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jeudi 16 février 2012

VIOLETA PARRA, RETOUR PIRATE

"Il y a beaucoup de Chiliens et de Boliviens dans le coin, tente le vendeur, promettant une copie du DVD pour le lendemain. Mais à la vérité, les films encore inédits se vendent bien. Les gens veulent la nouveauté."

Du neuf avec une histoire ancienne, sous le manteau, celle d'un fantôme du passé piraté. Un bien curieux retour des choses où l'art inédit se retrouve en contrebande et où la voix d'une poétesse qui dénonçait autrefois la misère, la violence armée et le cynisme marchand se brade au coin des rues pour 5 euros à peine.

Figure essentielle de la musique chilienne, Violeta Parra a connu une vie mouvementée et romanesque, sur laquelle le film d'Andrés Wood jette un regard nouveau. Le titre, déjà, reprend celui d'un livre hommage que lui avait consacré plus tard, à Paris, son fils Angel Parra. Lui-même interné dès les premières heures de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990) au sinistre stade national de Santiago, torturé, puis déporté dans le camp de Chacabuco, dans le nord du pays, avant d'être libéré grâce à l'intervention d'Yves Montand, de Charles Aznavour et de Joan Baez.

Née en 1917 à San Fabian de Alico, dans le sud du pays, d'un père professeur de musique et d'une mère paysanne et chanteuse, Violeta Parra s'est nourrie d'histoires de tous les jours, de récits d'amours et de luttes quotidiennes. A 12 ans, elle compose ses premiers chants qu'elle accompagne à la guitare. Avant même ses 20 ans, elle part s'installer à Santiago du Chili.

Ses débuts sont difficiles. Un mariage, une séparation. Un nouveau mariage. A partir de 1952, elle parcourt le Chili, découvre les musiques folkloriques et traditionnelles. Elle peint. Elle sculpte aussi. Après un récital chez le poète Pablo Neruda, Radio Chili l'engage pour une série de programmes d'art folklorique national.

Violeta Parra se rendra en Pologne, en Union soviétique et en Europe. C'est à Paris, où elle restera d'abord deux ans, qu'elle enregistre de sa voix claire ses premiers disques. Elle reprendra sa vie itinérante. Puis reviendra. La France, le Chili, l'Allemagne, l'Italie. Avec ou sans enfants. En 1964, elle expose au Louvre. Pour la première fois, un artiste sud-américain y est accueilli pour une exposition individuelle.

Le film d'Andrés Wood se concentre sur ces années d'intense création, de ses passions amoureuses aussi. La rencontre, surtout, avec l'anthropologue et musicien suisse Gilbert Favré, à qui elle dédiera certaines de ses chansons les plus connues.

Lorsque celui-ci part en Bolivie en 1966, Violeta Parra met un point final à son dernier disque. Un trésor de la chanson sud-américaine, avec notamment Gracias a la Vida, Volver a los 17, Rin del Angelito et El Albertio. Des hymnes repris par l'Argentine Mercedes Sosa, l'Espagnole Maria Dolores Pradera, le groupe irlandais U2, la Brésilienne Elis Regina ou encore le Chilien Victor Jara, assassiné en 1973 par la junte militaire.

VILOETA PARRA DANS LE « CHAPITEAU DE LA REINA », AVEC LES CHOCLOS, DES MUSICIENS BOLIVIENS. 1965. 

En 1967, elle se suicide au revolver sous la tente d'un grand chapiteau des faubourgs de Santiago qu'elle avait renommé "Le Chapiteau de la Reine" et transformé en centre artistique. Elle a 50 ans. Trois enfants.

En pleine grève étudiante qui a secoué le pays en 2011, une projection gratuite de Violeta se fue a los cielos a eu lieu sur la place Sotomayor de Valparaíso, à Santiago. Il y avait foule ce soir-là. "Son message politique est totalement actuel, c'est la voix d'une femme d'aujourd'hui. Et les jeunes s'en sont emparés", a affirmé le réalisateur Andrés Wood. Même à Sao Paulo, au coin des rues.

A Rio de Janeiro, dans le marché en plein air du Saara, au centre-ville, le DVD de Violeta n'est pas encore apparu sur les nappes des marchands ambulants. "On l'attend, glisse un vendeur anonyme, habitué des lieux. Cela ne devrait pas tarder." La Reine Violeta a de beaux jours devant elle.


bourcier@lemonde.fr

Nicolas Bourcier