidité d’un monde dans lequel Fabiola ne parvient pas à se réintégrer, mais dont elle semble ne plus pouvoir sortir, dès lors qu’elle y est rentrée. Le procédé fait d’autant mieux sens que rien, chez Fabiola, ne semble petit ou mesquin. Elle est un peu bourrue, taiseuse, maladroite, mais l’interprétation très fine qu’en donne l’excellente Paola Lattus laisse sans cesse deviner un cœur immense, qui n’aimerait rien tant que les grands mots d’amour, les rires, les embrassades, et ne trouve qu’une exigence tacite de discrétion, comme pour la faire payer d’avoir tant fait parler d’elle.

La tragédie de son retour douteux tient à ce qu’à l’exception, peut-être, de son premier employeur, Moises, ceux qui l’entourent sont tous dotés d’un cœur assez grand pour répondre au sien. L’habitude les retient, la timidité, ou les racontars : des raisons bêtes, d’autant plus bêtes que tous ces gens s’aiment bien et qu’il n’y a rien de plus que l’ombre d’un passé entre eux. Plus les personnages hésitent, plus le film s’entête souvent contre eux à les garder unis : le cadre alors, lorsqu’il est cadre familial, se met à suggérer le rapprochement des cœurs. Mais il faudrait encore que, comme le cinéma, les cœurs sachent reléguer un passé ombrageux dans l’oubli du hors-champ.


Film chilien de Jairo Boisier. Avec Paola Lattus, Catalina Saavedra, José Soza, Daniel Antivilo et Hernando Lattus (1 h 24).