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mardi 17 novembre 2015

AU CHILI, LA VIE DE MOINE DES CHASSEURS D’ÉTOILES

« L’Observatoire est un peu comparable à un bateau ou à une plate-forme pétrolière en pleine mer, explique l’astronome de l’ESO, Julien Girard, car il n’y a rien à faire autour. » Il est déconseillé de s’éloigner à pied, car il est facile de se perdre, aucun point de repère n’existant. Et la ville la plus proche est à plus de 100 km de distance. « Si on ne fait ni fromage, ni bière, ni Chartreuse, on produit des données scientifiques, reprend Julien, dans un sourire. Notre vie ici est finalement très monacale. »

Un travail sans relâche

Dès le coucher du soleil, les astronomes manœuvrent les télescopes depuis la salle de contrôle pour réaliser les observations que les scientifiques du monde entier, européens en priorité, ont demandé. Chaque minute d’obscurité compte pour faire avancer la science. Du coup, l’observatoire ne s’arrête jamais. «Les seules raisons qui nous obligent à fermer, explique Maxime Boccas, le chef des ingénieurs de Paranal chargés de veiller au bon fonctionnement des télescopes, sont d’ordre climatique – pluie, vent tournant excessif… – ou, rarement, à cause de pannes. » Autrement dit, les astronomes travaillent, sans relâche, toutes les nuits de l’année, entre dix et vingt heures d’affilée, suivant la saison… Pour soutenir le moral des troupes, une table est constamment recouverte de café, thé, chocolat, biscuits et fruits secs, dans la salle de contrôle.

« L’ambiance est studieuse », reconnaît Julien. «Notre vie sociale est très réduite, car nous sommes assez peu nombreux à travailler de nuit – il y a entre un et quatre scientifiques par télescope – et chacun va se coucher à une heure différente. Le jour, on dort, chacun se réveille et déjeune à une heure différente. Aujourd’hui, j’ai fait du sport tout seul, par exemple. » Une vie de moine que Julien Girard supporte parce qu’il est passionné par son travail. Mais aussi parce qu’il n’y est pas tout le temps.

Les astronomes se relaient, passant entre un quart et un tiers de leur année sur la montagne. Le reste du temps, ils vivent généralement à Santiago. « Je ne ferais pas ça toute ma vie », sourit Evelyn Johnston, qui, à 27 ans, vient d’arriver d’Angleterre à l’ESO. «Tu dois constamment te recaler entre jour et nuit, explique-t-elle. C’est difficile, aussi, de ne jamais rester plus de trois ou quatre semaines de suite dans un même lieu, et tu dois tout prévoir 7 mois à l’avance, car tes séjours à Paranal sont fixés très longtemps à l’avance. »

« Ce qu'on fait ici est exceptionnel »

La vie y est quand même adoucie par un hôtel aux airs d’oasis, situé au pied du mont où sont construits les télescopes. Dans la « Residencia », la rampe d’accès longe un jardin exotique qui se termine par une piscine, donnant un peu d’humidité à une atmosphère qui en est dépourvue. Salle de cinéma, baby-foot, ping-pong, billard, salle de musique avec tous les instruments à disposition, permettent aussi de se divertir. Et une grande salle de sport face à l’hôtel également.

Même si ceux qui en profitent surtout sont les travailleurs de jour de l’ESO, les ingénieurs. « C’est une autre ambiance », souligne l’un d’entre eux, José Luis Alvarez. « On est beaucoup plus nombreux, et comme on a à peu près les mêmes horaires, on peut se caler une partie de volley ou de foot, on peut déjeuner ensemble. » Même si pour eux, la présence sur la montagne est aussi plus intense : ils y passent une semaine sur deux. « La compensation ? réfléchit José Luis, un quart de seconde, ce qu’on fait ici est exceptionnel, on ne pourrait le faire nulle part ailleurs! »