Catégorie

vendredi 14 avril 2017

AU CHILI, LE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL MENACE LA FAUNE ET LA NATURE


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PHOTO REPORTERRE


Le Chili appuie quasi exclusivement son développement économique sur l’exploitation minière et l’élevage intensif de poissons. Or, ces activités pèsent lourdement sur les écosystèmes, notamment marins.


PUNTA DE CHOROS
PHOTO GOOGLE MAPS
Le village de pêcheurs de Punta de Choros, dans le nord du Chili, est un petit coin de paradis de la côte pacifique face à l’archipel qui abrite la Réserve nationale des manchots de Humboldt. La région vit essentiellement de la pêche et du tourisme. On y vient pour observer les très nombreuses espèces d’animaux marins, telles que les baleines bleues, les dauphins et les lions de mer. Mais cette faune est menacée par un immense projet minier de la compagnie Andes Iron.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PROJET DOMINGA
Celui-ci devrait comprendre un complexe industriel comportant une mine de fer et une mine de cuivre à l’intérieur des terres, mais également un port, une usine de transformation, et une usine de désalinisation afin de puiser l’eau nécessaire à la production. La mine de Dominga serait la plus grande jamais ouverte au Chili. Avec un investissement de 2,5 milliards de dollars, elle représente une promesse de milliers d’emplois. Cependant, son impact environnemental est extrêmement préoccupant et des soupçons de corruption ont entaché le projet depuis ses débuts en 2011. Un coût qui parait disproportionné quand l’on sait que le potentiel d’exploitation estimé de la mine n’est que de 22 ans.


LES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES DE LA MINE DE DOMINGA
SE TROUVERAIENT À SEULEMENT 30 KM DE LA RÉSERVE DES MANCHOTS DE HUMBOLDT.



« Ces projets vont causer des dommages irréversibles dans la région et ce n’est en fait qu’un point de départ avant une amplification d’activités industrielles », dénonce Liesbeth van der Meer, vice-présidente de l’ONG Oceana au Chili. L’organisation, qui travaille à la protection marine, a mené une étude qui conclut que la compagnie minière sous-estime l’impact sur les écosystèmes, notamment liés à l’augmentation du trafic maritime qui interférerait avec les routes migratoires des baleines, sans parler des risques de pollution.

Le cuivre représente près de 50 % des exportations chiliennes

Ces dernières années, des opposants locaux et l’ONG Oceana ont mené une campagne d’opposition au projet, avec des pétitions et des manifestations. Et ils viennent de gagner une première bataille. En effet, alors que les travaux devaient commencer en mars, la commission régionale d’évaluation environnementale du comté de Coquimbo vient de rejeter le projet. La compagnie minière Andes Iron a cependant annoncé son intention de faire appel auprès du Comité des ministres pour le Développement durable.

Le gouvernement de la présidente Michelle Bachelet se retrouve désormais dans une position compliquée et va devoir trancher entre un projet qui relève des intérêts stratégiques de son pays et la défense de l’environnement. En effet, le secteur minier est l’un des plus importants de l’économie chilienne. Le cuivre notamment est l’une de ses principales richesses : le pays possède 20 % des ressources de la planète et ce minerai représente près de 50 % des exportations du pays. Dans le nord du Chili, on dénombre plus de 3.000 exploitations de cuivre. Depuis les années 1980, les gouvernements ont fortement incité les investissements dans ce secteur, notamment des sociétés étrangères, qui venaient explorer massivement des gisements jusqu’alors méconnus.

« POUR L’EAU, POUR LA VIE, NON AU MÉGAPROJET MINIER.»

En juillet 2016, un rapport de l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) mettait en garde le Chili contre l’exploitation intensive de ses ressources et les dangers qu’elle implique sur l’environnement. Le document pointait le fait que le pays appuie « trop exclusivement sa croissance économique sur ses richesses naturelles telles que le cuivre, l’agriculture, la foresterie et la pêche, il connaît une pollution de l’air constamment élevée dans les zones urbaines et industrielles, des épisodes de pénurie et de pollution de l’eau, la disparition d’habitats et une vulnérabilité au changement climatique. Plus de 95 % de ses déchets sont encore mis en décharge ».

Bien que soulignant les efforts du pays, notamment avec la création de zones protégées [1], les experts de l’OCDE rappelaient que le pays possède une biodiversité d’importance mondiale, mais que « les écosystèmes restent soumis à d’intenses pressions du fait des activités économiques et du développement des infrastructures ». D’autre part, les capacités de contrôle de conformité aux réglementations environnementales sont encore limitées, surtout dans des régions isolées.

Des bancs de baleines, de sardines ou de calamars viennent joncher les plages 

Le pays est également confronté à un autre phénomène environnemental inquiétant : la mort massive et récurrente d’espèces marines. Depuis trois ans, des bancs de baleines, de sardines ou de calamars viennent joncher les plages sans raison apparente, laissant les scientifiques perplexes. Ainsi en 2016, plus de 400 baleines se sont échouées dans les environs de l’archipel de Chiloé.

Parmi les hypothèses avancées, il y a les modifications récentes du courant océanique El Niño, qui provoque des événements météorologiques inédits. Le changement de température des eaux peut provoquer des troubles dans les écosystèmes, obligeant les poissons ou les mammifères marins à se déplacer sur de grandes distances, ce qui affecte la chaîne alimentaire ou les cycles de reproduction. Mais, pour d’autres chercheurs, les causes pourraient venir de l’élevage industriel de saumon.

UNE « SALMONERA » DE L’ARCHIPEL DE CHILOÉ.
Le Chili en est en effet le 2e producteur mondial, derrière la Norvège. La salmoniculture est un secteur qui, par son intensité, modifie la composition chimique des eaux et perturbe les écosystèmes. La prolifération d’algues provoque des « marées rouges » de plus en plus fréquentes. En 2016, l’ONG Greenpeace a mené une expédition avec des scientifiques afin d’étudier les impacts environnementaux des « salmoneras », les sites d’élevage de saumon. Elle a dénoncé la pollution créée par le rejet de poissons en décomposition dans l’océan, le rôle des autorités qui ferment les yeux et une industrie hors de contrôle [2].

Les produits que le Chili exporte, tels que le cuivre ou le saumon, sont consommés notamment en Europe, où les consommateurs n’ont pas toujours conscience de l’impact des conditions de production de ceux-ci sur l’environnement. Il est donc important que le gouvernement chilien s’engage à protéger la biodiversité existante sur son territoire, comme le demande la population locale, les ONG et les instances internationales, comme l’OCDE. Mais aussi que les acheteurs de ces produits exigent que le patrimoine mondial ne soit pas affecté de manière irréversible par les intérêts économiques.

[1] Près de 20 % du territoire chilien sont des terres protégées ou des réserves naturelles. Le pays vient d’ailleurs d’obtenir l’un des plus importants dons de terres privées, que le gouvernement a décidé de transformer en parcs nationaux.
[2] Voir le rapport complet de Greenpeace (en espagnol).