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jeudi 13 juillet 2017

À TUNQUÉN (CHILI), COMME UNE P(L)AGE BLANCHE


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ANTOINE LORGNIER


En décernant l’an dernier le prix Pritzker au Chilien Alejandro Aravena, l’institution du « Nobel de l’architecture » entraîna un coup de projecteur sur le pays de son récipiendaire, en proie à une véritable fièvre architecturale. En témoigne particulièrement la région de Tunquén, au sud de Valparaíso, devenue le terrain de jeu des architectes chiliens.
Ils ont pour nom Nicolás Loi, Branko Pavlovic, Pablo Lobos-Pedrals, Mirene Elton, Álvaro Ramírez, Daniel Buzeta, Fernanda Energici, Víctor Gubbins, Nicolás Lipthay Allen ou encore Rodrigo Santa María. Tous appartiennent à de grands cabinets d’architecture de Santiago et tous ont construit, ou sont en train de construire, une maison à Tunquén. Depuis la fin de la dictature, en 1990, de nombreuses écoles privées d’architecture ont vu le jour et la nouvelle génération qui en sort a décidé de prendre en main l’image du Chili. Sa philosophie est d’imaginer des maisons au design élégant porté par une architecture ­ultratechnique, faisant corps avec une nature exceptionnelle et capricieuse (tremblements de terre, tempêtes, canicules…).

    Parmi les plus beaux exemples, citons la Casa Bahía Azul, réalisée par Felipe Assadi et Francisca Pulido, maison aérienne de verre et de béton accrochée à même la falaise de Los Vilos, dans la région de Coquimbo ; et celle qui portera le nom de Casa Atrapa Vistas, littéralement « maison attrape-vues », imaginée par l’architecte Cristóbal Valenzuela Haeussler (@cvh_land) fondateur de Land Arquitectos, astucieux agencement d’espaces de vie ayant chacun une vue différente, qui est en train de sortir de terre à Tunquén.

    En prise avec la nature

    Situé à deux heures de route de la capitale et à une demi-heure de Valparaíso, Tunquén est d’abord une plage battue par les vagues, bordée au nord par une côte déchiquetée et sauvage. Jadis, les gens d’ici vivaient de la forêt et d’un peu d’élevage. Et puis un jour, dans les années 90, deux sœurs âgées propriétaires d’une portion de falaise eurent la bonne idée de diviser leur terrain en parcelles et de les mettre en vente. Ces parcelles ne sont pas viabilisées, mais qu’importe !

    Quelques initiés s’empressent d’acquérir leur lopin, des habitants de Santiago désireux d’avoir un pied à l’air libre. Les premières maisons bâties sont simples, en bois, se concentrant sur le haut des falaises pour bénéficier de la vue et de la lumière. Des puits sont creusés et, bientôt, les panneaux solaires remplacent les lampes à pétrole et les bougies. À l’époque, rares sont les architectes qui sont sollicités, la classe moyenne n’ayant pas encore tiré les bénéfices d’une économie ultralibérale.

    LA MAISON RÉALISÉE PAR L’ARCHITECTE LOCAL PEDRO SALAS EN 1990 A ÉTÉ ENTIÈREMENT REPENSÉE EN 2008 PAR DELPHINE DING ET JOSÉ ULLOA DAVET POUR EN FAIRE UN LIEU DE  VILLÉGIATURE EN PRISE DIRECTE AVEC LA NATURE. ANTOINE LORGNIER


    La seule maison digne d’intérêt est celle construite dès 1990 par l’architecte local Pedro Salas. Rénovée en 2008 par Delphine Ding et José Ulloa Davet, elle est désormais flanquée sur sa façade est d’un large escalier en bois montant jusqu’au toit-terrasse imaginé en gradins, à la façon d’un amphithéâtre, pour pouvoir assister au spectacle de la nature sans cesse renouvelé. Par mauvais temps, le repli est possible au rez-de-jardin, composé d’une vaste pièce avec une cuisine de plain-pied. La rénovation a aussi consisté à rendre la maison écocompatible, avec des lampes à LED alimentées via une tour séparée de la maison, équipée de panneaux photovoltaïques et abritant le système de pompage et de recyclage de l’eau qui arrose les arbres du jardin, barrière ­naturelle contre le vent d’hiver et source de fraîcheur lors des fortes chaleurs estivales.

    L’ARCHITECTE NICOLÁS LIPTHAY ALLEN (CABINET L2C)
     FUT L’UN DES PREMIERS À CONSTRUIRE UNE MAISON
    À TUNQUÉN. SON RECTANGLE DE BÉTON BLANC POSÉ
     À FLEUR DE FALAISE SE VEUT UN REFUGE CONTEMPLATIF
    CONTEMPORAIN.  ANTOINE LORGNIER
    À Tunquén, tout s’est emballé depuis une petite dizaine d’années. Avec l’élévation du niveau de vie, la plupart des nouvelles maisons sont désormais confiées à des architectes que l’exceptionnel environnement de cette côte sauvage, à l’évidence, stimule ! D’autant que, par ici, les règles d’urbanisme sont pour le moins légères. Au lieu-dit Punta de Gallo, l’endroit le plus sauvage de Tunquén, l’architecte Nicolás Lipthay Allen (cabinet L2C) a posé un rectangle de béton blanc à fleur de falaise qu’il estime être « l’exemple le plus abouti d’un refuge contemplatif contemporain permettant à ses occupants de se connecter à la nature et à l’océan pour décompresser du quotidien dans une capitale frénétique et polluée » !

    Le salon est comme naturellement prolongé par une terrasse totalement ouverte sur la falaise, à la verticale des vagues venant se fracasser sur les rochers. La maison est de plain-pied avec une pièce de vie traversante flanquée de deux ailes abritant cuisine, salle de bains et chambres. À l’arrière, un patio fermé sert d’entrée et de retraite abritée en cas de vent violent. Plus aérienne encore est la maison voisine réalisée par le cabinet Mas Fernandez Arquitectos. Leur Casa Tunquén s’inspire étonnement de la maison Hatch, réalisée en 1960 à Cape Cod, sur la côte est des États-Unis, par l’architecte Jack Hall. Cette plateforme en bois de 140 m2 se décompose en plusieurs modules de 3,5 m2

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    délimités par des piliers sur lesquels viennent s’accrocher des panneaux en bois qui serviront à la fois de toit et de murs. Côté ouest, la plateforme accueille une terrasse ouverte sur le Pacifique et ses magnifiques couchers de soleil. L’ensemble est construit avec du pin blanc chilien et recouvert en extérieur d’un graphite noir résistant aux intempéries qui donne à la maison l’apparence d’un « conteneur tombé d’un navire et échoué sur la côte ».

    Rêves de hauteur

    Après quarante ans passés à réaliser des édifices publics ou des sièges pour des sociétés, l’architecte Victor Gubbins a lui aussi éprouvé le besoin de bâtir, toujours à Punta de Gallo, un lieu apaisant qu’il a voulu surélevé pour profiter toujours plus de la vue, de la mer, du soleil couchant et des fous de Bassan descendant parfois jusqu’ici… à la manière d’une vigie. Ou d’un phare, car sa maison se voit de toute la côte ou presque. La structure principale repose sur un socle carré de 3 mètres de haut abritant une chambre et une salle de douche « pour les enfants et les petits-enfants qui reviennent de la plage ».


    À LA FOIS VIGIE, MIRADOR ET PHARE, LA MAISON DE
    VICTOR GUBBINS SEMBLE PROLONGER LA FALAISE SUR
    LAQUELLE ELLE EST CONSTRUITE. ANTOINE LORGNIER
    Au-dessus, un autre grand carré de 12 mètres de côté est le lieu de vie principal. Accessible par une rampe, il se compose d’un vaste salon traversant entre deux terrasses, d’une cuisine et de deux chambres et de leur salle de bains éclairées par des puits de lumière posés en excroissance sur le toit. « Je me suis inspiré de la villa Savoye du Corbusier, construite en 1931 à Poissy, explique Victor Gubbins.
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    J’y suis allé plusieurs fois dans les années 70, quand je travaillais en France pour l’architecte André Wogenscky. Du Corbusier, j’ai emprunté la géométrie, l’orientation et la communication avec la nature »… ainsi que le béton coulé dans des sarcophages en bois et laissé brut, un matériau plutôt rare à Tunquén.

    Pour sa maison, l’architecte Victor Gubbins s’est inspiré de la villa Savoye du Corbusier. À l’extérieur, deux immenses balcons de part et d’autre permettent à ses occupants de profiter de l’environnement tout en se protégeant des vents dominants. 

    POUR SA MAISON, L’ARCHITECTE VICTOR GUBBINS S’EST INSPIRÉ DE LA VILLA SAVOYE DU CORBUSIER. À L’EXTÉRIEUR, DEUX IMMENSES BALCONS DE PART ET D’AUTRE PERMETTENT À SES OCCUPANTS DE PROFI TER DE L’ENVIRONNEMENT TOUT EN SE PROTÉGEANT DES VENTS DOMINANTS. ANTOINE LORGNIER



    POUR SA MAISON, L’ARCHITECTE VICTOR GUBBINS S’EST 
    INSPIRÉ DE LA VILLA SAVOYE DU CORBUSIER. À L’INTÉRIEUR, 
    LE GRAND SALON TRAVERSANT EST EXPOSÉ EST-OUEST POUR 
    LAISSER ENTRER LA LUMIÈRE. ANTOINE LORGNIER



    Située également à Punta De Gallo, la Casa Mirador, de l’architecte Rodrigo Santa María, pourrait en être le manifeste. Prenant appui sur un ensemble de rochers, un plateau en pin chilien de 180 m2 supporte toutes les pièces d’habitation. Pour profiter de la vue à 360 degrés, toutes les pièces et la terrasse abritée ­bénéficient de grandes baies vitrées dissimulées dans la structure en bois. À l’intérieur, les parois modulables permettent de jouer avec la lumière.

    Pour les terrains en retrait de la falaise, disposant par conséquent d’une vue moins grandiose, le cabinet d’architecture Whale! propose de surélever les édifices au moyen de pilotis, une idée inspirée des maisons traditionnelles de l’île côtière de Chiloé. Pour les terrains en retrait de la falaise, disposant par conséquent d’une vue moins grandiose, le cabinet d’architecture Whale! propose de surélever les édifices au moyen de pilotis, une idée inspirée des maisons traditionnelles de l’île côtière de Chiloé.

    Antoine Lorgnier
    POUR LES TERRAINS EN RETRAIT DE LA FALAISE, DISPOSANT PAR CONSÉQUENT D’UNE VUE MOINS GRANDIOSE, LE CABINET D’ARCHITECTURE WHALE! PROPOSE DE SURÉLEVER LES ÉDIFICES AU MOYEN DE PILOTIS, UNE IDÉE INSPIRÉE DES MAISONS TRADITIONNELLES DE L’ÎLE CÔTIÈRE DE CHILOÉ.  ANTOINE LORGNIER

    Ailleurs, le souci constant de la vue a conduit les architectes à faire preuve d’imagination. Puisque les meilleures parcelles ont déjà été achetées, les derniers venus se retrouvent en retrait. S’inspirant des palafitos, les maisons sur pilotis de l’île de Chiloé, dans le sud du Chili, le cabinet d’architecture Whale! propose à ses clients de s’élever dans les airs ou de jouer les équilibristes dans des lieux à la topographie tourmentée.


    AFIN DE FAIRE BAISSER LES COÛTS, LE CABINET
    RIESCO + RIVERA ARQUITECTOS DISPOSE SES
    MODULES PRÉCONSTRUITS SELON LES ENVIES
    DES CLIENTS. 
    ANTOINE LORGNIER
    D’autres, comme le cabinet Riesco + Rivera Arquitectos, préfèrent jouer avec les cubes en superposant des modules pré­construits (trois faces en bois, une en verre) ou en les disséminant en fonction des disponibilités offertes par le relief, puis en les reliant par de longs couloirs et escaliers percés de puits de lumière. Une solution modulable à l’infini et qui permet d’obtenir des maisons vraiment originales à des prix imbattables. D’autres se sont résignés et jouent la carte Robin des Bois. Ainsi la Cabaña Tunquén, conçue par DX Arquitectos, perdue en pleine forêt d’eucalyptus. Exit la vue, désormais, LE concept, c’est la retraite au fond des bois !