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samedi 26 avril 2014

PEREIRA PRÉTEND



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2 - LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS A VOIX NUE - ARNAUD LAPORTE DE FRANCE CULTURE CONSACRE UNE SEMAINE À ANTONIO LOBO ANTUNES DU 28 MARS AU 3 AVRIL 2011
DURÉE : 00:28:22

vendredi 25 avril 2014

PEREIRA PRÉTEND


« Pereira prétend qu'il y avait trois hommes habillés en civil, et qu'ils étaient armés de pistolets. Le premier qui entra était un petit maigrichon avec de fines moustaches et une barbiche couleur châtain. Police politique, dit le petit maigrichon avec l'air de celui qui commandait, nous devons perquisitionner l'appartement, nous recherchons une personne. Faites-moi voir votre carte d'identification, s'opposa Pereira. L'un des deux autres pointa son pistolet vers la bouche de Pereira et susurra : ça te suffit comme identification, gros lard ? » 

Lisbonne 1938. Sur fond de salazarisme portugais, de fascisme italien et de guerre civile espagnole, un journaliste portugais solitaire voit sa vie bouleversée. Devenue une oeuvre emblématique de la résistance au totalitarisme et à la censure, Pereira prétend raconte la prise de conscience d'un homme confronté à la dictature

jeudi 24 avril 2014

ZECA AFONSO – «GRÂNDOLA, VILA MORENA»

MONUMENT EN HONNEUR DE JOSÉ AFONSO À GRÂNDOLA.
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GRÂNDOLA, VILA MORENA - ZECA AFONSO   
DURÉE : 00:03:26

mercredi 23 avril 2014

À VOIX NUE DU 29 03 2011 - ANTÓNIO LOBO ANTUNES - 2/5

UN NUE 29 03 2011 DE VOIX - ANTÓNIO LOBO ANTUNES - 2/5

2 - LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS A VOIX NUE - ARNAUD LAPORTE DE FRANCE CULTURE CONSACRE UNE SEMAINE À ANTONIO LOBO ANTUNES DU 28 MARS AU 3 AVRIL 2011
DURÉE : 00:28:22
PAR ARNAUD LAPORTE; RÉALISATION ANNE-PASCALE DESVIGNES. AVEC LA COLLABORATION DE CLAIRE POINSIGNON.
2) LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS

mardi 22 avril 2014

PHOTO - SERGIO LARRAÍN, L'EXPO ET LE LIVRE

Sergio Larraín fait partie de cette génération qui a écrit les débuts du photo-journalisme. Enfant de la bourgeoisie chilienne, il découvre petit à petit la photographie à travers l’objectif d’un Leica, qu’il apprend à maîtriser au cours de ses voyages en Amérique du Sud, en Bolivie, au Pérou et au Chili. En voyage en Europe, il a la chance de rencontrer Henry Cartier-Bresson à la fin des années 50, qui l’invite à rejoindre sa coopérative Magnum Photos. Dès lors, Sergio Larraín parcourt le monde pour illustrer l’actualité mondiale.

Il s’installe deux ans à Paris, et part faire des reportages, que ce soit en Iran où il couvre le mariage du shah, ou en Italie où il enquête sur la mafia sicilienne. Très vite, il ressent cependant la nécessité de rompre avec ce milieu, qui consume son besoin d’indépendance et nuit à la qualité de son travail. Déçu également par l’incapacité de la photographie à changer le monde, il s’en retourne donc au Chili où il se plonge dans une quête spirituelle, passant les trente dernières années de sa vie à pratiquer du yoga et à entretenir une riche correspondance, isolé à Tulahuén, dans la région de Coquimbo. C’est là qu’il s'éteint le 7 février 2012.

Une photographie de la marginalité

ALBERTO HURTADO CRUCHAGA ET DES ENFANTS DES RUES 
Sergio Larraín a découvert la photographie à Chiloé. Mais il abandonne assez vite  les pêcheurs pour focaliser son attention sur les enfants vagabonds de Santiago. En saisissant leur quotidien, leurs jeux, leurs habits trop larges et, surtout, leurs expressions d’adultes, le photographe suit ces ‘gavroches’ dans l’univers industrialisé de la ville (on est alors dans le début des années 60). Il en fait même un court-métrage, qui est présenté à l’exposition.

Les images de Sergio Larraín, en noir et blanc, sont le signe d’une photographie spontanée, qui cherche toujours à capter le détail qui fera toute la magie de la photo. Une attitude qui réclame une émancipation totale : « Une bonne image résulte d’un état de grâce. La grâce s’exprime quand elle est libérée des conventions, comme pour un enfant qui découvre la réalité. Le jeu consiste alors à organiser le rectangle» . Ses photos suscitent le questionnement, et si le cadrage parait parfois hasardeux - il joue énormément avec les symétries, les formes et les perspectives -, l’exposition consacre l’appareil photo comme miroir de la société, et celui qui le tient comme son témoin le plus subjectif. En agençant certaines photos ensemble, elles deviennent les pièces d’un puzzle, celui de la société.

Il y a derrière ces photos une déclaration d’amour qui est faite au Chili. A ses orphelins, à ses prostituées, à ses chiens errants. A force de photographier les vagabonds, Sergio Larraín en devient un, et parcourt de son regard la réalité du monde qui l’entoure. L’exposition devient une porte d’entrée dans le quotidien d’un artiste, enrichie de ses reportages, ses dessins, et ses citations.

Clément Ourgaud (www.lepetitjournal.com/Santiago) Vendredi 4 avril 2014
Rétrospective Sergio Larraín jusqu'au 15 juillet 2014, au Musée Bellas Artes de Santiago                                    

Parque Forestal de Santiago, (métro Bellas Artes), Ouvert de Mardi à Dimanche, de 10h00 à 18h50.

lundi 21 avril 2014

UNE MOMIE CHILIENNE INTOXIQUÉE À L'ARSENIC

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PHOTO  DE MOMIE 2008, PROJET ARCHÉOLOGIQUE VALLÉE  DE TARAPACÁ, IOANNA KAKOULLI.

Ces sépultures représentent une véritable porte ouverte sur le passé. En fournissant aux archéologues de précieux indices, elles témoignent de la manière dont les autochtones de l’époque ont vécu et sont décédés. Ces mines d’informations sont d’autant plus inépuisables que la technologie ne cesse de se perfectionner, poussant toujours plus loin les méthodes d’analyses. 

Quelques années auparavant, des études menées sur les cheveux de momies retrouvées dans la vallée de Tarapacá, au niveau du désert chilien d'Atacama, avaient conduit à la mise en évidence d’une concentration particulièrement élevée d’arsenic. Les sépultures en question étaient issues notamment de la culture Inca et Chinchorro. 

L’arsenic provenant de l’eau ou du sol ? 


L’origine de l’arsenic dans leur coiffure a longtemps posé problème aux chercheurs. En effet, même si ceux-ci soupçonnaient fortement qu’il s’agisse d’une intoxication liée à la consommation d’eau contaminée, aucun instrument assez performant ne pouvait permettre de l’affirmer. 

L’arsenic est un métal toxique qui a la particularité de s’accumuler dans les tissus riches en kératine comme les ongles ou les cheveux. Cette propriété permet notamment aux médecins légistes de mettre en évidence les cas d’empoisonnement. Toutefois, dans le cas des momies, l’arsenic aurait pu également provenir de la terre où les défunts avaient été enterrés et s’être déposés sur leurs cheveux après leur mort. 

L’énigme résolue 

Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'université de Californie, à Los Angeles, lève finalement le voile sur ce mystère. Pour résoudre l’énigme, les chercheurs ont utilisé une série de méthodes de pointe. Leur protocole a consisté à analyser un échantillon de cheveux prélevé sur une momie d’une part avec un microscope électronique à balayage et d’autre part avec un synchrotron, un grand accélérateur de particules élémentaires. 

Grâce à ces techniques, les scientifiques sont parvenus à mettre au point une cartographie de la répartition des éléments et des minéraux dans les cheveux. Publiée dans la revue Analytical Chemistry, cette cartographie révèle une répartition uniforme de l’arsenic dans les cheveux.  Ce résultat témoigne d’une intoxication chronique à cette substance liée à la contamination de l’eau consommée. En effet, si le métal avait été déposé après l’enterrement de la sépulture, il aurait été représenté comme une sorte de dépôt sur la cartographie, ce qui n’est pas le cas. 

Les concentrations d’arsenic sont très élevées dans les eaux de la vallée du nord du Chili. Incolore, inodore et insipide, l’élément ne pouvait pas être détecté et a ainsi contaminé des civilisations entières durant des siècles. L’ingestion d’arsenic est connue pour causer de nombreux cancers notamment de la peau, de la vessie, des poumons et des reins. 




samedi 19 avril 2014

GARCÍA MÁRQUEZ GABRIEL (1928-2014)

L'écrivain colombien Gabriel García Márquez
appartient à la génération de ces romanciers latino-américains qui ont su se faire lire et entendre hors de leur pays en donnant un nouveau souffle au genre narratif. Le cas de García Márquez est d'autant plus remarquable que la vaste audience qu'il a acquise depuis la publication de Cien Años de soledad (Cent Ans de solitude, 1967), il la doit à la création d'un univers romanesque très particulier, ce qui n'est pas le moyen le plus facile de toucher un large public. En effet, même s'il peut prendre une signification générale pour n'importe quel lecteur, le monde fictif de García Márquez reste a priori nettement colombien dans sa matière et son esprit. Or, et c'est là un autre intérêt de cette œuvre, la manifestation d'une réalité et d'une mentalité locales y est également fort différente de l'indigénisme qui a marqué l'histoire du roman latino-américain, surtout dans la première moitié du XXe siècle, et en limitait singulièrement la portée. García Márquez a trouvé une manière de conter, appelée par certains « réalisme magique », qui élève une réalité identifiable dans le temps et l'espace à la valeur de mythe universel.

1.  L'ouverture au monde


García Márquez est né en 1928 à Aracataca, un petit bourg du nord de la Colombie. Après des études de droit pour lesquelles il ne manifeste guère d'intérêt, c'est vers le journalisme que le portent ses goûts, alors qu'en revanche ses premières œuvres littéraires, écrites à partir de 1950, le laissent insatisfait au point qu'il tarde souvent et parfois même renonce à les publier.

Il séjourne quelque temps en Europe, principalement à Paris, dans des conditions matérielles et morales difficiles. En 1959, il s'associe à la révolution cubaine comme correspondant de l'agence Prensa latina à Bogotá, puis à New York. En désaccord avec certaines orientations du régime de Cuba, il quitte Prensa latina en 1961 et part pour Mexico où il mènera de front les activités de journaliste, de romancier, de rédacteur publicitaire et de scénariste. En 1967, c'est le soudain succès de Cent Ans de solitude.

Alors installé à Barcelone, García Márquez se consacre plus exclusivement à l'action politique révolutionnaire et à la littérature. « Il me semble, a-t-il dit un jour, que la littérature, le journalisme et la politique, dans la mesure où ils se tiennent à égale distance de la vie réelle, se complètent. Avec cet avantage pour la littérature qu'elle permet l'expression naturelle de sentiments vitaux comme, par exemple, la pitié, la tendresse, la nostalgie et qu'elle nous aide mieux à surmonter cette dose de scepticisme qui nous est donnée avec la vie... ». Une conception de la création littéraire qui devait être consacrée en 1982, par l'attribution du prix Nobel.

2.  Naissance d'un mythe : Macondo

Il n'est guère d'écrivain qui, du strict point de vue des matériaux anecdotiques, ait aussi peu versé de sa propre biographie dans son œuvre. García Márquez a en effet été marqué dans son enfance par les récits d'une époque (les trois premières décennies de ce siècle) qu'il n'a pas connue et que lui ont racontée les survivants de ce monde disparu. Il s'est donc en quelque sorte nourri de la mémoire des autres, en particulier celle de son grand-père, colonel libéral, vétéran des nombreuses guerres civiles qui ont ravagé la Colombie. Quand celui-ci meurt, García Márquez a huit ans : « Depuis lors, il ne m'est rien arrivé d'intéressant », dit-il avec la tranquille exagération qui caractérise son style narratif. La matière de ses récits, de La Hojarasca (1955, Des feuilles dans la bourrasque) à Cent Ans de solitude, ce sera l'image d'une réalité déjà transformée en mythe par le recul du temps et le besoin d'affabulation des hommes. À ce mythe, il donne un nom : Macondo, ville imaginaire, transposition poético-fantastique de son Aracataca natal, mais aussi symbole de la décadence d'une certaine Colombie, décadence d'autant plus fracassante qu'elle a été précédée d'une brève époque de prospérité.

Aracataca a connu en effet au début du XXe siècle une aventure extraordinaire : la « fièvre de la banane ». L'application des méthodes capitalistes à la culture bananière a provoqué dans cette société agricole féodale de considérables bouleversements économiques, sociaux, politiques et moraux. C'est un vertigineux ouragan qui passe sur la zone nord de la Colombie, apportant une fortune inespérée mais également très factice : car, en réalité, il s'agit de la mise à sac des richesses naturelles du pays par le capital nord-américain de la United Fruit Company. Quand la tempête économique est terminée, aux alentours des années vingt, on renvoie à sa léthargie un monde exsangue, voué désormais aux nostalgies de sa prospérité passée, politiquement instable, miné par la violence des rapports sociaux. García Márquez naît précisément au moment où la « fièvre de la banane » est retombée. Mais à partir des témoignages des acteurs de cette étonnante épopée, à travers aussi sa propre expérience de la décadence qui a suivi, il fait sien un univers qui est un étrange mélange de paradis et d'enfer et auquel il manque peu de chose pour devenir fiction littéraire.

En fait, la plupart des récits de García Márquez, à l'exception de El Otoño del patriarca (1975, L'Automne du patriarche) et de certains contes, sont une seule et même histoire toujours recommencée et toujours différente, partiellement développée et approfondie jusqu'à la magistrale synthèse de Cent Ans de solitude. Peu à peu, à partir de La Hojarasca, puis dans La Mala Hora (1962), El Coronel no tiene quien le escriba (1961, Pas de lettre pour le colonel) et les contes de Los Funerales de la Mamá Grande, on voit s'élaborer la figure de Macondo, avec des lieux, des personnages et des événements qui resurgissent semblables d'un récit à l'autre, mais repris à chaque fois dans une perspective différente ou avec une importance variable. Dans une atmosphère de chaleur moite et de pluies diluviennes, une lente et fatale décomposition semble toucher les hommes comme les choses, le corps social comme les âmes. L'ennui et l'usure du temps travaillent à ce pourrissement aussi sûrement que la tension que l'on sent partout latente, alimentée par les passions personnelles, mais également par la traditionnelle rivalité entre les deux factions politiques de la Colombie : les libéraux et les conservateurs. Tout baigne dans un lourd climat qui paraît préluder à une catastrophe avec parfois, comme signe prémonitoire, le suicide des oiseaux venant s'écraser contre les fenêtres. Sauf dans des récits comme La Hojarasca (où un homme seul affronte l'hostilité de tout un village), ce monde n'est pourtant pas vraiment tragique : car on échappe à la tragédie à mesure que s'affirme chez García Márquez un art de conter fait de démesure sereine et d'humour, et qui trouve son plein épanouissement dans Cent Ans de solitude.
IMAGE LA COUVERTURE EMBLÉMATIQUE DE « CENT ANS DE SOLITUDE », DE GARCÍA MÁRQUEZ QUE L'ARTISTE MEXICAIN VICENTE ROJO A DESSINÉ EN 1967.

3.  Maturité technique et synthèse thématique : « Cent Ans de solitude »

Dans les premières œuvres de García Márquez, au demeurant fort courtes, Macondo n'existe que par morceaux que le lecteur doit lui-même assembler. Avec le très volumineux Cent Ans de solitude surgit, foisonnant, le roman de Macondo apparemment définitif. À côté d'éléments nouveaux, on trouve nombre de matériaux narratifs déjà connus mais encore développés et, surtout, organisés en une très habile construction romanesque. Nous suivons l'histoire de Macondo à travers celle d'une famille, les Buendía, depuis la fondation de la ville jusqu'à sa disparition après plusieurs générations. Macondo semble vivre d'abord une sorte d'âge d'or, fait d'innocence et de simplicité, connaît ensuite les guerres civiles, puis le développement économique et les conflits sociaux que lui apporte une prétendue civilisation, pour sombrer après dans la décadence et être enfin balayée par un cataclysme. Au premier abord, on est séduit dans Cent Ans de solitude, comme dans tous les autres récits de García Márquez, par le pur et simple plaisir que procure l'art du conte. Cependant, il est très vite évident que l'intérêt majeur du livre, ce sont ses innombrables possibilités de signification. Car Macondo n'est pas seulement la transposition poétisée d'Aracataca, ou même l'image symbolique de la bourgade colombienne typique. C'est aussi le symbole de toute l'Amérique latine qui, d'une manière générale, connaît le même destin, les mêmes conflits et problèmes que la Colombie. Mais surtout Cent Ans de solitude apparaît comme une histoire de l'humanité, décrite notamment à travers des mythes bibliques : Genèse et Apocalypse, patriarches et prophètes, grimoires qui contiennent l'indéchiffrable parole de Dieu, paradis terrestre et paradis perdu, Terre promise, déluge, etc. En une sorte de geste primitive, nous refaisons le chemin qui mène de la superstition à la science en passant par l'alchimie. Les humains qui peuplent Macondo ne sont ni bons ni mauvais : ils se laissent aller à leurs instincts, à des passions toujours démesurées, à l'animalité, à l'inceste, et cela en toute innocence ; ils sont aussi capables d'une patience, d'un courage et d'une générosité inépuisables. Cette fresque s'ordonne en une curieuse structure temporelle de caractère cyclique, sans début ni fin véritables, car ces cent ans sont en fait la mesure de l'éternité.

Malgré un constant arrière-fond de vie quotidienne et de claires allusions à des faits historiques, Cent Ans de solitude n'est pas un roman réaliste au sens traditionnel du terme. Ce qui achève en effet de donner à l'univers de Macondo sa dimension mythique, c'est la présence constante de l'imagination poétique et surtout du fantastique sous ses manifestations les plus diverses : interférence du passé avec le présent, cohabitation des morts et des vivants, phénomènes de voyance, de lévitation, d'insomnie et d'amnésie collectives, tapis volants, monstres, temps immobile, etc. Or l'écriture narrative de García Márquez place le fantastique sur le même plan que le réel, présentant l'invraisemblable comme le banal avec une neutralité de ton et une régularité de rythme identique. Il en résulte un effet d'humour qui est un autre trait essentiel de Cent Ans de solitude. Ces caractéristiques se retrouveront intactes, plusieurs années plus tard, dans Chronique d'une mort annoncée (1981) et L'Amour au temps du choléra (1985), des romans qui semblent fixer définitivement la « manière » de l'écrivain colombien.

Le recours permanent à ces procédés non réalistes fait que la signification de ces récits est assez ambiguë, car si d'une part solitude et destruction sont (d'après la trajectoire anecdotique du roman) le destin de l'homme, le lecteur tend par ailleurs à oublier cet aspect fatal et tragique des choses pour retenir, grâce à la fantaisie et à l'humour, le sentiment d'exubérance vitale qui reste la caractéristique principale de l'œuvre de García Márquez.

4.  Littérature et politique

La politique est toujours présente chez García Márquez, soit par la fréquente référence au conflit historique entre libéralisme et conservatisme, soit par la critique implicite des rapports sociaux fondés sur l'oppression. Mais L'Automne du patriarche et Le Général dans son labyrinthe (1989) sont des romans de thème explicitement politique.

En ce qui concerne le premier, la relation avec la réalité est cette fois-ci immédiate, puisque c'est dans sa propre expérience des régimes dictatoriaux que l'auteur a puisé une grande partie de son inspiration. Toutefois, le « patriarche » saisi dans son « automne » n'est situé ni dans une époque, ni dans un pays précis : le sujet du livre, c'est le pouvoir dictatorial en soi, plus exactement le « caudillisme » qui marque la vie politique du monde ibéro-américain. Là encore, si García Márquez se sert de matériaux tirés d'une réalité reconnaissable, c'est pour aussitôt les élaborer en une image symbolique du pouvoir arbitraire quel qu'il soit. Plutôt que la réalité, il vise en fait la vérité du personnage, ce qui lui permet de donner libre cours à son sens de la caricature. Ce parti pris de transposition se signale d'ailleurs par une maîtrise technique encore en progrès : le ton imperturbable et le rythme égal qui caractérisent la manière de García Márquez s'appliquent ici à une phrase longue et enveloppante, d'une extraordinaire richesse suggestive.

La création romanesque de García Márquez semble une fois de plus se définir dans le refus systématique d'un réalisme traditionnel qui donnerait au discours narratif un caractère platement analytique. D'où l'ambiguïté déjà signalée et à laquelle n'échappe pas Le Général dans son labyrinthe, roman qui évoque les derniers jours de la vie du théoricien et fondateur de l'Amérique latine indépendante, Simón Bolívar. Dans ses récits politiques, comme dans le reste de son œuvre, les moyens esthétiques mis en œuvre par García Márquez n'ont pas pour but la manifestation d'une idéologie explicite (comme celle qui apparaît dans son abondante œuvre journalistique). Son attitude de romancier est avant tout éthique, une éthique qui semble se fonder sur un mélange d'humanisme et de scepticisme, et qui demeure toujours profondément ouverte.

vendredi 18 avril 2014

MORT DE GARCIA MARQUEZ: ATTENTION À SA FAUSSE LETTRE D'ADIEU


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ATTENTION AU FAUX POÈME DE MARQUEZ AFP
 La mort du prix Nobel de littérature voit fleurir les hommages. Sur les réseaux, on partage beaucoup son "poème d'adieu à ses amis"... sauf qu'il n'est pas de lui.
"Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un bout de vie, je profiterais de ce temps le plus que je pourrais. Il est fort probable que je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais en définitive tout ce que je dis." Ces mots ouvrent une lettre poétique attribuée à Gabriel Garcia Márquez, que vous avez peut-être vue circuler au lendemain de la mort du prix Nobel colombien de littérature. 
GABRIEL GARCÍA MÁRQUEZ
PAR MAURICIO VÉLEZ
Généralement présentée comme "la lettre d'adieu de Gabriel Garcia Márquez à ses amis" ou La marionnette, elle poursuit en fait l' auteur qui vaut mieux que ça depuis 1999, année où on lui a diagnostiqué un cancer. 

Le démenti de Márquez lui-même


Elle circule depuis de boîte mail en message Facebook en tweet. Garcia Márquez a lui-même démenti en être l'auteur, comme le rapportait dès 2000 El Pais, déclarant: "Ce qui peut me tuer, c'est que quelqu'un croit que j'aie pu être l'auteur d'une chose aussi banale. C'est la seule chose qui me préoccupe.

Deux ans plus tôt, le même poème avait déjà été attribué à Jorge Luis Borges, précisait El Pais. D'après Márquez, la femme de Borges Maria Kodama avait réagi en affirmant qu'elle ne se serait jamais mariée avec l'auteur argentin s'il avait écrit un texte pareil! 

Une histoire rocambolesque


D'après le 20 minutes espagnol, le poème vient en fait du ventriloque mexicain Johnny Welch, qui le récitait pendant ses spectacles avec une de ses marionnettes... On ne sait comment, ce texte a été transmis ensuite pour la première fois en 1997, par courrier postal, avant d'atterrir dans les mains du journaliste Mirko Lauer, qui la publia dans le journal péruvien La Republica en l'attribuant à Márquez. De là, le texte s'est envolé sur internet. Le meilleur hommage que vous pouvez rendre à Gabriel Garcia Márquez est donc de ne pas partager ce texte comme venant de lui! 


PORTUGAL : 1974 – LES ESPOIRS DÉÇUS DE LA « RÉVOLUTION DES ŒILLETS »


Contexte
La dictature de Salazar – Monarchie jusqu’en 1910, le Portugal devient une dictature militaire en 1926. En 1932, António de Oliveira Salazar, économiste partisan d’un État fort, devient chef du gouvernement. Il met en place un régime autoritaire, l’Estado Novo (l’État nouveau). Les opposants sont pourchassés sans pitié, arrêtés, déportés. Salazar autorise une légion de 12 000 hommes à se battre aux côtés des franquistes pendant la guerre d’Espagne (1936-1939), mais reste neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, entretenant des relations commerciales avec les deux camps. Maintenant son pays sous une chape de plomb, il meurt en 1970, à l’âge de 81 ans. Quatre ans plus tard, en 1974, les militaires soutenus par le peuple abattent le régime.

Le 25 avril de ceux qui ont les mains sales. 

pour les puissants, pour les élites de toujours (grands propriétaires terriens, capitaines d’industrie, banquiers), dotées d’une « solide formation morale » certifiée par la Pide [police politique de la dictature], le 25 avril fut comme un mal de tête, une simple douleur incommodante. Certains crurent même y voir une bonne affaire, même si l’impression fit long feu. A partir [du coup d’État manqué] du 11 mars 1975, le changement devint une menace qui leur fit peur et les obligea à se protéger. Une peur passagère, car le 25 novembre de la même année [date d’un deuxième coup d’État manqué], on leur souffla à l’oreille (pour que les Portugais lambda n’entendent pas) qu’avec le temps tout finirait par revenir à la normale. Il n’y aurait pas même besoin de créer une commission vérité et réconciliation, et encore moins une commission prônant, en plus, la justice. Quarante ans plus tard, ceux qui ont eu peur ne s’en souviennent pas, et ceux qui leur ont fait peur ont à leur tour peur de le leur rappeler. 





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APARCOA «GRÂNDOLA, VILA MORENA»  EXTRAIT DE CHILE, AMIGA RDA, 1975  COMPOSITION DE ZECA AFONSO  DURÉE : 00:02:27    
         
Le 25 avril des révolutionnaires enfiévrés. 
DES TIMBRES-POSTE DE KARL MARX DANS LE
MUSÉE JUIF DE BERLIN. PHOTO THEO SCHNEIDER
Dans les rues, sur les places, aux champs, dans les écoles, au sein des familles, dans les casernes, l’image d’une société juste embrasa les esprits comme l’éclair, comme si le bonheur était à portée de main, que l’oppression séculaire n’avait été qu’un cauchemar et que le futur lointain et radieux se matérialisait, ici et maintenant, et pour toujours. Certains partis qui se disaient d’avant-garde se trouvaient en fait à l’arrière-garde de cette liesse débordante. La société bouillonnait. Les travailleuses rurales analphabètes farfouillaient, émerveillées, dans les tiroirs secrets des nobles dames des grandes propriétés, les ouvriers exaltés tentaient de se convaincre eux-mêmes qu’ils avaient des droits face au patron, les prostituées s’organisaient en syndicats, la jeunesse mettait autant de zèle à faire l’amour qu’à préparer des affiches et des tracts. Les ruraux s’établissaient en corporatives car le mot sonnait mieux à leurs oreilles que « coopérative”, les journalistes se découvraient libres d’écrire les mots « socialisme  » et « communisme  », et les enseignants d’enseigner « Karl Marx », et non plus « Carlos Marques  », comme ils l’avaient toujours fait pour tromper les informateurs de la Pide qui s’installaient incognito dans le fond de leur classe. Et tout cela dans la fièvre, de façon désorientée et dans l’exaltation. 
LE PRÉSIDENT CHILIEN SALVADOR ALLENDE
 EN CONFÉRENCE  DE PRESSE LE 2 MARS 1973.
PHOTO BETTMANN/CORBIS 
Le 25 avril des grandes manœuvres. L’année précédente, la première expérience de socialisme démocratique du XXe siècle, le gouvernement d’Unité populaire de Salvador Allende, au Chili, avait été anéantie par des militaires à la solde de la CIA. Le Portugal risquait de basculer dans la même expérience, ce qui, du point de vue des États-Unis, serait plus grave encore, car l’Europe de l’Ouest était une zone d’influence américaine depuis les accords de Yalta. [Le ministre des Affaires étrangères américain] Henry Kissinger envisagea donc une invasion soutenue par l’Otan, mais la social-démocratie européenne (et en particulier allemande) s’y opposa, proposant d’envoyer non des militaires, mais de l’argent, beaucoup d’argent, pour soutenir les partis et les mouvements sociaux combattant le “modèle soviétique”. Il en fut donc ainsi, et ce choix donna les résultats attendus. Dès lors, le Portugal a eu une dette envers les Allemands, et c’est encore le cas aujourd’hui. 
Les temps changent, les créances aussi, la dette demeure. 
Quarante ans plus tard, l’heure n’est plus à l’impérialisme nord-américain : l’impérialisme vient désormais de l’Europe. La grande frustration d’aujourd’hui est à l’aune de l’immense espérance que fut le 25 avril. 
Je conseillerai donc aux pèlerins du 25 avril 1974 de prendre leur temps, de s’attarder pour profiter du grand air et humer les effluves du romarin [référence à la chanson de Chico Buarque, pour qui l’odeur de cette plante typique du Portugal était un symbole d’espoir envoyé par les révolutionnaires aux Brésiliens, eux-mêmes soumis à la dictature], et parler ensemble du Portugal comme si, de nouveau, il leur appartenait. Ensuite, au lieu de rentrer, qu’ils se contentent d’une expédition dans le présent – et, puisque ce sont des pèlerins, qu’ils en profitent pour chasser les marchands du temple. 
—Boaventura de Sousa Santos
Publié le 3 avril 2014 dans Visão Lisbonne

jeudi 17 avril 2014

L'ÉCRIVAIN COLOMBIEN GABRIEL GARCIA MARQUEZ EST MORT

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PHOTO ISABEL STEVA
HERNANDEZ 1969
Affectueusement surnommé «Gabo» dans toute l'Amérique latine, le Colombien Gabriel García Marquez, prix Nobel de littérature 1982, l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, est mort à son domicile de Mexico jeudi 17 avril. Il était âgé de 87 ans. Son œuvre a été traduite dans toutes les langues ou presque, et vendue à quelque 50 millions d'exemplaires. 

CORTÁZAR, MME ALLENDE, GARCÍA MÁRQUEZ
En 1999, la nouvelle s'était répandue qu'un cancerlymphatique serait sur le point de l'abattre, plongeant déjà ses lecteurs et admirateurs dans l'inquiétude. Tous les journaux de la planète rédigèrent alors sa nécrologie à la hâte, bientôt remballée dans les tiroirs. Double chance, pour lui et pour tous, car cela permit à Gérald Martin, britannique et professeur de littérature, de publier une biographie exhaustive, Gabriel Garcia Marquez, une vie (Grasset, 2009, édition originale en anglais chez Bloomsbury, 2008). Rétabli, mais victime d'une mémoire quelque peu chancelante, l'auteur de Cent ans de solitude avait disparu de toute vie publique ces dernières années.

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Aîné de onze enfants, Gabriel José de la Concordia Garcia Marquez est né le 6 mars 1927, à Aracataca, un village perdu entre les marigots et les plaines poussiéreuses de la côte caraïbe colombienne. Son père y est télégraphiste. Dans l'œuvre de Gabo, Aracataca deviendra Macondo, un endroit mythique mais réel, à la différence du Yoknapatawpha County de William Faulkner ou de la ville fictive de Santa Maria de Juan Carlos Onetti. L'espagnol sud-américain a fait de « macondiano » un adjectif pour décrire l'irrationnel du quotidien sous ces latitudes. Gerald Martin explique l'importance qu'eut pour le futur écrivain son village et en particulier sa maison : « pleine de monde - grands-parents, hôtes de passage, serviteurs, indiens -, mais également pleine de fantômes » (celui de sa mère absente en particulier).



INFLUENCE LIBÉRALE

Juste après la naissance de Gabriel, son père décide de devenir pharmacien, en autodidacte. En 1929, il quitte Aracataca en compagnie de sa femme. Le garçon sera élevé par ses grands-parents, dans une maison transformée aujourd'hui en musée. Sa formation intellectuelle ainsi qu'un certain sens de la démesure lui viennent du colonel Marquez, son grand-père libre-penseur qui, pour meubler l'ennui d'un temps immobile, lui ressassait inlassablement ses souvenirs de la guerre des Mille Jours : une dévastatrice guerre civile qui, entre 1899 et 1902 opposa le camp « libéral » (dont il faisait partie) et celui des « conservateurs », et se solda par la victoire de ces derniers.


À ce « Papalelo », comme il le surnomme, le futur écrivain doit aussi les fondements de sa conscience politique et sociale. Le colonel faisait en effet partie des personnalités colombiennes qui s'étaient élevées contre le « massacre des bananeraies » : en décembre 1928, des centaines d'ouvriers agricoles en grève (1 500 selon certaines sources) avaient été tués par l'armée colombienne, sous la pression des Etats-Unis qui menaçaient d'envahir le pays avec leur marines si le gouvernement n'agissait pas pour protéger les intérêts de la compagnie américaine United Fruit. Dans Cent ans de solitude, son œuvre majeure, l'écrivain retrace sous forme de fiction cet épisode sanglant. 


À huit ans, il part rejoindre ses parents qui l'enverront en pension chez les jésuites dans la ville de Baranquilla, puis à Bogota. Il publie ses premiers écrits dans la revue du collège. Baccalauréat en 1946, études de droit- vite abandonnées - et premières collaborations dans la presse : c'est en tant que journaliste que Garcia Marquez entre dans la vie publique. Lectures classiques : Kafka, Joyce, Virginia Woolf, Faulkner, Hemingway… Mais les influences ne jouent que sur la forme. Le fond, ce sera l'impalpable, le culte du surnaturel, des fantômes et des prémonitions transmis par sa grand- mère galicienne quand elle se levait la nuit pour lui raconter les histoires les plus extraordinaires de revenants, sorcières et nécromanciennes. Ainsi Marquez s'insère-t-il naturellement dans un courant littéraire hispanique et latino-américain incarné par Alvaro Cunqueiro, Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier: le réalisme magique ou le réel merveilleux.

En 1955, le jeune journaliste découvre la vérité sur la catastrophe du Caldas : ce destroyer de la marine colombienne, le pont surchargé de marchandises de contrebande, avait perdu huit hommes d'équipage dans la mer des Caraïbes lorsque les câbles de cette cargaison illicite avaient lâché. Les officiers avaient prétendu avoir affronté une terrible tempête. Après cent-vingt heures d'entretiens avec le seul rescapé, Garcia Marquez publie une série de quatorze articles, rédigés à la première personne et signés par le marin, qui seront repris en 1970 dans un livre sous le titre Journal d'un naufragé. Les lecteurs de EL Espectador s'arrachent le récit. Craignant les représailles du régime militaire alors au pouvoir, la direction du quotidien envoie Garcia Marquez en Europe.

FLN ET RIDEAU DE FER

Il arrive à Paris en pleine guerre d'Algérie, fréquente les milieux du FLN et, pour délit de faciès, s'expose ainsi aux « ratonnades » alors pratiquées par la police française. Jeune homme de gauche, proche des communistes, il effectue des voyages dans les pays de l'Est. Malgré ses préférences politiques, ses visites lui laissent une impression plutôt sinistre, consignée dans 90 jours derrière le rideau de fer (1959). Lorsque le dictateur Rojas Pinilla interdit El Espectador, le journaliste Garcia Marquez se retrouve sans travail. Il écrit et survit, en attendant la gloire et l'argent.

Sa compagne d'alors fait des ménages, lui ramasse papiers, journaux et bouteilles vides pour les vendre. Ces années impécunieuses trouveront leur écho, en 1961, dans Pas de lettre pour le colonel. L'année suivante paraîtront le roman La Mauvaise heure et Les Funérailles de la grande Mémé, un recueil de huit nouvelles : sortes de « moyens métrages » et, en quelque sorte, d'esquisses préfigurant ce que sera, cinq ans plus tard, Cent ans de solitude.

Entretemps, Garcia Marquez est revenu en Amérique Latine. Il y a épousé, en 1958, son amour d'adolescence Mercedes Barcha. Jamais ils ne se quitteront. Deux fils sont nés de cette union : Rodrigo qui, après des études d'histoire médiévale à Harvard, deviendra réalisateur de cinéma et Gonzalo, qui sera enseignant à Paris. En 1961, Garcia Marquez, qui travaille pour l'agence de presse cubaine Prensa Latina, effectue en journaliste et en ami du nouveau régime castriste une première visite à Cuba. Puis il se rend à New York en attente d'un visa pour le Canada, où l'agence l'a chargé d'ouvrir un bureau. Mais l'affaire tarde, ne se réalise pas et le journaliste écrivain, qui s'ennuie, embarque en bus sa petite famille pour le Mexique, le pays où il passera la plus grande partie de sa vie.

LE CHOC DE « CENT ANS DE SOLITUDE »

C'est quelques années plus tard qu'il va, d'un seul coup, accéder définitivement à la célébrité mondiale. Dès sa publication en 1967, à Buenos Aires, l'engouement rencontré par Cent ans de solitude (publié en français par Le Seuil en 1968) est extraordinaire. Tous les lecteurs d'Amérique Latine connaissent de mémoire sa première phrase : « Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. « A la fois épopée familiale, roman politique et récit merveilleux, c'est « le plus grand roman écrit en langue espagnole depuis Don Quichotte », selon le poète chilien Pablo Neruda. L'écrivain y déploie, sans une seconde d'enlisement ni de distraction, son langage puissant, à la fois exubérant et parfaitement maîtrisé.

Depuis la fondation du village fictif de Macondo, se déploie, sur six générations, l'histoire de la famille Buendia, une sorte de dynastie dont le destin est lié à la chronique mythologique du continent. Toute l'Amérique latine se reconnaîtra bientôt dans cette saga héroïque et baroque. Cinq ans après sa sortie, Cent ans de solitude aura déjà été publié dans vingt-trois pays et se sera vendu à plus d'un million d'exemplaires rien qu'en langue espagnole. On sait que Garcia Marquez fut sincèrement abasourdi par le succès de ce livre. Il l'attribua au fait qu'il était d'une lecture facile, avec son enchaînement de péripéties fantastiques. Toujours est-il que son impact contribua à la notoriété internationale des autres écrivains du « boom latino-américain », de Juan Rulfo à Mario Vargas Llosa, en passant par Jorge Luis Borjes, Julio Cortazar et Carlos Fuentes.

LA « GUERRE DE L'INFORMATION »

Garcia Marquez, meurtri et révolté par la dictature installée au Chili depuis le coup d'Etat du général Pinochet en septembre 1973, se refuse, pour un temps, à écrire de nouveaux romans et préfère s'engager dans ce qu'il appelle « la guerre de l'information ». Il contribue dans son pays à la création d'une revue indépendante, Alternativas, fustige le capitalisme et l'impérialisme, prend la défense du tiers-monde et soutient publiquement, sans états d'âme apparents, le régime de Fidel Castro.

En 1982, les jurés de Stockholm lui décernent le prix Nobel. Les rues de son village se couvrent de banderoles: « Aracataca, capitale mondiale de la littérature ». Il assistera à la cérémonie vêtu du «liqui-liqui», le costume blanc traditionnel de la côte caraïbe, au lieu du smoking protocolaire. Son discours de réception est un fougueux plaidoyer pour l'Amérique latine dont il décrit la « solitude » face « à l'oppression, au pillage et à l'abandon », alors même que les dictatures s'y multiplient.

Son évocation de « cette patrie immense d'hommes hallucinés et de femmes historiques, dont l'entêtement sans fin se confond avec la légende » - résonne dans tout le continent. Après le Nobel, García Marquez tourne le dos à Macondo et à l'univers prodigieux de son enfance. Désormais, sa production se situera, pour l'essentiel, à mi chemin entre le journalisme, l'histoire et le roman populaire.

« LES ROMANCIERS NE SONT PAS DES INTELLECTUELS »

Plus tard, ni L'Amour au temps du choléra (1985), ni Le Général dans son labyrinthe (1989), ni sa dernière fiction Mémoires de mes putains tristes (2004), ne remporteront le succès des œuvres précédentes. Qu'importe. Gabo est devenu une référence. On le sollicite - notamment à plusieurs reprises comme médiateur lors des pourparlers de paix engagés avec la guérilla colombienne -, on le consulte sur tous les sujets. Garcia Marquez n'est pas dupe. « Je suis un romancier, disait-il, et nous, les romanciers, ne sommes pas des intellectuels, mais des sentimentaux, des émotionnels. Il nous arrive à nous, Latins, un grand malheur. Dans nos pays, nous sommes devenus en quelque sorte la conscience de notre société. Et voyez les désastres que nous provoquons. Ceci n'arrive pas aux Etats-Unis, et c'est une chance. Je n'imagine pas une rencontre au cours de laquelle Dante parlerait d'économie de marché. »


Au delà de la politique et de la mythologie, Garcia Marquez n'aura jamais cessé d'élaborer un immense discours sur la mort et sur la solitude, que ce soit dans Les Funérailles de la Grande Mémé, L'Automne du patriarche, Chronique d'une mort annoncée et, bien entendu, Cent ans de solitude qui porte sur la fin d'une dynastie et d'une civilisation. « Je pense évidemment à la mort », avait-il déclaré. « Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, j'ai appris à vivre avec une idée très simple, très peu philosophique : brusquement tout s'arrête et c'est le noir absolu. La mémoire est abolie. Ce qui me soulage et m'attriste, car il s'agira là de la première expérience que je ne pourrai pas raconter. »