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mardi 30 août 2016

L'ARTISTE-PEINTRE CHILIEN JOSÉ BALMES S'EST ÉTEINT


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JOSÉ BALMES

1939, PORT DE TROMPELOUP - PAUILLAC, FRANCE. 2008, SANTIAGO DU CHILI

L’artiste-peintre José Balmes, s'est éteint à l'âge de 89 ans. 
JOSÉ BALMES ET GRACIA BARRIOS
PHOTO ARCHIVE FAMILIALE
La famille de l’artiste-peintre chilien José Balmes a annoncé son décès ce dimanche. Le plasticien d'origine catalane, s'est éteint à son domicile à Santiago du Chili.

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«LE PEUPLE UNI NE SERA JAMAIS VAINCU»
AFFICHE JOSÉ BALMES 1974 
La nouvelle a été confirmée par le Ministre de la Culture, Ernesto Ottone, qui a manifesté son chagrin sur son compte Twitter : « L’immense José Balmes nous a quitté, l'un des plus grands maîtres. Nous nous rappellerons de ton courage, de ta conséquence, et de ton génie », a écrit le secrétaire d'État sur le réseau social.

En hommage au peintre chilien, la Présidente Michelle Bachelet a décrété un deuil national en ce mardi 30 Août.

L’enfant du Winnipeg 

L’ENFANT DU WINNIPEG JOSÉ BALMES
 À TROMPELOUP - PAUILLAC, FRANCE.
José Balmes Parramón, artiste-peintre, est né le 20 janvier 1927, à Montesquiu en Catalogne, Espagne.
Il a douze ans quand il part avec sa famille pour le Chili à bord du Winnipeg, en tant que réfugié de la Guerre Civile espagnole.   

Affrété en France, à l'initiative du poète chilien Pablo Neruda, le Winnipeg avait permis à plus de 2000 réfugiés de fuir la guerre civile espagnole.

José a fait ses études secondaires au Lycée Manuel Barros Borgoño et ses études supérieures à l'École d'art de l'Université du Chili à Santiago du Chili.

Il intègre en 1943 les Beaux-Arts du Chili et obtient la nationalité chilienne en 1947.

Entre 1943 et 1949 il étudie à l'École d'art de l'Université du Chili. Il fut élève de Pablo Burchard.

Il se marie avec l’artiste Gracia Barrios en 1952, avec qui il a une une fille, Concepción, artiste-peintre comme ses parents ;  puis il fonde le groupe d’art informel « Signo » avec son épouse et les peintres Alberto Perez, Eduardo Bonatti, Gracia Barrios, Gustavo Poblete, Guillermo Nuñez et Hardy Wistuba, entre autres.

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COUVERTURE REVUE 
«ARAUCARIA DE CHILE Nº 12» 
PINTURE DE JOSÉ BALMES
Ils présentent leurs œuvres à Barcelone, Madrid et Paris. 

Son univers pictural combatif et coloré s’inspire de la politique chilienne de son époque. En effet, Balmes soutient le gouvernement de l’Unité Populaire de Salvador Allende.

Militant du Parti communiste, en 1973 il est contraint à partir en exil à Paris avec sa famille. 

Lors de son exil en France, il sera professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Et il participe à de nombreuses expositions individuelles et collectives.  

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POCHETTES D'ALBUMS GRAPHIQUES
ET ORIGINAL DE JOSÉ BALMES 
Les apports de Balmes à la graphique de l'exil chilien et des peuples en lutte ont été nombreux, depuis l'affiche emblématique « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » en passant par les nombreuses couvertures de vinyles, revues et publications telles que Araucaria de Chile, jusqu'au théâtre avec la création des costumes pour le spectacle Quelle heure peut-il être à Valparaiso?  au Nanterre-Amandiers (24-01-1975) du Metteur en scène Pierre Debauche. Il collabore également dans les travaux de la brigade muraliste Salvador Allende de France.

Après être rentré au Chili, dans les années 80, Balmes compte déjà un bagage et une trajectoire importante au niveau international comme peintre et académicien.  

En 1986, Balmes revient au Chili, où il reçoit de multiples distinctions. En 1999, il est récompensé au Chili par le Prix national d'arts plastiques et le Prix Altazor en 2002. 

Le 5 mai 2009, alors Directeur du Musée de la Solidarité Salvador Allende, il reçoit  la médaille de « Chevalier des arts et des lettres » en guise de reconnaissance pour sa trajectoire internationale et les liens de travail et d’amitié durables noués avec la France.

 En 2012, le réalisateur Pablo Trujillo Novoa réalise un documentaire sur sa vie, Balmes, « El Doble Exilio de la Pintura », (Le Double Exil de la Peinture). 



JOSÉ BALMES, L’UN DES PLUS GRANDS PLASTICIENS CHILIENS

BIEN APRÈS LA DICTATURE, JOSÉ BALMES, ALORS ÂGÉ DE 72 ANS,
RÉVÉLAIT QU'IL ÉTAIT ENCORE L'OBJET DE MENCAS DANS
SON QUARTIER DE SANTIAGO.
PHOTO CRIS BOURON 
Le monde artistique s’est réveillé en deuil, hier matin, après la mort, à 89 ans, du grand peintre communiste, par deux fois exilé. 
Magali Jauffret
Ses tableaux monumentaux, pleins de la forte charge émotive de ses inquiétudes politiques et sociales, dont il revivait le passé tout en travaillant le présent, n’étaient pas aussi abstraits qu’on pourrait le penser. En haut, la Catalogne, en bas le Chili, au milieu, des lignes qui se croisent avec des taches, des flèches, des signes. On dirait du Cy Twombly, au sens où la traduction plastique de son impulsion n’est jamais illustrative, ni uniquement abstraite. Ses Petits Pains, fragments sexués du corps féminin peints avec énergie, violence et contrecollés sur toile ou sacs à farine, brisent le cloisonnement entre peinture et dessin, restent en retrait des débats concernant la figure.

Les poèmes de Pablo Neruda inspiraient ses œuvres

Ses acryliques sur papier inspirées des poèmes de Neruda traitent plastiquement du drame des sacs de cadavres jetés dans les flots depuis des avions. Ses puissants arbres grand format sur toile brute, baptisés Arbre feu, Arbre poing, Arbre du mort nu, résonnent comme autant de secousses convoquant le politique. Comme le disait Raoul-Jean Moulin, « sa peinture ne cherche pas à reproduire le réel, mais à produire le sens du réel ».

L’homme, fils de républicain espagnol, communiste, ami de Pablo Neruda et de Salvador Allende, devint doyen de l’Académie des beaux-arts de Santiago, après avoir couvert les murs de la cité de ses collages résistants au moment du coup de force de Pinochet. Il aura vécu toute sa vie entre deux exils, trois pays (sa Catalogne natale, le Chili, où il s’exila en 1939 pour fuir Franco, la France, où il se réfugia après le coup d’État) et une résistance obstinée à l’oubli. À Paris, où il fut accueilli dès 1973 à la Ruche, lieu de vie et de création des plus grands artistes niché au cœur de Montparnasse, il exposa à plusieurs reprises, notamment ses Déchets d’oubli et de mémoire, ses Protestats, et fut professeur à la Sorbonne.

L’aventure du cargo Winnipeg

José Balmes était l’un des derniers survivants de la traversée transatlantique partie de Pauillac-Trompeloup pour le Chili, le 3 août 1939, à bord du cargo Winnipeg, affrété par l’État chilien. À son bord, 2 500 républicains espagnols. À la chute de la République, en février, quelque 450 000 d’entre eux avaient franchi les Pyrénées, où ils avaient été accueillis… dans des camps. À Santiago, le président de Front populaire, lui, décide d’attirer dans ce pays en pleine expansion ces cousins espagnols défaits par Franco. Il dit à Neruda : « Ramène-moi des Espagnols. Pas des intellectuels, mais des mineurs, des pêcheurs, des ouvriers. »

Neruda trouve des volontaires. Les réveils se font au son de l’Internationale, un début d’épidémie est jugulé dans l’hôpital de bord tenu par la fille de Marcel Cachin, une chorale basque rompt la monotonie de la traversée. Dans un film de Jean Ortiz, des survivants racontent que deux des plus grands peintres chiliens, José Balmes et Roser Bru, étaient sur le Winnipeg.

En 1987, José Balmes est présent, à Paris, lors du lancement des états généraux de la culture de Jack Ralite. Il rentre au Chili, contacte douze intellectuels pour tenir une conférence de presse s’appuyant sur ce texte. « On risque l’arrestation », lui répondent ces derniers. Réaction de José Balmes : « Si ce n’est pas moi, alors qui ? Si ce n’est pas moi, alors quand ? » Après une mémorable conférence de presse, 467 manifestations culturelles eurent lieu à Santiago en 1988 !

lundi 22 août 2016

POURQUOI LES CHILIENS EXIGENT-ILS UNE REFONTE DE LEUR SYSTÈME DES RETRAITES?

Une crainte pour les uns, une réalité pour Augustino Zapata, âgé de 77 ans. Depuis qu’il a arrêté son métier de maître charpentier dans la construction, il vit avec 160 euros par mois. « Et dans trois mois, mon AFP me coupe ma pension, explique-t-il, excédé. Ils m’ont soi-disant versé tout ce que j’avais cotisé, après 30 ans de cotisations. » Berta Machuca, son épouse âgée de 72 ans, tape sur une casserole vide avec un petit bout de bois, symbole de leur misère. Et d'avouer : « Je fais les marchés pour que les gens me donnent des fruits et des légumes. Après 35 ans de cotisations, je reçois 120 euros par mois. »

Malgré les airs de fête de la deuxième manifestation familiale pacifique qui a coloré dimanche l’artère principale de Santiago et les rues de toutes les villes du Chili, après une première manifestation le 24 juillet, c’est une colère noire qui domine la foule. Une colère qui gronde aujourd’hui contre un système unique au monde, imposé en 1981 par la dictature d’Augusto Pinochet, le Chili étant le premier pays au monde à adopter les fonds de pension.

Les Chiliens se sentent floués par le système

Géré par six entreprises privées appelées Administratrices de fonds de pension (AFP), ce système promettait d’offrir aux travailleurs chiliens de meilleures retraites, et même 100 % de leur salaire, comme le titrait le journal de droite El Mercurio en 2000. La réalité est toute autre : un retraité chilien reçoit en moyenne 270 euros par mois, neuf Chiliens sur dix gagnant même moins de 209 euros, loin derrière les 345 euros que représente le salaire minimum, déjà peu élevé au regard du coût de la vie.

« Personne ne peut vivre avec moins de 345 euros par mois », martèle Cristian Saria, 35 ans, tout en poussant la poussette de son bébé, bardée d’un grand panneau « No mas AFP ». « Nous ne voulons plus des AFP. » « Si je suis à charge de ma fille quand je serai vieux, comment fera-t-elle pour vivre ? »

Chaque mois, les AFP reçoivent les cotisations obligatoires des Chiliens, qui s’élèvent à 10 % de leur salaire, auxquels s’ajoute une commission de gestion de 1,15 % en moyenne. « De trois pesos cotisés, explique la professeure d’anglais Carola Sabia, qui tient son caniche dans les bras, il nous revient seulement un peso, un tiers de notre cotisation. Le reste tombe directement dans les poches des AFP et est investi dans les grandes entreprises du pays. »

Une mobilisation qui n'en est qu'à ses débuts ?

Luis Torres, mécanicien, qui avoue manifester pour la première fois, s’écrie : « Nous sommes fatigués, fatigués d’être volés chaque mois de manière légale pour remplir les poches des grands chefs d’entreprises de notre pays. » Tandis que les Chiliens s’appauvrissent en vieillissant, les AFP s’enrichissent en effet de plus en plus. « Sur les vingt dernières années, elles ont présenté une rentabilité annuelle moyenne de 26,3 % », souligne Benjamin Saez, chercheur de la Fondation Sol, un think tank dédié aux questions de travail, de syndicalisme et d’éducation.

Benjamin Saez précise que cela équivaut « à plus de 2 millions d’euros par jour en 2015. Cette même année, 45 membres de leurs directions ont reçu la modique rémunération annuelle moyenne de plus de 84 000 euros. » Or, sur les cotisations que reçoivent les AFP, seules 40 % sont redistribués sous forme de retraites. « Quant au 60 % restant, la moitié tombe dans la poche des AFP, précise Manuel Riesco, économiste de Cenda, un centre de recherches en économie, et l’autre tombe directement dans celle des grands groupes financiers chiliens, sous forme d’investissement à très bas taux d’intérêt. »

L'économiste explique que ce système a été créé pour cette raison, « pour soutenir le modèle économique chilien ». Alors, pour réformer ou mettre à bas ce « vol » ou cette « arnaque », comme disent les manifestants, ces derniers ne comptent pas sur leurs représentants politiques, dans un contexte où les scandales de corruption ne cessent de les éclabousser. Pas plus qu’ils ne croient aux réformes proposées par la présidente socialiste Michelle Bachelet il y a deux semaines, une présidente soutenue par seulement 15 % de la population selon un dernier sondage.

« La seule manière d’arrêter les abus, c’est de descendre dans la rue », lance Augustino Zapata. « Cette mobilisation n’est qu’un début ! », promet-il.

LE CHILI MANIFESTE CONTRE LE SYSTÈME DE RETRAITE


LE CHILI MANIFESTE CONTRE LE SYSTÈME DE RETRAITE
PHOTO RICARDO ALISTE
Malgré les airs de fête de la deuxième manifestation familiale massive qui a coloré hier l’artère principale de Santiago et les rues de toutes les villes du Chili, après une première mobilisation le 24 juillet, c’est une colère noire qui domine la foule. Une colère qui gronde aujourd’hui contre un système de fonds de pension, imposé en 1981 par la dictature d’Augusto Pinochet, le Chili étant le premier pays au monde à adopter les fonds de pension.

Géré par six entreprises privées appelées «Administrations de fonds de pension» (AFP), le système offre des retraites misérables: moins de 300 francs en moyenne par mois. Neuf retraités sur dix reçoivent moins de 230 francs, loin derrière les 375 francs suisses que représente le salaire minimum, déjà peu élevé au regard du coût de la vie.

La cotisation de 10% à laquelle s’ajoute une commission de gestion de 1,15% en moyenne est obligatoire pour tout salarié. «Mais de trois pesos cotisés, s’époumone la professeure d’anglais Carola Sabia, au milieu des sifflets, il ne nous revient qu’un peso. Les deux restants tombent dans les poches des AFP et sont investis dans les grandes entreprises du pays.»

«Sur les vingt dernières années, explique Benjamin Saez, chercheur du think tank Fondation Sol, les AFP ont obtenu une rentabilité annuelle moyenne de 26,3%. En 2015, elles présentaient des revenus équivalant à plus de 2 millions de francs par jour!» Et de conclure: «Ce système n’a pas été créé pour donner des retraites dignes mais pour insuffler du capital aux grandes entreprises. Ce sont les retraites de tous les Chiliens qui ont permis «le miracle économique chilien.»

Face à une classe politique décrédibilisée par les scandales de corruption, qui touche même la présidente socialiste Michelle Bachelet, soutenue par à peine 15% de la population, les Chiliens considèrent que seule la mobilisation peut leur permettre d’obtenir une refonte de leur système de retraite. «C’est tout ce qu’il nous reste!» s’écrie Luis Bustamante, un manifestant.

(TDG)

samedi 20 août 2016

MATTHIEU MURUA, RIMES ANDINES


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MATTHIEU MURUA
PHOTO SAMUEL KIRSZENBAUM 
D’origine chilienne par son père, ce garçon de café parisien se passionne pour la civilisation mapuche et a traduit son plus grand poète.

Cravate rouge tendance groseille, chemise
ELICURA ELIKURA CHIHUAILAF
 PHOTO HÉCTOR GONZÁLEZ DE CUNCO
immaculée, long tablier blanc qui descend aux chevilles, Matthieu Murua est serveur dans un café-brasserie de la rue de Buci, à Paris. «Es el plato del día ?» demande une touriste. Matthieu répond dans la même langue, traduit illico la carte, confit de canard, salade minceur, tout cela avec aisance et dans un espagnol qui me semble parfait. Qui est-il ? D’où vient-il ? Sud-Américain, Madrilène, fils de réfugiés ? Ce jeune homme m’a alpagué sur la terrasse de son lieu de travail. C’était il y a quelques mois, on sortait de l’hiver. Dans sa main, un manuscrit aux feuilles blanches reliées où je lis en couverture : «Message confidentiel aux Chiliens.» Bigre ! Un garçon de café écrivain ! Bien sûr que ça m’intéresse. «Je ne suis pas écrivain, je viens juste de traduire le livre d’un des plus grands poètes chiliens d’aujourd’hui. J’aimerais que vous le lisiez et, si cela vous plaît, conseillez-moi pour une maison d’édition.»



Le genre de mission qui m’enchante : devenir l’ange messager, celui qui relie ceux qui ne se connaissent pas et ne se rencontreront jamais. J’entame le soir même ma lecture alors que le nom énigmatique de son auteur, Elicura Chihuailaf, m’intrigue. Pourtant, l’homme qui a écrit ces phrases lumineuses, sévères envers le Chili, m’apparaît hors du commun. Je découvre une exigence d’écriture qui parle d’une voix ferme et solennelle au nom d’un peuple et pour un peuple. «La douleur pour l’injustice est inquantifiable. Et la poésie, qui trouve son origine dans la mémoire de la terre, est un salut pour l’avenir. Comme je vous l’ai dit, mes grands-parents, mes parents, les miens, ceux qui m’ont légué la culture de mes ancêtres, m’ont enseigné la plus extraordinaire des richesses : la parole.» C’est ce qu’écrit Elicura Chihuailaf, qui ne manque pas d’ajouter : «Je suis d’abord mapuche, chilien ensuite.» Qu’est-ce que les Mapuches ? Je pense aux Kurdes disséminés sur quatre Etats au Moyen-Orient, aux Basques… Je calligraphie «Mapuche» sur mon clavier azerty. Réponse : «Peuple premier vivant dans les régions du sud du Chili et de l’Argentine actuels, installé là depuis des siècles, bien avant l’arrivée des Conquistadors.» Les Mapuches revendiquent des terres qu’ils considèrent volées, comme ce fut le cas pour les Indiens d’Amérique du Nord, comme les paysans mexicains spoliés en début de siècle. «Notre combat subit aujourd’hui la menace de l’oubli. Les puissants ont décrété pour nos guerriers la pire des morts : celle qui consiste à nous effacer du cœur et des esprits des nôtres», proclamait déjà Emiliano Zapata en 1910. Déclaration validée par les Mapuches. «Actuellement, m’explique Matthieu Murua, les Mapuches sont 800 000. Leur langage est une langue orpheline. Elicura Chihuailaf est issu de ce peuple et écrit dans sa langue, le mapudungun, et bien sûr en castillan. Il a obtenu le prix national de littérature et de poésie et est considéré comme un des plus grands poètes du pays.» Matthieu le garçon-serveur de l’Atlas a un petit sourire, respire une seconde et ajoute : «Je suis devenu son gendre.»

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COUVERTURE DU LIVRE
 «RECADO CONFIDENCIAL A LOS CHILENOS»
Ainsi se dévoile et s’explique la souciance qu’a pu avoir un jeune Français ordinaire né aux Sables-d’Olonne pour un homme vivant de l’autre côté de la cordillère des Andes, à presque 12 000 kilomètres de la brasserie où il travaille. Où s’est forgé le lien miraculeux pour que ces deux-là se rencontrent ? Je suis épaté par la fluidité du français employé par Matthieu Murua, ses arborescences, les rapports à l’invisible qui trament ce livre de combat : car la lutte et l’invisible sont indissociables de la culture mapuche. Qui est donc ce garçon qui sert la journée des diabolos menthe et, la nuit, traduit avec style et limpidité le texte complexe et ciselé d’un poète chilien ?

«Venu de Santiago, mon père est arrivé en France en 1973. Il n’a jamais su ou voulu me dire les raisons de son exil. La mort brutale de Salvador Allende ou l’arrivée meurtrière du dictateur Pinochet ? Il nous laissa entendre longtemps des origines mapuches, ce qui s’est révélé faux. Mais c’est cela qui m’a amené à faire une fixation sur l’Amérique du Sud afin de savoir qui étaient ces gens et ce peuple. Vite, je lus la poésie d’Elicura… J’ai su qu’il me fallait aller là-bas.»

Après le bac, Matthieu s’inscrit à Paris-IV, fréquente les cours de philo, apprend à parler le Deleuze couramment, rêve de devenir voyageur, écrivain… Bref, une crête iroquoise sur le crâne, il écoute la Souris déglinguée, Bratsch et les Bérurier noir, lit Kerouac, Fante, Pessoa («Il me donnait une réponse à la multiplicité des désirs»), va voir le Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, la Jetée de Chris Marker, tous les Jarmusch… Avec une caméra, dans Paris, il traque «les émotivités du quotidien», puis traverse la France en stop. Il a 20 ans. Le soir, sur les places provençales, face aux regards ébahis des avaleurs de rosé, il se fait cracheur de feu ! C’est quoi la recette ? «Prendre du kerdane, un pétrole plus raffiné que le white-spirit, se mouiller les cheveux, s’enduire le visage d’Homéoplasmine. Et de temps en temps, se brûler !»

Un jour, il faut partir. Au plus loin. Par delà les volcans, comme Mermoz et Saint-Ex. S’introduire dans les dédales du puzzle cosmique que nous invente l’existence ? Eté 2001, c’est d’abord Buenos Aires puis, à travers une pampa aride, sac à dos et sandales, il atteint son graal : Santiago. Il a en poche un numéro de téléphone donné par un certain Guillermo, ce qui va lui offrir une clé pour s’introduire dans le cercle clos des Mapuches. Vite, il part ensemencer la campagne et se fait paysan : la terre, la chaleur, les pluies. A Nueva Imperial, chez le chef d’une communauté mapuche, il s’initie à l’apiculture, garde des troupeaux. Lorsqu’un jour il faut transporter en altitude une truie et un réfrigérateur, une inconnue surgit pour conduire le break : celle qui tient le volant se nomme Gabriela, brune et jolie, elle est la fille d’Elicura Chihuailaf ! Ultime chaînon manquant, la réciprocité est immédiate, ils tombent en amour. Quelques années plus tard, Gabriela, enceinte, sera du voyage pour Paris. Deux petits Mapuches, Oscar puis Victor, vont naître sur le sol de France. Urgence travail ! En 2010, le serveur de brasserie, pas encore traducteur, prend son service.

Virée initiatique terminée, un homme aura traversé un océan puis enjambé une chaîne de montagnes afin de rencontrer un peuple, son poète et en prime un amour. Certains appelleraient ça le destin, d’autres, une succession heureuse de hasards. L’un des cinéastes adulés dans sa jeunesse par Matthieu Murua, Chris Marker, m’a dit un jour, nonchalant, sur un trottoir de la place Dauphine : «Il n’y a pas de hasard, seulement des miracles !» Destin ? Hasard ? Miracle, ça a de la gueule.

Photo Samuel Kirszenbaum

Yves Simon

lundi 15 août 2016

GEORGES SÉGUY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CGT DE 1967 À 1982, EST MORT


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GEORGES SEGUY, GEORGES MARCHAIS, FRANÇOIS MITTERRAND, À LA
MANIFESTATION CONTRE LE COUP D'ÉTAT AU CHILI
LE 12 SEPTEMBRE 1973 À PARIS, FRANCE.

DÉCÈS - Georges Séguy, qui a dirigé la CGT de 1967 à 1982, est décédé samedi à l'âge de 89 ans à l'hôpital de Montargis (Loiret), a-t-on appris ce dimanche 14 août auprès de l'Institut d'histoire sociale (IHS) de la CGT, dont il était président d'honneur. 
«DÉCÈS - Georges Séguy, qui a dirigé la CGT de

1967 à 1982, est décédé samedi à l'âge de 89 ans à l'hôpital de Montargis (Loiret), a-t-on appris ce dimanche 14 août auprès de l'Institut d'histoire sociale (IHS) de la CGT, dont il était président d'honneur.».

« Je perd un ami », a tweeté Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste. "L'engagement de Georges Séguy à la fois à la CGT et au PCF était « une nécessité pour marcher sur ses deux jambes : défendre les droits des travailleurs et changer la société », a-t-il indiqué à l'AFP.

Alors que les hommages venant du monde politique se multiplient sur les réseaux sociaux, Pierre Laurent rappelle les nombreux combats de l'ancien responsable syndical, "pour le droit des salariés (y compris dernièrement contre la loi El Khomri) », pour le désarmement nucléaire, l'égalité homme-femme, « pour une société du commun, du partage des richesses et des savoirs ».

François Hollande a rendu hommage à « un homme sincère et passionnément attaché à la justice sociale »« Durant toute sa vie, il incarna un syndicalisme offensif. Prêt à engager des luttes mais aussi à négocier de bons compromis. Il participa ainsi à de nombreuses avancées sociales dans notre pays », écrit le chef de l'État dans un communiqué.


Sa jovialité, son accent chantant, son sens de la répartie autant que sa pugnacité, avaient valu une grande popularité à Georges Séguy, dont le nom restera pour bien des militants associé aux accords de Grenelle de 1968 et à l'esprit d'ouverture du congrès de Grenoble de 1978.

C'est après cette tentative d'ouverture en direction des socialistes que ce grand résistant, entré à l'adolescence dans les rangs du Parti communiste, avait été écarté politiquement. En 1982, il avait quitté à la fois le Bureau politique du PCF et la direction de la centrale, en invoquant des raisons de « convenances personnelles" pour couper court aux rumeurs de désaccord d'ordre politique.

Un résistant déporté très jeune

Né le 16 mars 1927 à Toulouse dans une famille ouvrière - son père, militant communiste, est responsable du syndicat CGT des cheminots -, Georges Séguy entre à 15 ans comme typographe dans une imprimerie travaillant pour la Résistance.

Adhérent de l'organisation clandestine des Jeunesses communistes, il est arrêté par la Gestapo et sera l'un des plus jeunes déportés FTP de France. Arrivé en février 1944 au camp de concentration de Mauthausen (Autriche), il y reste 15 mois. A son retour en France, Georges Séguy entre à la SNCF et participe activement comme militant aux grèves de 1947. Son ascension politique et syndicale sera fulgurante : en 1954, il est élu au comité central du PCF et, seulement deux ans plus tard, entre au bureau politique. Il n'a que 29 ans.

Sorti de son silence pour l'affaire Lepaon

Sur le plan syndical, Georges Séguy devient en 1961 secrétaire général de la fédération des cheminots, l'une des plus importantes avec celles de la métallurgie et de l'EGF (électricité et gaz). Entré en 1965 au bureau confédéral de la CGT, il succède en 1967 à Benoît Frachon au poste de secrétaire général. Il vient de fêter son quarantième anniversaire.




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LE 27 MAI 1968, GEORGES SÉGUY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CGT (À DROITE), SE PRÉPARE À NÉGOCIER AVEC LE PREMIER MINISTRE GEORGES POMPIDOU (À GAUCHE) ET LE SECRÉTAIRE D’ÉTAT À L’EMPLOI JACQUES CHIRAC (AU CENTRE). PHOTO STF/AFP


Un an plus tard, ce sont les événements de mai 68, les barricades, neuf millions d'ouvriers en grève, la révolte étudiante, De Gaulle ébranlé. Lors des difficiles négociations de Grenelle, Georges Séguy, au nom de la CGT, affronte Georges Pompidou, Premier ministre. Sous les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, la CGT, alors au faîte de sa puissance, mènera sous sa houlette une lutte permanente contre la politique contractuelle lancée au début des années 1970 par Jacques Delors, alors conseiller social du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas.

Plus récemment, Georges Séguy était sorti de son silence en décembre 2014 pendant l'affaire Thierry Lepaon, son lointain successeur poussé à la démission après un scandale sur son train de vie. Dans une courte tribune dans l'Humanité, il exhortait la relève à « préserver la cohésion de la CGT et son aptitude à poursuivre efficacement la lutte pour la défense des intérêts des travailleurs ». Après son retrait de la scène publique, il s'était installé dans sa maison du Loiret, soignant jardin et potager. Il avait perdu son épouse en mars 2015 et résidait depuis en maison de retraite.