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vendredi 31 janvier 2014

CHILI: LE GÉNÉRAL SERGIO JIMÉNEZ, INCULPÉ POUR L'ASSASSINAT DU PROFESSEUR LEOPOLDO BENÍTEZ

LEOPOLDO BENÍTEZ HERRERA 
Quarante ans après l’assassinat de Leopoldo Raúl Benítez Herrera, un juge a inculpé le responsable présumé. Le juge Hernán Crisosto a mis en accusation le géneral retraité Sergio Jiménez Albornoz pour la mort de Leopoldo Benítez le 17 septembre 1973.


Le magistrat de la Cour d'Appel de Santiago chargé de l’affaire, Hernán Crisosto, a dicté une mise en accusation pour l'homicide qualifié de Leopoldo Benítez Herrera, assassiné le 17 septembre 1973.

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LE PROFESSEUR LEOPOLDO BENÍTEZ HERRERA
Le jugement indique que « dans le cadre d'une répression sélective des sympathisants du gouvernement déchu, un groupe d'effectifs appartenant à l'École de Sous-officiers de Carabiniers, à l'époque "Centre de Perfectionnement des Sous-officiers", sous le commandement d'un officier, procéda à la perquisition du domicile et  à la capture de Leopoldo Benítez, contre  son gré, dans un autocar de Carabiniers ».

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L'ANCIEN  GÉNÉRAL  CHILIEN 
SERGIO JIMÉNEZ ALBORNOZ, 
ACCUSÉ  DE  L'HOMICIDE DE 
LEOPOLDO BENÍTEZ HERRERA 

Le 24 septembre 1973, le corps sans vie de Benítez Herrera fut trouvé par des parents, dans le service Médico-légal de Santiago. Selon le rapport d'autopsie,  la mort avait été causée par « des blessures multiples par balle ».

Conformément à l'expertise de la Cour, ces faits «sont constitutifs du délit d'Homicide Qualifié sur la personne de Leopoldo Raúl Benítez Herrera, prévu et sanctionné dans le cadre de l'article 391 N° 1° du Code Pénal, en vigueur au moment des faits, qui prouve que des tiers lui ont donné la mort par traîtrise, en l'abandonnant sur la voie publique ».

ARRESTATION DE MARIE EMMANUELLE VERHOEVEN À HAMBOURG

Lors de son passage au Nicaragua en 1984, où elle était représentante d'une ONG française soutenant les mouvements de libération d'Amérique latine, Marie Verhoeven aurait fait la connaissance de plusieurs combattants chiliens et se serait liée d'amitié avec les hommes qui ont constitué plus tard l'hiérarchie du FPMR, scindé du Pc en 1987. Arrivée au Chili en 1985, Mme Verhoeven se serait mis en couple avec un officier du FPMR, et c’est dans sa maison de la rue Brasil, à Santiago, que se réunissait la direction nationale du Front en 1986 et 87.

Selon la police d’investigations chilienne, PDI, sous le nom de guerre de « commandante Ana », Marie Verhoeven faisait partie de la direction nationale du FPMR quand Jaime Guzmán a été assassiné, le 1er avril 1991. Elle était alors le numéro 6 dans l’organigramme du FPMR, chargée d'intelligence et ensuite porte-parole. D’après l’enquête, elle aurait aidé les auteurs de l'attentat dans leur fuite.

Et pourtant, les anciens militants de l’appareil armé ne reconnaissent pas Marie Verhoeven comme une des siens, démentent qu’elle ait eu des responsabilités et l’identifient tout au plus comme une sympathisante qui aurait approché quelques dirigeants par ses contacts personnels avec l’un d’eux. Elle aurait alors eu accès à des renseignements sensibles qu’elle aurait pu transmettre aux autorités de l’époque. 

Le rôle précis de Mme Verhoeven demeure très ambigu, car des officiers de la PDI en charge de l’enquête ont déclaré qu’elle aurait été depuis début des années 90 une informatrice des services d'intelligence de la naissante démocratie. Certains proches du dossier ont laissé entendre qu’elle aurait été exfiltrée avec l’aide des policiers chiliens. Marie Verhoeven avait quitté le Chili en 1995 et elle est réapparue en 2010 à Nantes, ville du nord de la France. 

Le ministère public d’Hambourg est maintenant dans l’attente de la demande formelle d’extradition du Chili de l’hypothétique ancienne combattante.

Complice objective du sanglant putsch de 1973 et à la fois héritière de la longue dictature, la droite politique chilienne, pour laquelle le sénateur assassiné est une sorte de martyr, met un point d’honneur à la capture des coupables du meurtre et en a fait un objectif politique. Elle cherche aussi à démontrer l’amateurisme et les erreurs de son adversaire politique —la Concertation, la coalition du centre-gauche—, dans la gestion de la sécurité publique et la neutralisation des ex-combattants. Elle s’attend même à prouver des accointances coupables entre les responsables de la Concertation en poste à l’époque et les anciens militants des groupes armés qu’ils devaient désarticuler.

Plusieurs responsables de l’UDI, le parti de Guzmán, sont aujourd’hui, et encore pour quelques semaines, ministres ou occupent des postes de responsabilité à l’exécutif. Andrés Chadwick Piñera, ministre de l'intérieur —qui est au Chili le premier ministre—, cousin du président, ancien collaborateur de Pinochet, avocat, dirigeant du parti UDI et disciple de Jaime Guzmán, est par ailleurs associé et copropriétaire du cabinet d’avocats chargé des intérêts de la famille du sénateur Jaime Guzmán, partie civile du dossier.

Cette configuration singulière suffirait peut-être dans d’autres latitudes à constituer un flagrant conflit d’intérêts, et le seul fait qu’un membre du gouvernement prenne partie d’un dossier concernant son cabinet d’avocats soulèverait sûrement des questions sur de l’indépendance et l’impartialité de la justice.

La procédure judiciaire et administrative qui vient d’être entamée entre Santiago et Hambourg suit maintenant son cours, et elle va sans doute durer plusieurs semaines.

mardi 28 janvier 2014

PETE SEEGER - ESTADIO CHILE


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« ESTADIO CHILE » : TEXTE DE VICTOR JARA 1973. ARRANGEMENT MUSICAL DE PETE SEEGER 197), ENREGISTREMENT MIGHTY OAK MUSIC LTD, À LONDRES, ANGLETERRE 1975.
 DURÉE : 00:03:15   

    PIONNIER DE LA MUSIQUE FOLK, PETE SEEGER EST MORT

    VICTOR JARA 
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    « ESTADIO CHILE » : TEXTE DE VICTOR JARA 1973. ARRANGEMENT MUSICAL DE PETE SEEGER 197), ENREGISTREMENT MIGHTY OAK MUSIC LTD, À LONDRES, ANGLETERRE 1975.  DURÉE : 00:03:01 


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    PETE SEEGER, NÉ LE 3 MAI 1919 À NEW YORK ET MORT LE 27 JANVIER 2014 À NEW YORK, EST UN MUSICIEN AMÉRICAIN, PIONNIER DE LA MUSIQUE FOLK. PHOTASSOCIATED PRESS 
    Engagé dans lutte pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, Pete Seeger est considéré comme un des pionniers de la musique folk, au même titre que son ami Woody Guthrie. Inspirés des spirituals afro-américains, ses chansons If I had a Hammer ou Where have all the flowers gone co-écrites avec Guthrie sont devenues des classiques du répertoire américain.
    Elles ont fait l’objet de nombreuses reprises et adaptations par des artistes étrangers, de Claude François en France (Si j’avais un marteau) ou Graeme Allwright (Petites boîtes) au Chilien Victor Jara ou encore Marlene Dietrich (Sag mir wo die Blumen sind). Pete Seeger a aussi popularisé l’hymne du mouvement de défense des droits civiques aux Etats-Unis, We Shall Overcome.

    SULFUREUX, INTERDIT DE TÉLÉVISION 
    En 1961, Pete Seeger a rejoint les rangs de la major Columbia. Mais il est sulfureux, toujours interdit de télévision, même aux côtés de la nouvelle génération qui s'en méfie. En 1967, il écrit une chanson contre la Guerre au Vietnam, Waist Deep in the Big Muddy, qui sera encore une fois censurée à la télévision. A la fin des années 1960, il monte un projet écologique : un voilier où des musiciens sont embarqués part en croisade pour le retour à la pureté des eaux de l'Hudson River. Il monte l'organisation Hudson River Sloop Clearwater, dénonce le rejet de PCB par General Electric, et crée avec son épouse, Oshi (qui décédera en 2013) un festival, le Clearwater. VÉRONIQUE MORTAIGNE, JOURNALISTE AU MONDE
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    Avec son groupe The Weavers ou seul accompagné de sa guitare à douze cordes ou de son banjo, il avait séduit un large public, plutôt marqué à gauche, aussi bien avec ses chansons engagées que ses mélodies enfantines et des hymnes faciles à reprendre en chœur. Mentor dans les années 1960 de Bob Dylan, Joan Baez ou du groupe Peter, Paul and Mary, son répertoire a plus tard inspiré un album de Bruce Springsteen en 2006, le seul album de reprises que le Boss ait jamais enregistré, We Shall Overcome : the Pete Seeger Sessions.
    Lors d’un concert organisé à Madison Square Garden à New York pour son 90ème anniversaire, Bruce Springsteen l’a présenté comme «la légende vivante de la musique et la conscience de l’Amérique, un témoin du pouvoir de la chanson et de la culture pour donner un coup de pouce à l’histoire», a rappelé le New York Times.
    L'HUDSON RIVER SLOOP CLEARWATER 
    Dans les années 1980 et 1990, il continue à se produire, notamment avec Arlo Guthrie, le fils de Woody (mort en 1967). Il reçoit en 1993 un premier Grammy Award, puis un second en 1997 pour son album Pete. Le 18 janvier 2009, Pete Seeger chante pour l'investiture de Barack Obama devant le Lincoln Memorial à Washington, appelé en scène par Bruce Springsteen. Le banjo en bandoulière, la voix un peu éraillée mais le tempo toujours vif, il entonne This Land is Your Land. La chanson a été composée en 1940 par Woody Guthrie, pour répondre à une autre chanson célèbre de l'époque, God Bless America..., écrite par Irving Berlin, et dont il détestait les paroles mièvres et patriotiques. VÉRONIQUE MORTAIGNE, JOURNALISTE AU MONDE
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    Pete Seeger avait été poursuivi pendant la chasse aux sorcières organisée sous le Maccarthysme, pour son engagement dans le Parti communiste américain, dont il a été membre dans les années 1940 et 50. Refusant de témoigner au nom de la liberté d’expression et d’opinion garantie par le premier amendement de la constitution américaine, il a été condamné plusieurs fois pour outrage au Congrès à de la prison, une peine annulée en appel, qui ne sera jamais exécutée.
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    Leader du «protest song» américain, il a été tour à tour la voix du mouvement ouvrier, de la lutte pour l’égalité raciale, du du mouvement contre la guerre du Vietnam dans les années 1960, puis dans les années 1970 de la défense de l’environnement. Ses combats pour les droits civiques des Noirs américains ont valu au chanteur l’amitié du leader noir du mouvement Martin Luther King.
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    TAO RODRIGUEZ-SEEGER, PETE SEEGER, ET GUY DAVIS. PHOTO : THOM WOLKE / COURTESY DE LINCOLN CENTER FOR THE PERFORMING ARTS
    Acompagné de son petit-fils Tao Rodriguez Seeger, chanteur lui aussi, il a entonné sur scène le célèbre This Land is our land lors du concert inaugural à Washington du premier mandat de Barack Obama, en 2009.
    LIBERATION avec AFP

    dimanche 26 janvier 2014

    CHILI: LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE MENACE LE PATRIMOINE DE VALPARAISO

    Certains redoutent que ce projet ne gâche l'image de la plus fameuse carte postale du pays et mette en péril le label accordé par l'Unesco en 2003. Mais d'autres sont convaincus que la ville en déclin a besoin d'un essor économique.

    Sur le quai Baron, tout un secteur est clos par des panneaux de bois. Les travaux, entamés il y a quelques mois, sont aujourd'hui paralysés à la suite d'une décision de justice mettant en cause le manque d'études archéologiques.

    En novembre, une mission de l'Unesco est venue inspecter le centre historique, afin d'estimer son état de conservation et d'analyser « les projets en cours », notamment celui du quai Baron, et leurs éventuelles conséquences sur le patrimoine, a indiqué l'Unesco à l'AFP.

    Un rapport devrait être présenté prochainement, comprenant "des recommandations » destinées à éviter de mettre en péril le label, acquis en 2003.

    « Valparaiso est une ville où il reste beaucoup à faire", admet devant l'AFP le maire Jorge Castro, rappelant toutefois que le classement au patrimoine mondial a « seulement 10 ans » et qu'« il y a une quantité de choses à faire" mais aussi "d'autres qui sont en cours et certaines quasiment terminées ».

    « Je pense que ce que va relever le rapport final (de l'Unesco), c'est que nous avons fourni des efforts (...) et que nous avons essayé d'aller de l'avant dans une ville très complexe », poursuit-il.

    La ville s'est enrichie de la première vague de mondialisation au XIXe siècle avant d'en être écartée. Elle a été le premier et le plus important port marchand sur les routes maritimes qui reliaient les océans Atlantique et Pacifique par le détroit de Magellan.

    Au XIXe siècle, des immigrants ont débarqué d'Europe pour s'inventer une nouvelle vie, faisant de la ville la plus cosmopolite d'un pays isolé.

    Aujourd'hui, ce sont les touristes qui représentent sa principale richesse, attirés par les vestiges d'un passé glorieux mais révolu, le port ayant perdu de son attrait après l'ouverture du Canal de Panama, au début du XXe siècle.

    Le chantier paralysé du centre commercial illustre le paradoxe de Valparaiso : elle est visitée par des milliers de touristes émerveillés par ses ruelles entrelacées, ses antiques funiculaires électriques ou à vapeur, ses petits escaliers nichés entre les maisons bigarrées, comme celle du poète Pablo Neruda. Mais elle souffre d'un niveau de pauvreté supérieur à la moyenne nationale, et a besoin de développement économique.

    C'est ce qui fait l'attrait des 150 millions de dollars investis dans le projet de centre commercial, et les 4.000 emplois qu'il va créer, relève le maire Jorge Castro.

    « Cette construction relève d'une vision très simpliste de la croissance de la ville », critique pourtant l'économiste Camilo Vargas, opposant au projet.

    « Nous pensons qu'il existe des choses plus importantes pour Valparaiso que ce +mall+, et qu'il y a d'autres zones de la ville, particulièrement à la périphérie, qui seraient plus indiquées pour l'installer », ajoute M. Vargas.

    mercredi 22 janvier 2014

    HUGO CHÁVEZ À L’HONNEUR AU CAPES D’ESPAGNOL

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    LE 5 MARS 2013,  DÉCÈS DU PRÉSIDENT HUGO CHAVEZ. LE 6 MARS 2013, LES HOMMAGES SE POURSUIVENT DANS D'AUTRES PAYS. UNE POUPÉE À L'EFFIGIE D'HUGO CHAVEZ PENDANT UNE MARCHE À BOGOTA, COLOMBIE. PHOTO FERNANDO VERGARA

    Le premier des trois documents est un extrait du discours prononcé par Chávez le 20 septembre 2006 aux Nations Unies. C’est un discours qui, comme on le sait, a fait date, car Chávez qualifie le président des Etats-Unis George Bush de « diable ». Les expressions « Hier le diable est venu ici » et « ça sent encore le soufre » ont fait le tour du monde à l’époque. Le deuxième document est extrait d’un article intitulé « Chávez, la momia del populismo » du politologue chilien Gonzalo Bustamante Kuschel, publié le 13 mars 2013, quelques jours après la mort du dirigeant vénézuélien. Les mots du titre, « momie », « populisme », ne laissent guère de doute sur l’opinion que l’auteur se fait à son sujet.

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    CARICATURE D’ALFREDO 

    Le troisième document est une caricature d’Alfredo, un grand caricaturiste péruvien, aujourd’hui controversé ; elle est tirée de Correo, journal péruvien de droite. On y voit un Hugo Chávez en costume cravate, énorme, lippu, sourcils froncés et sourire grimaçant, tendre une assiette de poulet au-dessus d’un groupe d’affamés en haillons. « Qui suis-je ? », demande-t-il, et ils récitent, tendant les bras pour avoir leur pitance, la leçon bien apprise : « le nouveau Simón Bolívar ». Aux côtés de Chávez, un petit homme observe le spectacle d’un air amusé et en prend de la graine. Il s’agit d’Ollanta Humala, futur Président péruvien. On le reconnaît à son tee-shirt rouge, celui de sa campagne électorale de 2011 (il manque l’inscription de son parti « Gana Perú »). Chávez fait donc ici figure de grand frère et mentor politique. Les malheureux en haillons, qui attendent avidement un peu de nourriture — du poulet, le plat bon marché au Pérou — sont les péruviens pauvres, les célèbres « calatos » (du quetchua cala qui veut dire « nu »).

    L’image de Chávez véhiculée de prime abord par les documents est celle d’un provocateur relativement ubuesque (document 1), d’un démagogue (document 2) et d’un autocrate soucieux du culte de sa personne (document 3). Un examen plus approfondi des documents confirme et aggrave, même, ce premier diagnostic.

    Le premier document est anormalement long : il se compose de dix paragraphes et occupe près de deux pages. Mais le texte auquel le candidat a affaire, et qu’il doit analyser dans sa totalité, est un texte tronqué, coupé à cinq reprises. Il commence de but en blanc par les propos qui ont fait scandale — et provoqué dans l’assemblée rires et applaudissements : « Hier, le diable est venu ici. Ici, le diable est entré. Juste ici. Et ça sent encore le soufre aujourd’hui. Hier, mesdames et messieurs, de cette tribune, le président des États-Unis, le monsieur que j’appelle le diable, est venu ici parler comme s’il possédait le monde entier. Vraiment. Comme s’il était le propriétaire du monde. » Les extraits choisis par la suite se caractérisent par un langage binaire et simplificateur. Ils contiennent peu de données concrètes, peu de faits. Le Venezuela, «patrie de Bolívar », porte-parole « des peuples du monde », se dresse au nom de « la vérité » contre « l’empire nord-américain » pour « sauver la planète » de la « menace impérialiste ». Chávez dénonce « la dictature mondiale » et se pose en chef de file des insurgés. Sa cause est juste (« Dieu est avec nous »).

    HUGO CHÁVEZ, LE PRÉSIDENT DU VENEZUELA, A RECOMMANDÉ LE LIVRE DE NOAM CHOMSKY "« DOMINER LE MONDE OU SAUVER LA PLANÈTE ? : L'AMÉRIQUE EN QUÊTE D'HÉGÉMONIE MONDIALE », À L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES, LE 20 SEPTEMBRE 2006. PHOTO RAIMIN TALAIE / BLOOMBERG NOUVELLES 
    Le discours ainsi restitué est celui d’un populiste, truculent et provocateur : on ne saurait le prendre au sérieux. Mais si l’on se réfère à l’intégralité de ce discours, les choses ne sont plus tellement simples. D’abord parce que Chávez place d’entrée de jeu son discours sous l’égide d’un essai du célèbre linguiste et philosophe Noam Chomsky, Dominer le monde ou sauver la planète ? L’Amérique en quête d’hégémonie mondiale (2005), dans lequel ce dernier dénonce, à propos de chaque intervention militaire étasunienne, l’hypocrisie du discours des médias et des intellectuels dominants. Toute référence à la pensée de Chomsky est dûment escamotée dans le document présenté au sujet du Capes, ôtant ainsi au discours de Chávez sa principale assise théorique. Les références concrètes à la politique nord-américaine en Irak, au Liban, en Afghanistan et en Palestine sont également supprimées, de même que des propos rapportés de George Bush (aisément qualifiables de simplistes et dichotomiques). Mais ce n’est pas tout. Parmi les coupes effectuées, il y a encore un argumentaire en quatre points proposé par Chávez pour réformer le système des Nations Unies. Il y a aussi cette petite phrase : « le modèle capitaliste néolibéral engendre de la pauvreté et de la misère » qui vient juste après des déclarations « irréductiblement optimistes » et très générales que l’on a jugé bon, elles, de conserver. Il y a, enfin, le rappel de certains faits historiques emblématiques confirmant la posture cynique et hypocrite du gouvernement étasunien. Un texte ainsi mutilé ne saurait constituer une base de travail fiable et objective. On demande pourtant aux candidats d’en « faire émerger le sens précis » à travers « une analyse approfondie ».

    En vérité, le sujet est biaisé. Les coupes opérées dans le discours sont étudiées de façon à ce que le texte résultant corrobore l’analyse du politologue chilien Gonzalo Bustamante Kuschel (document 2). Dans l’article de ce dernier, Chávez est présenté comme «une figure emblématique de la politique sud-américaine du caudillisme, du populisme et de la rhétorique anti-américaine ». Le populisme, explique Bustamante Kuschel, aspire « au moyen de la maîtrise rhétorique à un renouvellement généreux de l’offre socio-économique, à la production messianique d’un destin commun, et à l’unité entre le “leader” et le peuple appréhendé comme un unique sujet ». Mais cette idéologie — dont il prend soin de dire qu’elle est opposée à « la démocratie représentative occidentale » — est « un mythe » construit autour d’un ennemi commun et d’un passé légendaire (Simón Bolívar). Pour Bustamante Kuschel, Chávez n’est rien d’autre qu’un « caudillo populiste » doublé d’une personnalité burlesque.

    Il est évident qu’avant de se lancer dans l’analyse du premier document, le candidat aura pris connaissance des deux autres. Il ne manquera pas d’être frappé par le contraste entre le ton exalté de Chávez et la pensée réfléchie, structurée et apparemment neutre de Bustamante Kuschel. Le ton assertif de ce dernier et sa rhétorique argumentative font de sa parole une parole d’autorité : aux yeux du candidat, l’auteur est un « expert ». Cette position rend non seulement ses propos difficilement contestables dans le cadre d’un concours mais encore — cela est plus pervers —, elle donne au candidat l’illusion d’avoir à portée de main un canevas interprétatif sur mesure, parfaitement adapté pour structurer son analyse du premier document. La caricature d’Alfredo (document 3) renforce de toute évidence cette illusion.

    Le choix des documents n’est pas anodin, ils sont sélectionnés de façon à orienter la pensée des candidats et à guider leur analyse ; non dans le but de les « piéger ». Le sujet sur Chávez ne déroge pas à la règle. Il en ressort que l’image tendancieuse bâtie à partir des informations fournies est, tout simplement, considérée par les concepteurs du sujet comme étant conforme à la vérité. Et cela est profondément inquiétant.

    Lire le dossier « Chávez et l’exception vénézuélienne », Le Monde diplomatique, avril 2013.

    Car ce portrait de Chávez est celui que véhiculent majoritairement les médias. Il y a quelque chose de pénible et de dérangeant dans le fait que les concepteurs d’une épreuve visant à tester les connaissances et les capacités analytiques de futurs enseignants d’espagnol relaient des vérités fort douteuses inculquées par les médias, témoignant ainsi de leur propre méconnaissance du sujet. Car enfin, il eût été autrement plus intéressant, d’un point de vue didactique et pédagogique, et dans un souci d’objectivité, d’intégrer des documents allant un peu à l’encontre de la pensée dominante. Hugo Chávez — n’en déplaise à Bustamante Kuschel — est loin d’être une figure emblématique du totalitarisme, comme il l’insinue dans la suite de son article. Le Venezuela est une démocratie. Son système de vote électronique est considéré comme l’un des plus sûrs au monde et Chávez, élu en octobre 2012 pour la quatrième fois consécutive président de la République, dispose à ce moment-là d’une solide légitimité. Mais il y a plus. Dans certains quartiers du centre ville de Caracas, des copies pirates de textes de lois et de la Constitution se vendent comme des petits pains [2]. L’article 72 de cette dernière — pourrait-on en dire autant de la nôtre ? — propose un référendum révocatoire d’initiative populaire. Dans les quartiers, des individus traditionnellement exclus du jeu politique prennent une part active, au sein des conseils communaux, à des délibérations qui touchent de près leur vécu quotidien [3]. Autant de gages de démocratie.

    Une autre façon d’aller à l’encontre de la pensée dominante eût été d’interroger, plutôt que de la stigmatiser, la filiation « bolivarienne » dont se réclame Chávez ; examiner quelles en ont été les manifestations géopolitiques concrètes, en dresser le bilan. On aurait pu aussi, dans une autre veine, dénicher un document se rapportant aux « missions bolivariennes », ces vastes programmes sociaux dont les principaux bénéficiaires sont les plus défavorisés. La réduction notoire des inégalités, le recul de la pauvreté, des avancées dans le domaine de l’éducation, de la santé, du logement et des droits des travailleurs sont les résultats tangibles d’une redistribution plus équitable de la rente pétrolière. Certainement, les inégalités persistent, la corruption pose problème, l’insécurité est loin d’être éradiquée, l’économie du pays continue d’obéir à une logique extractiviste… Mais de là à faire de Chávez l’emblème un peu risible du « caudillo populiste »… C’est faire preuve de mauvaise foi ou d’une ignorance non moins condamnable.


    Anouck Linck est docteur en littérature hispano-américaine, maître de conférences à l’université de Caen Basse-Normandie.

    Notes


    [2] Porque somos soberanos (2011), documentaire de Marie Dault, mention spéciale du jury au festival Traces de Vie.

    [3] « Y sigue la revolución bolivariana. Las elecciones presidenciales del 7 de octubre 2012 en Venezuela » (PDF), Olivier Compagnon et Thomas Posada, Latin American Political Outlook, Olivier Dabène (éd), 2012, p. 68-75.

    dimanche 19 janvier 2014

    L'OBSERVATOIRE ALMA AU CHILI, LA NOUVELLE MECQUE DE L'ASTRONOMIE MONDIALE

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    Un projet pharaonique compte tenu des conditions extrêmes de travail et de vie, mais aussi au regard des incroyables nouveaux enjeux scientifiques générés par Alma. Cet observatoire permet d'ouvrir une nouvelle fenêtre sur nos origines cosmiques à la fois dans l'espace et dans le temps.

    « Un projet à 1,4 milliard de dollars », détaille pour La Tribune le directeur d'Alma depuis le 1er avril 2013, le Français Pierre Cox.

    Pourquoi Chajnantor ?

    Ce type de télescopes étudiant le rayonnement millimétrique et submillimétrique doit être construit sur des sites très élevés et très secs. L'observatoire d'Alma ne pouvait atteindre toute sa performance qu'à cette altitude, dans cet endroit perdu, hostile à l'homme, situé à plus de 50 km du premier village, San Pedro de Atacama, où se pressent de nombreux touristes venus du monde entier pour visiter les sites archéologiques. L'air y est sec, très sec, peut-être l'endroit de la Terre où il est le plus sec. Une condition sine qua non pour satisfaire les demandes plus exigeantes les unes que les autres des astronomes du monde entier.




    Là, à Chajnantor, ils « y trouvent des conditions inégalées pour les observations, mais cela exige de faire fonctionner un observatoire de pointe dans des conditions extrêmes », précise Laura Ventura, la porte-parole de l'Observatoire européen austral (ESO) au Chili, qui exploite l'observatoire d'Alma.

    Car à 5.100 mètres d'altitude, tout est beaucoup plus compliqué : la respiration est difficile, les jambes cotonneuses et la tête lourde.

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    Le nec plus ultra des observatoires

    Ces antennes révolutionnaires ont pour mission de traquer en meute la naissance d'une étoile et d'une galaxie dans l'univers froid, telles qu'elles étaient il y a plus de 10 milliards d'années. Et pourquoi pas la vie...

    Cet univers opaque et obscur à la lumière visible s'est révélé « transparent dans la partie millimétrique et submillimétrique du spectre électromagnétique » émis par ces antennes ayant un diamètre compris entre 7 et 12 mètres, explique l'ESO.

    Elles travaillent en cohérence, comme une seule immense parabole virtuelle de 165 km de diamètre, donnant à Alma une formidable capacité de zoom. Cet univers froid qui était jusqu'ici très énigmatique pour les astronomes, commence à révéler quelques-uns de ses secrets.

    « Techniquement, on peut aujourd'hui tout observer avec Alma. Y compris le Soleil et le système solaire », explique l'astronome système, Denis Barkats, basé à l'OSF (Operations Support Facility), le camp de base très confortable de l'observatoire, situé à 2900 mètres d'altitude et à 28 km du plateau de Chajnantor.

    Une véritable tour de Babel où se côtoient 18 langues. Pour le compte d'Alma, Denis Barkats est chargé de traiter les demandes des astronomes qui sont sélectionnées.

    « Quand les antennes sont disponibles, elles sont encore plus performantes que ce que les concepteurs en attendaient », souligne-t-il. Le travail de reconstitution des images est réalisé par le supercalculateur installé à Chajnantor et conçu pour Alma.

    Il est aussi puissant que le plus performant des supercalculateurs généralistes. Il est capable d'exécuter jusqu'à 17 quadrillions d'opérations par seconde...





    Ce bond technologique fait d'Alma la nouvelle Mecque de l'astronomie mondiale

    Les 32 antennes géantes actuellement en service sont capables de scruter l'univers par tous les temps avec une vision dix fois plus précise que celle du célèbre télescope spatial Hubble... qui a pris un coup de vieux depuis la mise en service d'Alma, inauguré en mars 2013. L'observatoire a reçu 1382 demandes pour le deuxième cycle d'observation de dix-sept mois à partir de juin prochain. Soit un total de 7.314 heures d'observation.

    « C'est un succès retentissant, qui démontre la très grande attente et le fort intérêt de la communauté scientifique pour Alma », estime Pierre Cox.

    Malheureusement, il ne pourra offrir que 2000 heures d'observation, soit 100 campagnes de 20 heures.

    « Entre 10% et 15% des demandes seront acceptées», explique Pierre Cox.

    Des propositions qui vont être analysées par 80 experts répartis dans 11 comités.





    Thales au coeur du projet

    L'observatoire sera 100% opérationnel en 2015. En juin 2014, 45 antennes seront en service et entre 50 et 55 à la fin de 2014, précise Pierre Cox.

    « Nous sommes dans la courbe d'apprentissage », précise-t-il.

    Clairement, Alma est dans une phase de transition. Sur un total de 66 antennes, 25 sont fournies par l'Europe. Des antennes fabriquées par un consortium dirigé par Thales Alenia Space (TAS), la filiale spatiale de Thales (67%), et l'italien Finmeccanica (33%), assemblées à l'OSF puis transportées à 4 km/h par deux monstres sortis de l'univers de Mad Max sur une piste aussi large qu'une autoroute. Deux véhicules de 28 roues, pesant 200 tonnes et baptisés Otto et Lore.


    « Construire des paraboles aussi performantes et impressionnantes, avec leurs 12 mètres de diamètre, a été un véritable défi, explique le vice-président de l'optique, de l'observation et des sciences de TAS, Vincenzo Giorgio. Il ne faut pas oublier que ces paraboles devront être capables de garantir un pointage parfait des antennes pour des décennies à venir. »

    Les réflecteurs paraboliques sont ainsi réalisés à partir de panneaux en nickel recouverts d'une couche de rhodium et d'une base en fibre de carbone renforcée avec du plastique. La surface de réflexion des paraboles doit être d'une extrême précision, de l'ordre du 25/1000e de millimètre et doit pouvoir résister à toutes les conditions climatiques (vents violents, écarts de températures extrêmes) ou autres contraintes extérieures.

    En clair, à l'extrême dureté des conditions climatiques du plateau de Chajnantor. Au final, les antennes de TAS sont dix fois plus performantes que celles fabriquées par les États-Unis et le Japon, selon Denis Barkats. Pourquoi ? TAS est allé audelà du cahier des charges. D'où des antennes très innovantes.

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    FOCUS Un exemple de partenariat international

    Quand les principaux blocs politiques du monde entier s'unissent, cela donne un très beau projet scientifique comme Alma (Atacama Large Millimeter / submillimeter Array), géré par l'Observatoire européen austral (ESO).

    Cet observatoire très haut perché est un partenariat unique entre l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord, en collaboration avec le Chili. Alma est financé en Europe par l'ESO, en Asie par les National Institutes of Natural Sciences du Japon, en coopération avec l'Academia Sinica de Taïwan et, en Amérique du Nord, par la US National Science Foundation en coopération avec le Conseil national de Recherche du Canada.

    L'Europe et les États-Unis ont financé chacun 37,5% du projet, et l'Asie a pris en charge les 25% restants. La France est partie prenante du programme Alma à travers l'ESO, financé à 17% par Paris. Les chercheurs français ont été impliqués dès le départ dans ce projet, tant pour identifier les besoins techniques que pour définir les objectifs scientifiques prioritaires.


    mercredi 15 janvier 2014

    DANS L’ANTRE DU SERPENT À PLUMES

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    S’agit-il de tombeaux ? Les archéologues l’espèrent, puisque, à ce jour, aucune sépulture royale n’a été trouvée dans l’une des plus importantes métropoles de Méso-Amérique, abandonnée mystérieusement entre le VIIe et le VIIIe siècle de l’ère chrétienne.





    L'ENTRÉE DU TUNNEL Ñ

    ENTRÉE DANS « L'INFRAMONDE, RÉGION SACRÉE DES MORTS »

    Une immense tente blanche se dresse au pied d’une pyramide, non loin de l’entrée principale de ce site archéologique, classé Patrimoine mondial par l’Unesco. A l’intérieur, des amas de pierres, des casques de chantier, une grande poulie…

    « Nous avons mis des années à retirer 9 tonnes de terre et de pierres dans cette galerie qui symbolisait l’entrée dans l’inframonde, région sacrée des morts », se félicite l’archéologue mexicain Sergio Gomez, en empruntant un escalier métallique qui descend à 15 mètres de profondeur. Le chercheur de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) suspecte l’existence de tombes au fond du conduit qui mène au centre du temple du Serpent à plumes, symbole du pouvoir et de la fertilité. La portée de cette découverte pourrait être colossale.

    Par le passé, les archéologues ont déjà trouvé des sépultures de hauts dignitaires à Teotihuacan, ainsi que des ossements d’humains qui servaient d’offrandes sacrificielles lors de rituels, mais jamais la dépouille mortelle d’un prince ou d’un roi. « Si nos hypothèses se confirmaient, ce serait un événement dans le monde de l’archéologie qui permettrait de mieux comprendre le système de gouvernement des Teotihuacanos », annonce M. Gomez.


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    UN « CHEMIN SOUS LA TERRE »

    C’est un peu par hasard que l’archéologue et sa collègue française, Julie Gazzola, ont mis au jour, le 3 octobre 2003, une grotte artificielle. « Alors que nous réalisions la restauration du temple du Serpent à plumes, dont les sculptures s’écroulaient, des pluies diluviennes ont révélé un trou devant l’escalier de la pyramide dont nous pensons qu’il s’agissait d’un observatoire astronomique », raconte-t-il.

    Accroché à une corde, M. Gomez descend à l’intérieur de ce qu’il pense être un puits naturel. Mais une faille laisse apercevoir une galerie bloquée par des éboulis. L’existence du tunnel est vite confirmée par un géoradar de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Deux chambres latérales sont repérées à 76 mètres. « Mais seul un petit robot pouvait évaluer les conditions d’exploration dans ce conduit bouché délibérément entre 250 et 300 après J. -C. », souligne M. Gomez.

    Six ans plus tard, le projet Tlalocan (« chemin sous la terre » en langue nahuatl) est lancé par l’INAH en collaboration avec des ingénieurs en robotique industrielle de l’Instituto politecnico nacional, à Mexico. Ces derniers ont conçu un premier robot, baptisé Tlaloque I. Le véhicule (25 cm de haut, 40 cm de large), télécommandé, est doté de quatre roues motrices et de deux caméras infrarouges qui pivotent sur 360 degrés. « C’était la deuxième fois dans l’histoire de l’archéologie qu’un robot était utilisé pour des fouilles après celles de la pyramide de Kheops, en Egypte », commente M. Gomez avec fierté.

    Curieusement, les batteries d’ordinateurs se déchargent très vite. « Ce mystère a été levé par un physicien nucléaire qui a détecté des doses anormalement élevées de radon affectant nos appareils électroniques », raconte M. Gomez. Ce gaz très toxique et cancérigène est issu de la décomposition de l’uranium. Il se rencontre souvent en explorant des pyramides fermées depuis des siècles. « Mais là, le radon était très concentré, comportant plus de 900 particules par mètre cube quand la norme internationale est à 200. » Depuis, trois énormes extracteurs permettent aux archéologues de travailler même si les conditions restent difficiles.


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    TLALOC II-TC, UNE MERVEILLE DE TECHNOLOGIE

    Le robot Tlaloc II TC qui a exploré la dernière tranche du tunnel en avril 2013.

    A une trentaine de mètres du fond du tunnel, la boue, l’humidité et le dénivelé bloquent l’avancée de Tlaloque I. Une seconde version plus perfectionnée, Tlaloc II-TC, prend le relais en avril 2013. Capable de se déplacer sur des reliefs très accidentés, son véhicule tout-terrain se faufile dans cette cavité, inaccessible pour l’homme.

    Mieux, le dispositif transporte un petit « robot-insecte» indépendant qui s’avance sur quatre pattes, en les dépliant telle une araignée. Equipée d’une caméra infrarouge, d’un drone vidéo et d’un scanner laser, cette merveille de technologie fournit des cartes détaillées en trois dimensions du tunnel. « Nos hypothèses initiales portaient sur la présence d’une seule chambre funéraire au fond du conduit, mais le robot nous a fait la surprise d’en détecter trois », se félicite M. Gomez.

    L’air est chaud et humide à l’intérieur de la galerie. Des gouttelettes de condensation se forment sur le plafond voûté et les murs en tuf volcanique, soutenus par des poutres en acier pour éviter les éboulements. « Les habitants de Teotihuacan avaient construit 25 murs successifs de 3 mètres d’épaisseur chacun sur toute la longueur du tunnel pour en bloquer l’accès, précise M. Gomez en marchant délicatement sur des planches posées sur le sol boueux. Nos études ont révélé que cette galerie a été fermée à deux reprises. Notre hypothèse est que les Teotihuacanos ont rouvert le tunnel pour y déposer des corps ou quelque chose d’important au sein des trois chambres du fond pour en fermer définitivement l’entrée. »

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    SCULPTURES, BIJOUX ET MASQUES INCRUSTÉS DE CRISTAUX

    Sans compter les sculptures en forme de tête d’oiseau, les perles de jade, les récipients en ambre et autres masques incrustés de cristaux de roche découverts en dégageant le conduit. M. Gomez précise que « ces offrandes sont plus nombreuses et plus précieuses à l’approche du fond du tunnel. Cela nous amène à supposer que des personnalités de haut rang, des prêtres ou même des souverains, sont descendues dans la galerie pour réaliser probablement des rituels funéraires ».

    A une quinzaine de mètres, une poudre minérale recouvre les parois du conduit. « C’est un mélange de magnétite, de pyrite et d’hématite, précise M. Gomez. Eclairé par une torche, il devait donner un éclat particulier au lieu, simulant le ciel étoilé et la mer à la base de la création du monde. » De quoi confirmer les hypothèses sur la cosmogonie des habitants de Teotihuacan. « Les Teotihuacanos considéraient le monde en trois parties, l’une céleste, l’autre terrienne et la troisième souterraine. Le tunnel, orienté d’ouest en est, est une métaphore d’une grotte sacrée menant à l’inframonde, lieu sacré rempli de richesses symboliques. »

    Des centaines de sphères métalliques, mesurant entre 2 et 25 cm de diamètre, ont été découvertes dans l’une des deux chambres latérales situées à 76 mètres. Tapissant les murs, le plafond et le sol, ces objets en argile sont recouverts d’un matériau jaune appelé « jarosite ». « Ce minerai, formé par l’oxydation de la pyrite, brillait sans doute avec beaucoup d’éclat. Les sphères pourraient représenter des gouttes d’eau ou des étoiles plus importantes que celles symbolisées par la poudre minérale retrouvée ailleurs. »

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    UN MONDE SOUTERRAIN, RICHE DE DÉCOUVERTES « EXCEPTIONNELLES »

    Coupe transversale du tunnel sous la pyramide du serpent à plumes, réalisée avec un scanner 3D. 

    A environ 30 mètres de son extrémité, le tunnel s’enfonce davantage sous la nappe phréatique à l’approche du centre du temple du Serpent à plumes. A la surface, l’édifice massif se dresse sur une immense place de dizaines de milliers de mètres carrés, baptisée la « Citadelle ».

    « Cette grande esplanade sacrée a été construite pour être régulièrement inondée par les pluies, soutient M. Gomez. Le sanctuaire représentait un scénario rituel permettant aux habitants de revivre le mythe de la création du monde. La pyramide représente la montagne qui émerge de la mer à l’origine de l’humanité. Dessous, une grotte artificielle conduit à l’inframonde. Ce monde souterrain a sa propre géographie avec un ciel, des rivières et des lacs qui communiquent entre eux jusqu’à la mer. » Reste à connaître mieux sa fonction sacrée pour les Teotihuacanos.

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    Au bout du tunnel, les trois chambres détectées pourraient apporter des éléments de réponse aux interrogations des archéologues. « Peut-être allons-nous trouver les restes de ceux qui ont régné sur Teotihuacan, qui nous permettraient de comprendre qui ils étaient et comment ils gouvernaient », espère M. Gomez. Les dirigeants morts étaient peut-être enterrés là lors d’un rituel légitimant le pouvoir de leur successeur.

    « Si cette hypothèse se confirmait, cela prouverait que la transmission du pouvoir se réalisait non pas sur terre, mais dans l’inframonde. D’autant que les analyses ADN de plusieurs corps pourraient révéler aussi que le pouvoir était héréditaire chez les Teotihuacanos. Pour l’heure, les possibles tombes restent obstruées par des tonnes de terre et de sédiments. »

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    « Une fois mises au jour, les dépouilles mortelles et les offrandes devront être analysées durant plusieurs mois », précise M. Gomez, qui confie néanmoins avoir déjà fait une découverte « exceptionnelle ». Laquelle ? L’archéologue garde le silence, car son Institut national d’anthropologie et d’histoire se réserve l’exclusivité de cette annonce, prévue à la fin de l’année 2014.