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samedi 14 janvier 2017

ZHOU YOUGUANG, LINGUISTE CHINOIS, EST MORT À 111 ANS


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LE LINGUISTE CHINOIS,ZHOU YOUGUANG 

PHOTO SHIHO FUKADA
Il est le père du « pinyin », le système de transcription alphabétique du chinois. Zhou Youguang est décédé le 14 janvier à Pékin.
Par François Bougon

ZHOU YOUGUANG, EN 2011 

PHOTO SHIHO FUKADA
Zhou Youguang, le père du pinyin – le système officiel de transcription alphabétique du chinois depuis 1979 – est mort samedi 14 janvier à Pékin, au lendemain de son 111ème anniversaire. Selon l’usage chinois qui veut que le nouveau-né ait déjà un an, il avait 112 ans. Cette longévité lui aura permis de traverser, au XXe siècle, tous les bouleversements politiques de l’empire du Milieu : à sa naissance, le 13 janvier 1906, régnait Guangxu, l’avant-dernier empereur de la dynastie Qing ; à sa mort, un siècle de tumultes, de guerres et de révolutions plus tard – les «changements de mandats» en chinois –, l’«empereur» est d’un nouveau type : c’est le communiste Xi Jinping.

Zhou Yaopin de son vrai nom – Zhou Youguang étant son nom de plume – est né dans une famille aisée de la province du Jiangsu, proche de Shanghaï. Après des études en économie et un séjour au Japon, il est recruté par une banque chinoise, qui lui permettra de travailler à New York et à Londres. Il revient dans son pays après la victoire des communistes, en 1949, désireux de participer à la reconstruction de son pays.

C’est à la suite de la parution d’un livre intitulé Le Sujet de l’alphabet, qui attire l’attention de Mao Zedong en personne, qu’il est contacté par le pouvoir pour une tâche importante : réfléchir à un système de transcription du chinois en alphabet latin. Certes, des méthodes existaient, comme le Wade-Giles (deux diplomates et sinologues britanniques), mais, étrangères, elles n’étaient pas adaptées aux Chinois. Dès le début du XXe siècle, des intellectuels chinois avaient d’ailleurs plaidé pour la disparition des idéogrammes, considérés comme un obstacle à la modernisation du pays, d’où l’idée d’une transcription.


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 ZHOU YOUGUANG EN 1947 À NEW YORK

Mao Tsé-toung devient Mao Zedong

À leur arrivée au pouvoir, les communistes reprennent l’idée. Une conférence nationale est organisée. Trois objectifs sont définis : populariser le mandarin comme langue nationale, simplifier les idéogrammes et définir un nouvel alphabet pour les transcrire. Ce dernier sera donc le pinyin, qui en chinois signifie «épeler le son». Zhou Youguang, pour qui la linguistique n’était jusqu’à présent qu’un hobby, prend la tête de la commission spéciale chargée de travailler sur ce dossier. Il abandonne son poste de professeur d’économie à Shanghaï. Il a bientôt 50 ans et passe des chiffres aux lettres.

Après trois ans de travail, le pinyin, beaucoup plus proche de la prononciation du mandarin, est inventé. Il est adopté pour l’apprentissage dans les écoles primaires du pays et deviendra la norme officielle en 1979. Il est aussi prévu pour permettre aux étrangers de mieux apprendre la langue chinoise, d’où l’emploi de l’alphabet latin. « Certains ont opposé une grande résistance à ce sujet, mais j’ai insisté. C’est sûrement dû au fait que j’avais vécu à l’étranger, mais j’ai toujours envisagé le pinyin comme devant être utile également aux étrangers. Je le vois toujours comme un pont entre la Chine et le reste du monde, un pont entre les cultures », expliquait Zhou en 2009 au China Daily. Avec ce système, Mao Tsé-toung devient Mao Zedong, Pei-ching Beijing (Pékin en français, selon un autre système, celui de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO) établi au début du XXe siècle).

Pendant la Révolution culturelle, comme son beau-frère Shen Congwen, l’un des plus grands écrivains chinois modernes, il est envoyé à la campagne pour être « rééduqué auprès des masses ». Après la chute de la Bande des Quatre et la fin de la période tumultueuse du maoïsme, il reprend une vie normale comme linguiste. En 1985, il traduit l’Encyclopædia Britannica.

Ce n’est qu’à 85 ans qu’il prendra sa retraite. Jusqu’à sa mort, cet homme à l’esprit vif ne cesse de travailler, d’écrire et de publier. Dans les dernières années, il s’était consacré à l’étude de Confucius, dont la pensée n’a cessé d’influencer la Chine et qui est désormais réhabilité par le Parti communiste chinois. « Il n’a jamais été aussi pertinent, il était contre la violence, le capitalisme, le communisme et la persécution religieuse », expliquait Zhou au China Daily. La presse officielle a d’ailleurs rendu hommage au « père du pinyin » tout en passant sous silence ses critiques acerbes du régime – « Les gens ne croient plus au Parti communiste », jugeait-il, en 2011, dans un entretien accordé à la radio publique américaine NPR. Il espérait pouvoir vivre assez longtemps pour voir la réhabilitation du mouvement pro-démocratique de Tiananmen, réprimé dans le sang en 1989. Le destin en a décidé autrement.