Catégorie

mercredi 14 mai 2014

« D'UN EXIL À L'AUTRE »

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]



L’accueil des Chiliens a de plus bénéficié d’un formidable mouvement de sympathie et de solidarités en France, notamment auprès des associations, des organisations syndicales et politiques de la Gauche, des intellectuels, des artistes, et s’inscrit dans l’histoire des droits de l’Homme. Un héritage politique dont la France, beaucoup plus crispée sur son identité, semble aujourd’hui s’éloigner. Enfin, Bernardo Toro insiste sur l’extrême fécondité culturelle et artistique des exilés chiliens installés ici, dans laquelle la littérature occupe une place essentielle. Cette productivité foisonnante a ouvert plus largement les portes aux écrivains latino-américains dans l’espace littéraire francophone et a rapproché culturellement les deux pays à la chute de Pinochet. Après leur retour au Chili, les anciens réfugiés ont continué d’entretenir des relations très étroites avec la France, nourries d’une histoire commune et de respect mutuel.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Nous remercions également Olivier Cogne, directeur du Musée de la résistance et de la déportation de l’Isère - Maison des droits de l’homme, pour un  partenariat qui a permis de prendre la région grenobloise comme terrain d’observation de cette arrivée des Chiliens, à partir des travaux réalisés pour l’exposition Exiliados. Le refuge chilien en Isère, la seule à notre connaissance à avoir été consacrée à ce thème à l’automne 2013.


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

Les illustrations du dossier proviennent de la série photographique Hijos del exilio (2003, 2013) acquise par le Musée de l’histoire de l’immigration et que son auteur, Éric Facon, a bien voulu nous autoriser à reproduire avec des extraits de témoignages.

            [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]


PHOTO DE LA POCHETTE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 
DU VINYL LP  « X VIET NAM » (POUR VIÊT NAM)
DU GROUPE CHILIEN QUILAPAYUN - 
1969 OU 1970 -
D’un exil à l’autre… Il se trouve que l’année 2014 démarre par une saison culturelle sur le Vietnam. Plusieurs chroniques coordonnées par Laetitia Van Eeckhout explorent l’épopée des travailleurs indochinois mobilisés pendant la Deuxième Guerre mondiale comme main-d’œuvre supplétive dans les usines d’armement ou au champ, et évoquent les mémoires des Vietnamiens exilés en France dans les années 1970, dont la présence culturelle reste vivante jusqu’à présent.



mardi 13 mai 2014

LES NOUVEAUX ATTACHÉS CULTURELS DU CHILI À L'ÉTRANGER

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

DES VICTIMES EMBLÉMATIQUES DE LA DICTATURE
en même temps, le Ministre Muñoz a communiqué que la Présidente Bachelet avait désigné comme attachés scientifiques ou civils Loreto Schnacke en Allemagne; Rodrigo Paillalef à Genève; et Carmen Gloria Quintana au Canada. En tant qu’attachés de presse, la présidente a désigné Alicia Galdames au Pérou; Carlos Monge au Brésil et Marie Angélica Alvarez en Italie.  

                     [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
CARMEN GLORIA QUINTANA À SANTIAGO DU CHILI
LE 2 JUILLET 2013. PHOTO FERNANDO LAVOZ
MARIA PAZ SANTIBÁÑEZ ET TOHÁ, MAIRE DE SANTIAGO
DU CHILI LORS D'UN CONCERT AU  THÉÂTRE MUNICIPAL
DE SANTIAGO LE MOIS D'OCTOBRE 2013
Parmi les nominés il a trois victimes emblématiques de la dictature, Carmen Gloria Quintana, enseignante de psychologie à  l'Université Andrés Bello,  qui à l’âge de 18 ans fut brûlée vive par des soldats du régime de Pinochet. Elle a survécu et, pendant des années, a dénoncé les abus de la dictature à travers le monde. 

                     [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]                
Maria Paz Santibáñez, la nouvelle attachée culturelle du Chili en France, est aussi une figure emblématique de la résistance. Le 24 septembre 1987, alors  qu’elle participait à une journée de protestation, un policier lui a  tiré une balle en pleine tête. Par miracle le tir ne l'a pas tuée, mais elle a traversé un vrai calvaire de quatorze ans pour recouvrer toutes ses facultés. Aujourd'hui elle est une pianiste reconnue. 


                     [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
LA COMEDIENE JAVIERA PARADA ORTIZ
Enfin, Javiera Parada, la nouvelle attachée culturelle du Chili aux Etats Unis, est la fille aînée de José Manuel Parada un des trois intellectuels communistes égorgés  sous la dictature de Pinochet, le 30 mars 1985, alors qu’elle avait onze ans. Outre leur qualité de victimes les personnes nommées sont fortement engagées dans la défense des droits de l’homme et dans la condamnation des crimes commis en dictature. 

lundi 12 mai 2014

ALMA, D'AUTRES YEUX S'OUVRENT AU CHILI

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

L'ULTRA HD EXPÉDITION. CETTE IMAGE A ÉTÉ PRISE SUR LE PLATEAU DE CHAJNANTOR.

VOIR DOUBLEMENT L’INVISIBLE

ALMA voit doublement l'invisible. Comme le VLT, il capte ce qui est loin et trop peu lumineux pour nos yeux, mais en plus il s'intéresse à des couleurs ou longueurs d'onde situées après l'infrarouge et au début des ondes radio : soit des longueurs d'onde entre 0,3 et moins de 10 millimètres. Ces ondes permettent de voir des objets assez froids, comme des galaxies très éloignées, de la poussière primordiale d'où naîtront planètes et étoiles, voire des molécules rares dans l'espace (des sucres, du monoxyde de carbone) L'un des derniers résultats en date est, par exemple, la découverte de fortes concentrations de monoxyde de carbone, qui pourraient être liées à la présence d'une exoplanète retenant autour d'elle des noyaux de comètes, comme le fait Jupiter avec les astéroïdes dits troyens.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PHOTO  JOSÉ FRANCISCO SALGADO 


Ces antennes permettent aussi de voir le rayonnement fossile de l'Univers, cette bouffée d'ondes émises 380 000 ans après le Big Bang. Mais, contrairement au satellite Planck qui l'an dernier a publié une photo de ce rayonnement, ALMA n'en voit pas les infimes variations de température.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

 VOIE LACTÉE AU-DESSUS ALMA 

Les technologies sont là aussi impressionnantes. Derrière chaque antenne parabolique est fixée une « chambre » de près d'une tonne contenant notamment les dix détecteurs refroidis à la température de l'hélium liquide (environ − 269 degrés), sensibles chacun à une bande de fréquence différente. La combinaison des signaux des diverses antennes mobilise aussi un super-ordinateur (quelque 17 millions de milliards d'opérations par seconde), le plus haut du monde. Le flux de données est tel (quelque 1 térabit par jour) qu'une fibre optique supplémentaire sera tirée afin de rejoindre le réseau chilien principal. Tout comme au VLT, cette transmission des données à haut débit est indispensable, car peu d'utilisateurs viennent faire leurs observations sur place.

dimanche 11 mai 2014

CHILI : LE PIANO ET LES MAINS DE MARIA PAZ SANTIBAÑEZ CONTRE LA DICTATURE DE PINOCHET

MARIA PAZ SANTIBAÑEZ CHEZ ELLE À PARIS SEPTEMBRE 2013, AVEC SON PIANO ET LA DEXTÉRITÉ RETROUVÉE DE SES MAINS

Déjà au lycée, elle s’interroge : « qu’est ce que je fais à jouer du Beethoven ou du Bach si dehors ils sont en train de tuer mes frères ». Lors de sa rentrée dans l’une sections musicales les plus actives de l’Universidad de Chile, elle prend des responsabilités dans le mouvement étudiant et participe activement aux manifestations de l’époque ; une première sous l’une des dictatures les plus répressives et sanglantes de l’Amérique latine. 

Soudain, un soir de septembre 1987, la lâcheté de la répression policière, un tir à la tête  et voilà ses  rêves brutalement interrompus, ce qui comptait plus à ses yeux : la chorégraphie de ses mains sur un clavier. 


Vous appartenez à une génération qui a lutté et ouvert la voie pour gagner des espaces de liberté et dire non à la répression de la dictature. Comment définiriez vous le contexte de l’époque? 

MARIA PAZ À 16 ANS, JUSTE AVANT
DE RENTRER À L'UNIVERSITÉ.  
Le contexte était une dictature bestiale. Je suis la benjamine d’une famille de 7 frères et sœurs et il m’est arrivé de vivre la détention d’une sœur, d’un frère; chez moi, nous vivions une ambiance de lutte permanente contre la dictature.  Je me suis inspirée du pianiste Miguel Angel Estrella qui allait partout dans les villages avec son piano en train de dénoncer les atrocités de la dictature en Argentine. J’ai décidé de participer aux  manifestations et d’une certaine façon de rejoindre cette lutte contre notre dictature. Nos manifestations étaient pacifiques, avec des carnavals, des confettis. Nous voulions aller vers l’avant, démocratiser des espaces en bravant la menace. 

Nous étions convaincus que si nous restions les bras croisés, rien n’allait changer. Notre objectif était de renverser Pinochet. 

Vous et vos camarades répondiez à la menace de fermeture de l’Universidad de Chile, considérée peu rentable pour le rectorat de l’époque ? 

L’Université, dès le coup d’Etat (du 11 septembre 1973, ndlr), a subi des coupes budgétaires, des menaces ; les professeurs et les élèves ont été menacés. Les putschistes ne montraient aucun respect pour la vie universitaire, pour les échanges. Nous, les jeunes, ne voulions pas de cela. Nous voulions la liberté. Je suis jeune, je suis libre, je suis irresponsable et je cours de danger en danger pour changer tout ça. Quand tu partais de la maison le matin, personne ne savait si tu allais revenir le soir ; mais nous savions que notre mission était de servir de détonateur pour aller vers une vraie participation citoyenne et dans les meilleurs des cas, renverser le régime. 

Lors de cet élan de défense de l’université, les choses se précipitent… 

Oui, le mouvement a entrainé un état d’alerte générale. Il y avait des manifestations partout.  L’université est devenue un espace de création, nous faisions des actions pour attirer l’attention des gens. Tout en étant très vigilants car nous n’avions pas le droit de descendre dans la rue. L’idée était d’enchaîner les coups d’éclat non violents, pour palier la répression, pour dire que d’autres alternatives existaient. Par exemple les étudiantes de danse vêtues de leurs meilleures tenues allaient danser en plein centre de Santiago pour récolter de l’argent et ensuite acheter de la peinture et faire de pancartes ; ou bien, on faisait un chœur à 4 voix et on chantait « il va tomber » devant la fac de musique. Nous étions l’avenir créatif et intellectuel du pays.


Le jour J arrive. Vous prépariez des petits meetings pour continuer vos actions ? Quels sont les moments qui précèdent l’attentat ? 

SEPTEMBRE 1987, LE LENDEMAIN DE L’ATTENTAT,
LE JOURNAL D’OPPOSITION FORTIN MAPOCHO,
TITRE - « UN POLICIER TIRE À BOUT PORTANT
CONTRE UNE ÉTUDIANTE ».
Le 24 septembre 1987 il y avait une réunion de la fédération universitaire.  Apres cette réunion nous devions tenir des mini-meetings dans la rue. J’insiste sur le côté minuscule de ces rencontres car nous n’avions pas le droit de nous grouper. Donc, on se réunissait et au bout de 5 minutes la police arrivait pour nous disperser, pour cela il fallait avoir une stratégie, réunions rapides, quelques cris et paf ! Dispersion. 

Je devais porter des bombes de peinture pour quelqu’un qui se préparait à aller faire des tags, car je n’étais pas douée pour cela. Mais cette personne n’est pas arrivée et je suis partie pour mon parcours de meetings avec dans mon sac, la peinture. Parvenue à la hauteur du théâtre municipal de Santiago, je m’arrête et je demande à ma camarade de couvrir mes arrières, au cas où arrivait la police, car j’allais me pencher pour écrire par terre. 

Maria se tait, et ne peut plus raconter l’indicible. Un policier lui tire une balle dans la tête, alors qu’elle était accroupie en train de taguer un appel à la grève. 

…Il me reste seulement des bribes de souvenirs, à un moment où ma tête a explosé, où je tombe au ralenti, j’entends au loin assassin ! Les flics !  Moi je me disais les flics arrivent et je ne peux pas bouger ! Et là plus rien. 

Après, je me vois dans une voiture et je demande : qu’est ce qui s’est passé ? Car j’étais paralysée. On m’a dit « ils t’ont tiré dessus ! ». Je demande avec quelles balles ? Je voulais connaître la gravité de mon état. A ce moment je me rends compte que je ne peux pas bouger, je ne peux pas bouger mon coté gauche ! On me dit de rester tranquille. 

Dès mon arrivée à l’hôpital, on me demande mon nom: je donne mon nom, mon numéro de téléphone. J’entends il faut lui raser la tête ! Et je pense à mes cheveux. On me déchire la blouse que je portais et je dis « elle est à ma mère »  et puis c’est tout. Le reste, je le sais uniquement par ce qu’on m’a raconté.

Une équipe d’un journal alternatif a tout de même réussi à filmer la scène... 

OCTOBRE 1987. APRÈS 20 JOURS DE SOINS 

INTENSIFS MARIA QUITTE L’HÔPITAL EN FAUTEUIL 

ROULANT PAR UNE PORTE ANNEXE 
AFIN D’ÉVITER LA PRESSE.
Un journaliste et un cameraman étaient présents et ils ont filmé, dans ma tragédie j’ai eu de la chance. 

Dans cette vidéo, on entend un premier tir et ensuite on voit le policier qui tire en l’air, des éléments clés pour déterminer ensuite ce qui s’est vraiment passé, au delà des témoignages. 

La version des témoins est qu’on me voit en train d’écrire par terre lorsque le policier pose son pistolet sur ma tête. Au même moment, je me redresse parce que la bombe à peinture ne fonctionnait pas et là, il tire. J’ai eu  de la chance, car en faisant ce mouvement, j’ai fait bouger le pistolet avec ma tête, ce qui a permis à la balle d’entrer et de sortir. 
Beaucoup de gens se sont procuré des copies de l’enregistrement et ils les ont distribuées aux ambassades, aux journalistes étrangers. La vidéo a été diffusée très rapidement. 

Et puis une série de « merveilleuses chances » comme vous les appelez aujourd’hui, vous ont permis de rester en vie… 

J’ai eu la grande chance d’être secourue par Rodrigo Paz, étudiant en médecine ; il m’a sauvé la vie. Il m’a mise dans un taxi et a eu le réflexe de m’amener en neurochirurgie et pas dans n’importe quel autre service de l’hôpital.   

J’ai eu la grande chance que les infirmières m’ont cachée à l’intérieur de l’hôpital car la police est venue m’arrêter.  J’ai eu la chance de croiser un médecin qui a payé de sa poche un scanner d’une clinique privée car celui de l’hôpital ne marchait pas. 

Marilen, une étudiante en kinésithérapie, a couru derrière la voiture sur une longue distance pour m’accompagner et une fois sortie du bloc opératoire, elle m’a obligée à bouger les mains. 

J’ai peu de souvenirs mais je sais qu’à ce moment-là se sont produis une série d’événements chanceux réunis. 

Tous ceux  qui se sont trouvés là occupent une place si grande et particulière, ils font partie intégrante de ma vie. 

Vous êtes dans un état grave, paralysée, et détenue à l’hôpital sous la garde de policiers... 

Je ne peux pas décrire l’angoisse de ma mère quand elle entend que je ne passerai peut-être pas la nuit ou que je vais rester dans le coma. 

J’étais surveillée par la police mais au bout de 4 jours, une fois que la vidéo a été diffusée partout, elle a dû quitter ma porte à l’hôpital. C’est là où ma mère a porté plainte contre elle.


Pour vous commence une très longue convalescence… 

SANTIAGO DU CHILI, NOVEMBRE 1987.
MARIA PAZ LANCE UN SALUT À SES SOUTIENS
EN ALLANT TÉMOIGNER DEVANT LES
TRIBUNAUX LORS DE LA PLAINTE DÉPOSÉE
À L’ENCONTRE DE LA POLICE
J’étais en vie et j’avais une seule obsession : pouvoir ouvrir la main. Quand ce moment est arrivé, des étudiants de la fac m’ont donné un clavier, j’ai commencé à jouer lentement avec le pouce d’abord. Un très bon copain, m’a fait un arrangement de la chanson « Le droit de vivre en paix  » de Victor Jara. Je ne pouvais jouer qu’avec la main droite et mon pouce gauche faisait quelques petites notes. C’est la première chose que j’ai pu jouer. 

Une fois, au tout début de ma convalescence, j’ai demandé au médecin combien de temps cela prendrait avnt que je récupère mes mains. Il m’a dit « si d’ici un an et demi tu peux marcher considère toi heureuse, mais oublie le piano ». Alors se sont succédées beaucoup, beaucoup d’années avant de pouvoir recommencer à bouger les doigts, puis la main, enfin. 

Pendant une longue période, j’ai vécu beaucoup plus lentement. J’ai appris à être patiente. Avant les choses étaient faciles pour moi, j’avais l’habitude d’aller vite. Là j’ai appris à faire attention, à m’organiser, à être constante.


Dans cette histoire on vous sauve la vie et vous avez donné la vie. 

MARIA PAZ ET SON FILS
CRISTIÁN. PRAGUE 1989
Le 31 décembre 1987, peu de temps après l’attentat, j’apprends que j’étais enceinte de mon fils Cristian. Il est fortement probable que je sois tombée enceinte le jour où le policier m’a tiré dessus. Les médecins pensaient que le bébé n’était pas viable, à cause des médicaments, des radios et de tous les traitements liés à ma guérison. On m’a fait des analyses et apparemment tout allait pour le mieux. Je me disais si cet enfant s’est accroché, c’est pour quelque chose. Cristian reste mon câble branché à la terre ! Avec mon fils à mes cotés, jamais je ne pourrais avoir le cafard. Il est né à Prague, j’ai décidé de partir pour me rétablir. 

Vos années à Prague vous les consacrez à vous réinventer, à travailler… 

A Prague (à l’époque, la ville était encore la capitale d’une Tchécoslovaquie sous influence soviétique, ndlr) apparaissent « des anges » comme je les appelle. J’ai reçu beaucoup de soutien et des gens incroyables m’ont aidée, accompagnée pour réapprendre à jouer le piano, à faire des exercices, en garder mon fils pendant que je passais des heures à me réconcilier avec le piano. 

J’ai contacté un professeur de l’Académie de Musique de Prague, j’ai pris des cours à son domicile. J’avais des enregistrements anciens où je pouvais montrer ce que je savais jouer et étais capable d’exécuter. Lui m’a réinventé tout un système pour que je puisse réapprendre à jouer. J’ai appris à jouer par effet miroir, tout ce que faisait la main droite, la main gauche le répétait. J’avançais lentement mais petit à petit, j’ai récupéré et créé certains automatismes qui m’ont permis de jouer à nouveau.

Le retour et un nouvel exil 

MARIA AUJOURD'HUI À PARIS, SEPTEMBRE 2013,
40 ANS JOUR POUR JOUR APRÈS L'ASSASSINAT
DU PRÉSIDENT SALVADOR ALLENDE
En 1991, Maria Paz retourne au Chili, elle vit sept années difficiles. En 1998, elle obtient son diplôme de pianiste. Retrouve son ancien professeur de piano. Elle ne veut pas jouer devant lui par peur, colère, honte. « J’avais peur très peur ». Mais son maitre lui apprend à se retrouver, lui redonne confiance, il connaissait tous ses gestes innés : « Il m’a redonné l’équilibre pour jouer à nouveau, les appuis, comment attaquer une note, ma position face à l’instrument, etc ». 

Et puis, en 1999 elle fait ses bagages et part pour Paris, définitivement. Elle apprend, joue, interprète, enseigne. « Je commence à étudier ici sans raconter à personne ma triste histoire. Lors d’un concert à la Cité des Arts en 2001, je joue le répertoire de mon examen universitaire et aussi  un disque en préparation ; à ce moment-là, enfin,  je sens que je commence à me déconnecter de mon passer,  à partir loin, et enfin  j’ai senti que j’étais passée à une autre étape. Depuis, j’ai récupéré non seulement ma motricité mais aussi mon identité. ». 

Après tous ces années de renouveau, quel est votre regard sur votre histoire ? 

Aujourd’hui, je peux dire haut et fort : le plus grand coup de pied au cul que j’ai donné à la dictature c’est de continuer à jouer du piano. Et si je le fais bien, il est encore plus fort. 

Je continue à travailler tous les jours et j’espère tous les jours un peu mieux. 

D’une certaine manière, j’ai réussi à m’imprégner de toute la force de ma  génération. Si je me rétablissais, alors nous nous rétablissions tous ensemble. Même si dans cette histoire, il y a en beaucoup qui n’ont pas survécu. Moi je suis de l’autre coté et je dois pouvoir aller plus loin.


DÉCÈS D' ANNE LAMOUCHE


J'ai appris la nouvelle par le mail ci-dessous que je me permets de reproduire car il dit très bien quelle femme nous perdons avec la disparition de Anne.


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

ANNE LAMOUCHE AU  RESTAURANT LA GRILLE DUQUARTIER SAINT-GERMAIN, À PARIS, JUILLET 2011

 « Anne est partie discrètement, sur la pointe des pieds, ne voulant déranger personne. Discrète elle l'aura toujours été, ne se mettant jamais en avant mais toujours les causes qu'elle défendait avec obstination. Son attachement à l'Amérique latine ne pouvait laisser personne indifférent et donnait envie de prendre fait et cause avec elle; son éternel sourire et son regard malicieux redonnaient confiance à celles et ceux qui doutaient dans les moments les plus noirs des dictatures de voir un jour la démocratie revenir dans ces pays meurtris. Beaucoup de militants lui doivent la vie grâce à ses interventions tenaces où elle n'hésitait pas à bousculer diplomates et fonctionnaires pour les faire venir en France, avec ou sans papiers (et le plus souvent sans) parce qu'ils risquaient la mort. Si ses apparitions en public se faisaient plus rares depuis quelques temps du fait de la maladie et de la souffrance, elle s'inquiétait à chaque fois toujours d'untel ou untel, son regard se voilait quand un proche était décédé où s'éclairait à l'annonce d'une naissance ou d'un événement heureux. Avec Anne nous perdons une amie, et nous gardons un exemple de droiture et de convictions internationalistes. Merci pour tout, Anne. » 

samedi 10 mai 2014

ESCLAVAGE. QUELS LIEUX POUR LA MÉMOIRE DU CRIME ?

Certes Nantes ne pouvait dénier longtemps son triste rang de premier port négrier de France. Mais il est à noter qu’elle s’est penchée beaucoup plus tôt que les autres villes esclavagistes sur son passé. Bien avant la loi Taubira reconnaissant les traites et les esclavages comme crime contre l’humanité (2001), c’est à l’occasion du 150e anniversaire de la seconde abolition, en 1998, que le conseil municipal de la cité ligérienne prend la décision d’ériger un monument aux victimes. Confié à l’artiste polonais Krzysztof Wodiczko et à l’architecte Julian Bonder, il aura tout de même fallu du temps pour arriver jusqu’à sa livraison en mars 2012.

Aucun lieu de mémoire spécifique n’existe à Bordeaux
Maire durant toute cette période, Jean-Marc Ayrault fait de ce mémorial « un projet politique » comme il l’écrivait alors : « Assumer un tel passé, sans esprit de repentance, permet aujourd’hui de mener nos combats les yeux grands ouverts. » Une volonté politique, sans doute, mais ce ne sont pas les politiques qui l’ont eue en premier.

« C’est un mouvement dans lequel les associations, la société civile ont joué un très grand rôle, ensuite relayé par les élus et les chercheurs », rappelait lors de l’ouverture du mémorial la politologue Françoise Vergès, qui présidait alors le Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.


À Bordeaux aussi, cette exigence citoyenne s’est fait entendre. Dans la troisième ville négrière du pays, à la fin du XXe siècle, une association, Diverscités, et son président Karfa Diallo ont commencé à mobiliser lors de manifestations ou de visites du Bordeaux négrier. À l’époque, l’ouvrage Bordeaux, port négrier de l’historien Éric Saugera est perçu comme un choc dans la capitale girondine. Mais la municipalité de droite détournera toujours les yeux, et malgré la création d’une Fondation du mémorial, sous le patronage de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, aucun lieu de mémoire spécifique n’existe à Bordeaux. Tout juste en 2009, trois salles consacrées à la période esclavagiste ont-elles été inaugurées au musée d’Aquitaine. Lire : A Bordeaux, pour célébrer la première abolition de l'esclavage C’est qu’avec la reconnaissance de l’esclavage peuvent surgir d’autres revendications, notamment celle de débaptiser les nombreuses rues portant les noms des armateurs négriers de la ville. « De là à tomber dans une espèce de remords ou de sentiment de culpabilité… » balayait alors Alain Juppé. N’oublions pas qu’à Nantes on parle de Mémorial de l’abolition de l’esclavage, comme si on voulait avant tout se souvenir du jour où la France a fait cesser la barbarie plutôt que les siècles où elle l’a pratiquée.

Et de l’autre côté des océans ? Car la France a cette particularité, par ses outre-mers, de se trouver des deux côtés. À La Réunion, son île d’origine, Françoise Vergès a longtemps porté le projet d’un musée, la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. « Elle proposait de penser d’autres temporalités, d’autres espaces qu’une histoire écrite seulement depuis l’Europe en montrant que La Réunion s’est autant construite avec d’autres apports. » Prendre en compte le passé esclavagiste dans la construction des sociétés, pour en tirer les enseignements pour aujourd’hui et demain, un projet qui n’est pas passé pour tout le monde. C’est qu’il reste des descendants de colons et d’esclavagistes qui ne sont pas prêts à assumer leur histoire. Ainsi, quand l’UMP a remporté le conseil régional en 2010, le projet est passé à la trappe.


C'est qu'il reste des descendants de colons et d'esclavagistes qui ne sont pas prêts à assumer leur histoire

Mais à Pointe-à-Pitre, un autre projet d’envergure devrait être livré l’an prochain. Lui aussi issu d’associations, mais soutenu par le conseil régional de Guadeloupe. Aujourd’hui, le Mémorial ACTe prend forme sur l’ancien site de l’usine sucrière Darboussier. « On est là où s’est posé le problème fondamental, tranche l’anthropologue Thierry L’Étang, qui dirige le projet, selon la position de celui qui parle, il y a une autre narration. Qui le voit du haut, qui le voit du bas. Nous, nous le voyons in situ. » S’il portera bien le nom de mémorial, ce sera bien plus. « Ce sera un centre d’interprétation, au cœur de Pointe-à-Pitre », explique Thierry L’Étang. De fait, s’il comportera bien une exposition permanente sur la traite et l’esclavage, le centre sera surtout ouvert sur la création actuelle. « Après le colonialisme, le néocolonialisme, c’est le début du XXIe siècle qui nous donne cette possibilité », estime le scientifique. Mêler passé, présent et surtout se tourner vers l’avenir et le monde, dans cette île encore trop enclavée au sein des Caraïbes. C’est dire : « On nous l’a déjà fait une fois, soyons vigilants à ce que ça ne se reproduise pas et élevons nos enfants dans cette vigilance. »

mercredi 7 mai 2014

OLYMPE DE GOUGES : UNE FEMME CONTRE LA TERREUR





Comme l'histoire est assez ingrate avec certains de ses « grands hommes », la pionnière Olympe de Gouges a dû subir une injustice supplémentaire : celle qui osa écrire, en 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, acte fondateur d'un féminisme qui ignorait encore son nom, fut reléguée aux oubliettes par... les féministes. Quand elle ne fut pas considérée, au mieux, comme une courtisane par l'écrivain Restif de la Bretonne, qui la classa dans sa liste des prostituées de Paris, elle passa, au pis, pour une malade mentale, une « folle » selon l'historien Jules Michelet, une hystérique atteinte de paranoïa reformatoria (folie réformatrice) pour le Dr Guillois, docteur du service de santé des armées, auteur, en 1904, d'une étude consacrée aux femmes de la Révolution. 

Jusqu'à ce que l'historien Olivier Blanc, en 1981, vienne l'extirper de cet injuste oubli avec une biographie fouillée et fort documentée, Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle. Et qu'Anne Hidalgo, la première adjointe au maire de Paris et candidate à la succession de Bertrand Delanoë en 2014, propose de la faire entrer au Panthéon. La patrie est toutefois aussi sexiste que lors de la conversion du monument d'église en caveau de la République, à l'occasion de la mort de Mirabeau, en 1791. En 2013, sur 71 personnalités à reposer sous la coupole, seules deux femmes y sont enterrées : Sophie Berthelot et Marie Curie. Et encore, pour de mauvaises raisons : afin d'accompagner leurs maris dans l'éden démocrate. Comme si Sophie sans Marcellin ou Marie sans Pierre n'auraient jamais pu découvrir ni certains principes chimiques, ni la radioactivité... Las. 

Mais, avec Olympe de Gouges, c'est une tout autre histoire. Elle a eu, comme la philosophe et astronome Hypathie dans l'Alexandrie du IVe siècle, le tort d'être une personnalité hors normes, d'avoir une tête trop bien faite pour son temps, d'être en avance de quelques siècles. Pourtant, rien ne la prédestinait à penser et à vivre autrement que les femmes de son milieu. Cette petite provinciale de Montauban, née en 1748 des amours illégitimes d'un marquis, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, épicurien, ami des lettres et auteur d'une Didon qui en fit à jamais l'ennemi personnel de Voltaire, et d'une fille du peuple, Anne-Olympe Mouisset, aurait dû avoir la vie toute tracée - par l'Eglise - des femmes de la petite bourgeoisie de l'Ancien Régime. A savoir, comme l'a résumé Elisabeth Badinter dans l'Amour en plus, demeurer « une créature essentiellement relative. [La femme] est ce que l'homme n'est pas pour former avec lui, et sous son commandement, le tout de l'humanité ». 

Très peu pour Marie Gouze, qui, mariée à l'officier de bouche Pierre Aubry, contre son gré, à 17 ans, aussitôt mère, puis veuve à l'âge de 18 ans, décide d'être sa propre création. Les premiers actes d'indépendance de cette Occitane autodidacte, qui maîtrise mal le français, comme 90 % de la population d'alors : se forger un nom, écrire et ne plus se marier, car, comme elle l'écrira plus tard : « Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour. » Elle lui préférera un contrat social de l'homme et de la femme, préfigurant, avec plus de deux cents ans d'avance, le Pacs. Désormais, Marie Gouze ne sera pas la veuve Aubry mais Olympe de Gouges. Et cette Olympe-là est décidée à prendre sa revanche sur la vie, à rayonner dans les lettres et dans les idées. Aujourd'hui encore, l'aura de ses Ecrits politiques est plus importante en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon qu'en France. Tout juste si l'on compte quelques lycées et places portant son nom. Pourtant... 

Son destin transgressif est autant révélateur des blocages de son époque que du statut des femmes de son temps : considérées comme abritant aussi peu d'âme que les animaux, les frondeuses, ces politiquement incorrectes pleines d'espoir en la Révolution, finirent décapitées, comme Mme Roland, ou à l'asile, comme Théroigne de Méricourt, après avoir été fessée en place publique par une horde de sans-culottes. Car le paradoxe majeur de la Révolution française, fondée sur l'universalité du droit naturel, est qu'elle écarta des droits politiques et civiques la moitié de la société. 

Pour autant, les combats d'Olympe de Gouges au XVIIIe siècle ne font qu'anticiper tous ceux qui ont agité le XXe et continué d'enflammer ce début de XXIe : lutte contre la tyrannie et pour la justice sociale, combat contre la peine de mort, égalité hommes-femmes... Les activistes des Femen, emprisonnées en Tunisie en raison de leur soutien à la féministe Amina Sboui, ne disent pas autre chose. A leur manière, elles revendiquent, deux cent vingt ans plus tard, le mot d'ordre d'Olympe : « Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de vous en affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. » Et Olympe, éclairée par l'esprit des Lumières, savait de quoi elle parlait. 


Militantisme humaniste 

A son arrivée à Paris, elle rêve de théâtre. Introduite auprès des Comédiens du Français par la marquise de Montesson, épouse morganatique du duc d'Orléans, elle fonde une troupe. La première des 30 pièces qu'elle a écrites, Zamore et Mirza ou l'heureux naufrage, en 1785, traite d'un thème tabou, l'esclavage des Noirs. En critiquant le Code noir alors en vigueur, en osant aborder de manière frontale les problèmes du colonialisme et du racisme, la polémiste s'attire les foudres de la maréchaussée - la bataille d'idées vire au pugilat - et du maire de Paris, qui a tôt fait d'interdire la représentation. 

Olympe évite, pour la première mais pas la dernière fois, l'embastillement. Acte fondateur d'un militantisme humaniste et de l'urgence de l'instauration d'une égalité pour tous, Zamore et Mirza signe l'engagement qui sera celui de sa vie pour la reconnaissance des droits de tous les laissés-pour compte de la société (Noirs, femmes, enfants illégitimes, démunis, malades...). Olympe et son théâtre engagé dérangent. Mais ce sont ses brochures politiques et, plus tard, ses affiches, imprimées à son compte et placardées dans tout Paris, qui signeront son arrêt de mort. 

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791 
 

SOURCE GALLICA 
Les femmes avaient joué un rôle décisif dans le processus révolutionnaire ; la République établie, c'est tout naturellement qu'elles devaient s'abstenir de « politiquer » pour rejoindre leur foyer afin de réconforter ses combattants. Ainsi, le 30 octobre 1793, la Convention déchoit les Françaises de leur statut de citoyennes, accordé par la Législative. Deux ans auparavant, dans l'article I de sa Déclaration des droits de la femme, dédiée à la reine Marie-Antoinette, Olympe de Gouges osait écrire : « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. » En vain. Il leur faudra désormais attendre 1945 pour obtenir enfin le droit de vote ainsi que celui de « monter à la tribune », après avoir eu celui de « monter à l'échafaud ». 

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
 FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791

SOURCE GALLICA 
Mais, en 1788, Olympe croit encore qu'elle peut exercer sa citoyenneté au féminin. Dans le Journal général de la France, elle publie sa « Lettre au peuple », un projet de caisse patriotique par une citoyenne, le premier de ses pamphlets politiques où, s'adressant au roi Louis XVI, elle propose l'instauration d'un impôt volontaire pour endiguer la pauvreté. Une première : «L'homme de la halle, ainsi que la femme de charge, éprouveraient une satisfaction sans égale de voir leur nom à côté de celui d'un prince de sang », conclut-elle, anticipant de cent-vingt six ans la création, en 1914, de l'impôt sur le revenu. Olympe va même plus loin. 

Toujours dans le Journal général de la France, comprenant l'importance de la presse dans l'opinion publique, elle fait part, en décembre 1788, de ses « Remarques patriotiques », un programme de réformes sociales qui imagine une assistance sociale, des centres de soins et d'accueil pour les veuves, les vieillards et les orphelins, des ateliers d'Etat pour les ouvriers sans travail et un impôt, sorte d'ISF avant l'heure, sur les signes extérieurs de richesse (nombre de domestiques, de propriétés, d'œuvres d'art...). 

S'ensuivront des dizaines de brochures et d'affiches où elle milite, entre autres, pour le droit au divorce, la recherche de paternité, la création de maternités, la féminisation des noms de métier, le système de protection maternelle et infantile... Des « élucubrations » qui ne seront mises en place qu'au... XXe siècle, et qu'on attendait si peu de la part d'une femme de son milieu. Même Mirabeau en convient : « Nous devons à une ignorante de bien grandes découvertes. » 

Œuvre de salut public 

Son modernisme extravagant va de pair avec une folle lucidité et une dévastatrice ironie, que ne renient ni notre temps ni les mordantes Sophia Aram d'aujourd'hui. Ainsi déclarait-elle, dans sa « Lettre aux représentants de la nation », en 1789 : « Les uns veulent que je sois aristocrate ; les aristocrates, que je sois démocrate. Je me trouve réduite, comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre demandait, à son dernier soupir : "Etes-vous moliniste ou janséniste ?" "Hélas, répond le pauvre moribond, je suis ébéniste." Comme lui, je ne connais aucun parti. Le seul qui m'intéresse vivement est celui de ma patrie, celui de la France... » 

ÉCOLE FRANÇAISE DU XVIIIE SIÈCLE, PORTRAIT DE MAXIMILIEN ROBESPIERRE, MUSÉE CARNAVALET.
MAXIMILIEN ROBESPIERRE
SOURCE WIKIPÉDIA
Ou déclarait-elle à une troupe armée venue prendre sa tête pour 24 sous, après qu'elle se soit proposée, au nom de son combat pour l'abolition de la peine de mort, comme avocate du citoyen Louis Capet : « Mon ami, je mets la pièce de 30 sous et je vous demande la préférence. » Louis XVI perdit sa tête le 21 janvier 1793. Sauvée par son humour, elle garda la sienne. Pour quelques mois seulement. Car, à la suite du collage dans Paris d'une affiche signée Polyme, l'anagramme d'Olympe, conspuant Robespierre, l'artisan de la Terreur, en des termes inadmissibles pour l'« ami du peuple » - « Tu te dis l'unique auteur de la Révolution, Robespierre ! Tu n'en fus, tu n'en es, tu n'en seras éternellement que l'opprobre et l'exécration... Chacun de tes cheveux porte un crime... Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui du peuple ? » -, Olympe de Gouges, « royaliste constitutionnelle », récidive. 

Elle fait imprimer, le 20 juillet 1793, une affiche bordée de rouge intitulée « Les trois urnes ou le salut de la patrie », où elle ne demande rien de moins que le droit au référendum des Français sur leur futur gouvernement. A charge pour les citoyens de préférer la monarchie, le fédéralisme ou la République. Accusée de remettre en cause le principe républicain, la Girondine est inculpée par le Tribunal révolutionnaire le 2 novembre. L'accusateur Fouquier-Tinville plaide « l'attentat à la souveraineté du peuple ». La cause sera vite entendue. Marie-Olympe de Gouges, veuve Aubry, 45 ans, est condamnée à la peine de mort. La sentence sera exécutée vingt-quatre heures plus tard. La semaine suivante, un commentaire paru dans le Moniteur universel, journal de propagande montagnarde, montre l'étendue de son crime : « Elle voulut être homme d'Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »

Ce 3 novembre 1793, vers 17 heures, en montant à l'échafaud, place de la Révolution, l'actuelle place de la Concorde à Paris, Olympe de Gouges s'écrie : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! » A quelques mois de la célébration du 65e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, osera-t-on enfin rendre justice à cette ennemie de toutes les exclusions, à son œuvre de salut public ? Allez, messieurs les Elus républicains, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace... 


TROIS DATES 

7 mai 1748 

Naissance de Marie Gouze, à Montauban. Elle est la fille adultérine d'Anne-Olympe Mouisset et de l'homme de lettres Jean-Jacques Lefranc de Pompignan. Son père «officiel», Pierre Gouze, un boucher, n'a pas signé l'acte de baptême, ce qui accrédite la thèse du député Jean-Baptiste Poncet-Delpech selon laquelle «tout Montauban» savait que le père naturel de la future Olympe de Gouges était l'auteur de la pièce de théâtre Didon. 

Septembre 1791 

La publication de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, où Olympe de Gouges prône l'émancipation féminine via l'égalité des sexes, est un véritable brûlot. Révolution au cœur même de la Révolution, ce texte, dédié à la reine Marie-Antoinette, la «première des femmes», engage la République à considérer la femme comme une citoyenne à part entière. 

3 novembre 1793 

Arrêtée en juillet 1793 pour avoir violemment interpellé Robespierre dans un texte intitulé «Les trois urnes», Olympe de Gouges est condamnée à mort. Celle qui avait affirmé que, si une «femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune», subira le «rasoir national» avec une dignité qui impressionnera la foule massée sur l'actuelle place de la Concorde.



À LIRE 

Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle,  d'Olivier Blanc, Editions René Viénet. 

Ainsi soit Olympe de Gouges, de Benoîte Groult, Grasset. 

Olympe de Gouges, de Cate&Bocquet, Casterman Ecritures.

mardi 6 mai 2014

MARIE OLYMPE GOUZE DITE OLYMPE DE GOUGES (1748-1793)

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

 MUSÉE VIRTUEL OLYMPE DE GOUGES

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
 FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791
 

SOURCE GALLICA 
Littéralement transfigurée par l'avènement de la Révolution, qui donne sens à son existence, elle se lance dans la lutte pour l'égalité des droits, où s'exprime alors, pour la première fois sous sa plume, un magnifique talent de visionnaire. Jusqu'à la fuite du souverain à Varennes, elle se veut royaliste. Puis elle change d'avis pour revenir à sa première orientation et proposer d'aider Malesherbes dans sa défense de Louis XVI. Pénétrée des manières de l'Ancien Régime, mais n'ayant pas eu accès à ses privilèges, Olympe souffre de toutes les persécutions imaginaires ou réelles qui entravent sa liberté d'agir ou de créer. Quand un chroniqueur ne rend pas compte de ses œuvres, elle le provoque en duel, et quand, en octobre 1791, l'Assemblée constituante produit une Constitution qui exclut les femmes des droits de cité, elle rend public un texte admirable qui fait date dans les annales du féminisme originel.
« QUELLES QUE SOIENT LES BARRIÈRES QUE L’ON VOUS OPPOSE, IL EST EN VOTRE POUVOIR DE LES FRANCHIR ; VOUS N’AVEZ QU’A LE VOULOIR. »   OLYMPE DE GOUGES

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

LE DOODLE GOOGLE DÉDIE EN HOMMAGE À OLYMPE DE GOUGES

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
 FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791

SOURCE GALLICA 
Il s'agit de la fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, calquée point par point sur celle des droits de l'homme. Ce texte est précédé d'un préambule adressé à Marie-Antoinette : « Cette Révolution ne s'opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort et des droits qu'elles ont perdus dans la société. Soutenez, Madame, une si belle cause ; défendez ce sexe malheureux et vous aurez bientôt pour vous une moitié du royaume et le tiers au moins de l'autre. » À l'article 10, Olympe écrit cette phrase étonnante et prophétique : « Une femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »



Arrêtée comme girondine, elle tente en vain de faire croire qu'elle est enceinte pour échapper à la guillotine. Elle est exécutée le 6 novembre 1793, après avoir demandé à la postérité de se souvenir d'elle et de l'action qu'elle avait menée en faveur des femmes et dont elle était certaine qu'elle triompherait.


Élisabeth ROUDINESCO 
Encyclopædia Universalis