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lundi 30 avril 2018

LA COMMUNE DU PARIS ET LES PREMIERS DE CORDÉE DE LA RÉVOLUTION SOCIALE


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ÉTUDIER À TRAVERS LE LIVRE DE JEAN A. CHÉRASSECE QUE
FURENT LES OBJECTIFS DE LA COMMUNE NOUS CONDUIT AUSSI
À PENSER LES CHANGEMENTS À PROMOUVOIR DANS LE PAYS
POUR EN FINIR AVEC CE CAPITALISME
PRÉDATEUR EN CE XXIÈME SIÈCLE.
PHOTO : AFP

En cette année 2018 qui nous fait commémorer le bicentenaire de la naissance de Karl Marx et les cinquante ans de la grève générale de 1968 en France, Jean A. Chérasse, cinéaste documentariste et agrégé d’histoire, vient de sortir un livre de plus de 500 pages qui raconte, jour à après jour, ce que fut la Commune de Paris du 18 mars au 28 mai 1871(1). 

COUVERTURE DU LIVRE -
ILLUSTRATIONS PAR L'ARTISTE 

ELOI VALATÉD. LE CROQUANT
ENV. 500 PAGES - 24 €
« Née dans la fête, noyée dans le sang, la Commune de Paris a surgi telle une fleur du cerisier de Jean-Baptiste Clément, à la fin d’un hiver effroyable rendu difficilement supportable par les rigueurs d’un siège, mais elle reste, par sa fulgurance, une page extraordinaire de l’histoire de France », nous dit l’auteur dans son avant propos.

Alors que les manifestations du 1er mai vont mettre dans la rue des centaines de milliers de travailleurs et de retraités mécontents de la politique du président des très riches et de son gouvernement, un livre vient de sortir et nous informe de manière détaillée sur la Commune de Paris. À la lecture des documents d’époque publiés dans cet ouvrage, on est frappé par le niveau élevé des revendications, mais aussi par la pertinence des arguments mis en avant pour les défendre, sans oublier la beauté des textes avec une qualité d’écriture qui impressionne le lecteur près d’un siècle-et-demi plus tard. Les journaux des communards étaient vendus à la criée. Parmi eux, figurait le Cri du Peuple, dans lequel Jean-Baptiste Clément écrivait en ce dixième jour de la Commune pour évoquer la fuite de d’Adolphe Thiers à Versailles : 

« C’est le plus grand jour de la République (…) Ce matin, c’est l’heure de la fraternité, c’est l’apothéose de la grande République(…) Il n’y aura parmi nous ni vainqueurs ni vaincus, il n’y aura plus qu’un grand peuple confondu dans un même sentiment :celui d’une régénération ».

Le lendemain, Charles Beslay, élu du cinquième arrondissement et doyen des « Communeux », lui-même âgé de 76 ans, déclarait dans un discours consacré à la relance de l’économie dans la  capitale :

 « la commune que nous fondons sera la commune modèle. Qui dit travail dit ordre, économie, honnêteté, contrôle sévère et ce n’est pas  dans la Commune républicaine  que Paris trouvera des fraudes de 400 millions!».

« Ce que tentent nos héroïques camarades de Paris »

Evoquant les premiers pas de la Commune le 12 avril 1971, Karl Marx écrivat à son ami Kigelmann : 
« La révolution en France doit avant tout tenter non pas de faire passer la machine bureaucratique et militaire  en d’autres mains- ce qui s’est produit  toujours jusqu’à maintenant- mais la briser. Là est précisément la condition préalable de toute révolution vraiment populaire sur le continent. C’est aussi ce que tentent nos héroïques camarades à Paris».
Mais les versaillais préparent l’offensive militaire ce qui conduisent Pierre Denis à lancer cette mise en garde dans le Cri du Peuple dès le 23 avril :

« Le véritable danger n’est pas dans l’implacable ressentiment du gouvernement et de l’assemblée, ni dans l’armement qui se produit à Versailles. Le danger est ici, dans le Conseil communal, s’il ne sait pas, prendre les mesures de défense rapides, sûres, à la fois intelligentes, sages et fermes;  il est dans l’organisation même de la défense, et il est surtout dans les illusions que pourrait faire naître une fausse conciliation… ».

Au fil des pages de ce livre ont voit en effet monter la puissance militaire des Versaillais qui ont réussi à conserver des sites stratégiques comme le Mont Valérien sur les hauteurs de Suresnes, d’où il est possible de tirer au canon sur Paris. Progressivement, les troupes de Thiers investissent la banlieue ouest de Paris et les obus font de plus en plus de dégâts dans la capitale où des enfants d’une dizaine d’années vont, au risque de leur vie, récupérer des éclats d’obus dans les rues afin de récupérer quelques sous en les vendant à des marchands de ferraille.

A chaque fois qu’ils prennent de nouvelles positions, les Versaillais achèvent les blessés et même les infirmières présentes pour les soigner comme en  témoigne le commandant Noro dans un courrier au communard Charles Delescluze. Après la victoire des Versaillais, les massacres vont se poursuivre avec notamment 400 personnes fusillées à la prison de Mazas et 1907 exécutions à la Roquette en une seule journée.

Donner une place centrale à l’éducation de tous les enfants

La chute de la Commune de Paris fut donc particulièrement douloureuse. Toutefois, ce que l’on retient avant tout du livre de Jean A. c’est la qualité du projet politique des communards. Ils se battaient pour une société de justice et d’égalité, y compris entre les hommes et les femmes. Ils voulaient la bâtir dans le pays tout entier comme le montre un texte adressé  aux paysans. Ils considéraient qu’il fallait pour cela donner une place centrale à l’éducation de tous les enfants.

Alors que l’actuel président de la République et son gouvernement n’ont que la précarité du plus grand nombre à nous proposer comme projet afin de donner toujours plus aux «les premiers de cordées » tels que les voit Emmanuel Macron, étudier à travers ce livre ce que furent les objectifs de la Commune nous conduit aussi à penser les changements à promouvoir dans le pays pour en finir avec ce capitalisme prédateur en ce XXIème siècle qui, de surcroît  accélère le réchauffement  climatique.

(1) Les 72 immortelles, la fraternité sans rivages, une éphéméride des grand rêve fracassé des Communeux, de Jean A. Chérasse, dessins d’Eloi Valat ; les éditions du Croquant, 560 pages, 24€

Journaliste et auteur

mardi 24 avril 2018

CHILI: LE PAPE FRANÇOIS EN RÉDEMPTION FACE AUX VICTIMES DE PRÊTRES PÉDOPHILES


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LE PAPE FRANÇOIS AU PALAIS PRÉSIDENTIEL DE LA MONEDA À 
SANTIAGO, AU CHILI, LORS DE SA VISITE LE 16 JANVIER 2018. 
PHOTO VINCENZO PINTO
L'Église catholique vit des moments historiques au Chili : au début du mois, le Pape François a reconnu dans une lettre envoyée aux évêques chiliens « de graves erreurs de jugement » concernant les affaires d'agressions sexuelles et de viols commis par des prêtres dans ce pays d'Amérique du sud. Il a même invité officiellement au Vatican des victimes d'un gigantesque scandale de pédophilie révélé en 2010, et dissimulé pendant des années par la hiérarchie de l'Eglise chilienne. En réaction, l'archevêque de Santiago a reconnu pour la première fois qu'un évêque du sud du Chili, accusé de complicité dans une affaire de pédophilie, devait se mettre en retrait.
CHILI: LE PAPE FRANÇOIS, ICI DANS LA CATHÉDRALE DE
 SANTIAGO LE 16 JANVIER, A RENCONTRÉ EN SECRET
LES VICTIMES DE PRÊTRES PÉDOPHILES.
PHOTO LUCA ZENNARO
La nouvelle posture du pape François et de l’Église constituent un revirement radical par rapport à l'attitude de l'Eglise chilienne ces dernières années, et du pape lui-même lors de sa visite dans le pays en janvier. C'est en effet un discours très différent de celui qu'entendent depuis des années les victimes de pédophilie au Chili, violées ou agressées sexuellement par des prêtres catholiques.

Pour bien comprendre, il faut revenir un peu en arrière : en 2010, plusieurs victimes d'un prêtre d'un quartier riche de Santiago dénoncent publiquement les agressions sexuelles commises par cet homme. L'affaire fait scandale car l'Église est encore une institution très respectée à l'époque au Chili, et surtout parce que les victimes affirment avoir d'abord informé l'Eglise, sans qu'aucune sanction ne soit prise. Selon elles, la haute hiérarchie catholique a même couvert ce prêtre, Fernando Karadima, au lieu de prendre des mesures pour éviter que ces violences sexuelles ne se reproduisent.

« Des calomnies » selon le pape

Après le scandale, le prêtre Karadima a finalement été jugé par l'Église, et envoyé dans un foyer pour religieux. Mais quelques années plus tard, l'un de ses proches, Juan Barros, est nommé évêque dans le sud du Chili. Les victimes de pédophilie l'accusent d'avoir dissimulé des preuves qui accusaient le prêtre Karadima. Le clergé dément. Cet évêque sera présent aux côtés du pape François pendant toute sa visite au Chili, en janvier dernier. Interrogé sur ce sujet, le souverain pontife affirme alors qu'il n'existe « aucune preuve » contre Juan Barros, seulement des « calomnies ».

Cette phrase du pape François a été très mal reçue au Chili, car depuis que le scandale de pédophilie du prêtre Karadima a éclaté, l'Église fait face à une profonde crise de confiance dans le pays, et le nombre de chiliens qui se déclarent catholiques a énormément baissé. Face à l'indignation des victimes et de nombreux Chiliens, y compris des catholiques, le pape a donc finalement envoyé un émissaire spécial pour recueillir les témoignages de victimes de pédophilie dans l'Église chilienne, et par la même occasion collecter des informations sur les responsabilités de l'évêque, Juan Barros. C'est après avoir reçu le compte-rendu de son émissaire spécial que le pape a finalement changé de discours et invité des victimes au Vatican.

Oui à l’invitation, mais…

Face à ce revirement de la part du pape et de l'Eglise chilienne, les victimes ont le sentiment d'avoir gagné une bataille, car l'Eglise reconnaît enfin ce qu'elles (les victimes) répètent depuis des années. Elles ont d'ailleurs accepté l'invitation du pape. Mais d'un autre côté, elles rappellent qu'elles avaient déjà envoyé une lettre à Francois, une lettre qui n'a jamais eu de conséquences et elles avertissent que l'évêque Juan Barros ne doit pas être le coupable désigné pour servir une opération de communication de l'Eglise.


Pour les victimes, l'institution doit sanctionner les coupables et les complices, et changer profondément son mode de fonctionnement, pour éviter que des agressions sexuelles ne se reproduisent. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, et elles ne se priveront pas de le dire au pape François à partir de jeudi au Vatican.


dimanche 22 avril 2018

ENRIQUE CUA CUÁ HORMAZÁBAL, LE PREMIER MAGICIEN DU CHILI


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ENRIQUE CUA CUÁ HORMAZÁBAL
PHOTO LA TERCERA
Le 18 avril 1999, le Chili pleurait la mort d’Enrique Hormazábal. Celui que les anciens surnommaient Cua Cuá a été l’une des premières grandes idoles de l’après-guerre. Et s’il est quelque peu oublié aujourd’hui, il reste probablement le premier vrai magicien du football chilien. Portrait.
Lucarne Opposée 
Découvert dans la rue
ENRIQUE CUA CUÁ HORMAZÁBAL
Enrique Hormazábal est né le 6 janvier 1931 et n’a pas usé les bancs de l’école bien longtemps. Issu d’une fratrie de sept enfants, il doit en effet rapidement trouver un travail pour subvenir aux besoins de la famille. Malgré tout, le football est déjà le centre de l’univers du garçon qui tape dans la balle tous les dimanches au sein du club amateur de Vizcaya du quartier de Yungay-Mapocho à partir de ses treize ans. C’est à ce moment que le petit footballeur aux pieds nus que l’on surnomme Cua Cuá, héritage d’un bégaiement pour 40 centimes, prix d’un journal de l’époque, va chausser des crampons. Trois ans plus tard, alors qu’il joue dans la rue avec son père, Humberto Agüero le repère et lui permet de signer son premier contrat pro avec Santiago Morning. Cua Cuá n’a que 17 ans, son histoire prend un coup d’accélérateur.
« Le football se joue avec les pieds mais il nait dans la tête. »
Ailier droit, Hormazábal s’impose rapidement au sein de son équipe. Il reste sept ans au club, y devient international et décroche un trophée, la Copa Carlos Varela en 1950, prologue du championnat national de la même année, dernier titre de Primera du club bohemio. Six ans après ses débuts en Primera, Cua Cuá change de dimension en rejoignant Colo-Colo. Le numéro 8, capable de mettre le ballon où il le désire, va devenir rapidement une idole au club non seulement en lui permettant de décrocher des titres (trois en sept ans) mais surtout par son talent. Cua Cuá Hormazábal transpire de talent, il voit ce que personne n’avait deviné, placé au cœur du jeu, il est le maître à jouer du Cacique, son premier Mago. L’histoire veut qu’il ne manquera jamais un penalty si ce n’est aux entraînements où il envoie les ballons vers les petits supporters qui se pressent derrière les barrières après leur avoir dit d’aller dans la rue derrière, les joueurs n’étant alors pas autorisés à distribuer les ballons aux supporters. Son élégance, sa vision, sa technique en font un joueur phare de son époque, l’une des grandes vedettes du football chilien et son ascension météoritique en font un pilier annoncé de la sélection qui défend les couleurs du pays lors de sa Coupe du Monde de 1962.

Nouveau Chili et drame de 1962

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Pré-convoqué pour la Coupe du Monde de 1950, Cua Cuá Hormazábal fait ses débuts en sélection face à la Bolivie en 1950 et marque un but. Il participe au premier Campeonato Panamericano de Fútbol, inscrit deux buts au sein d’un Chili, pays hôte, qui est battu en finale par le Brésil, puis est membre de la sélection qui ne parvient à se qualifier pour la Coupe du Monde 1954. Ses principaux faits d’armes des années cinquante, Hormazábal va les signer en Copa América qui s’appelle alors Campeonato Sudamericano. En 1955, le Chili organise la compétition, Cua Cuá Hormazábal brille. Six buts en cinq matchs et une « finale » perdue face à l’Argentine permettent au joueur de Colo-Colo de se faire un nom et de l’y laisser dans l’histoire de l’épreuve notamment en devenant l’auteur du 1000e but de l’histoire de la compétition. L’année suivante, lors d’un Campeonato Sudamericano spécial, organisé alors en Uruguay, Cua Cuá Hormazábal réussit une énorme performance face au Brésil en ouverture. Le Chili s’impose 4-1 sur un doublé de Cua Cuá qui offre le troisième but au jeune Leonel Sánchez, future légende au pays dans ce qui reste pour lui LE match qu’il n’oubliera pas. Ses quatre buts en font le meilleur buteur de l’épreuve mais n’empêcheront pas l’Uruguay de remporter cette édition mais font du Chili un joli second, jamais plus dans l’histoire de la Copa América la Roja ne parviendra à faire deux deuxièmes places consécutives, il faudra attendre l’avènement de la génération des Caszely pour qu’elle retrouve une finale, soixante ans pour qu’elle décroche enfin des succès. La même année, le Chili est désigné pays hôte de la Coupe du Monde 1962. Elle doit être l’avènement de Cua Cuá Hormazábal, elle en sera un traumatisme.

CUA CUÁ HORMAZÁBAL,
Car Enrique Hormazábal ne disputera pas cette Coupe du Monde. Champion au pays avec Colo-Colo en 1960, cela fait déjà deux ans que Cua Cuá n’est plus appelé en sélection. Fernando Riera prend les rennes de la sélection en 1957 et lance alors un long processus de construction/modernisation de celle-ci dans l’optique du Mondial 62. C’est sous son impulsion que sera par exemple bâti Juan Pinto Durán, aujourd’hui encore le Clairefontaine de la Roja. Riera et Hormazábal ne s’entendront pas. La légende s’empare des raisons expliquant cela. Selon Cua Cuá la raison est une histoire d’équipements qu’il ne voulait pas porter. Selon Riera, la raison vient du fait que le joueur ne veut pas se plier à la discipline collective qu’il souhaite instaurer en sélection avec la mission Coupe du Monde 1962, un épisode lors d’un retour en bus de La Serena ayant été le point de non-retour. Si la légende veut que Riera a dit à Hormazábal qu’il comptait pour la sélection mais devait se soumettre comme les autres à la discipline qu’il comptait instaurer, le fait est que Cua Cuá ne revêtira plus le maillot rouge et suivra de loin la troisième place et le couronnement de Leonel Sánchez. Nombreux sont ceux qui pensent qu’avec Cua Cuá, le Chili aurait été champion du monde.

Cet épisode marque un avant et un après pour un joueur alors âgé de 31 ans. Il entre en dépression, prend du poids, est annoncé mort pour le football. En 1961, la rumeur de sa retraite court. Mais les géants se nourrissent des légendes qu’ils aiment eux-mêmes écrire. L’année suivante, Hormazábal conduit Colo-Colo vers un titre qui marque l’histoire du club. Avec 103 buts en 34 matchs et l’éclosion définitive d’un gamin nommé Francisco Chamaco Valdés, autre légende du peuple Albo, le Cacique décroche son neuvième titre, le dernier de Cua Cuá joueur, un titre qui, tout un symbole, est scellé sur une dernière victoire face à la Católica sur un lob de quarante mètres du numéro 8. Brillant, Hormazábal a retourné les médias. La revue Estadio lui consacre un édito de deux pages dans lequel on peut lire : « Lorsqu’on commet une erreur, l’honnêteté consiste à la reconnaître. Nous avons commis une grave erreur envers Hormazábal. Nous l’avions supposé perdu pour le football. Nous l’avons fait passer pour un homme sans volonté, englué dans les excès, attaché à un milieu qui le précipiterait dans le ravin. Mais petit à petit, le 8 albo a retrouvé sa condition. Il s’agissait d’abord de jouer comme il savait le faire, d’abord une dizaine de minutes par match, puis une demi-heure, puis une mi-temps. Lors de ce championnat de 1963, ce fut le match. »

Cua Cuá Hormazábal donnera deux années de plus à Colo-Colo. En 1965, il prend sa retraite avant d’entamer une courte carrière d’entraîneur. À 39 ans, il débute avec Colo-Colo mais son cycle est bref, sans lui, Colo-Colo décroche le titre de 1970. Quatre ans plus tard, il dirige Santiago Morning champion de Segunda qui retrouve alors l’élite après cinq années d’absence.

18 avril 1999, le Chili pleurait la disparition de l’un de ses héros. 52 ans après son dernier but en Campeonato Sudamericano, et alors que la Roja a décroché deux Copa América, il reste son meilleur buteur dans cette épreuve (10 buts), rejoint en 2016 par Eduardo Vargas. Il n’existe pas d’images d’Enrique Cua Cuá Hormazábal, seule sa légende traverse le temps grâce aux paroles des anciens. Des paroles qui racontent l'histoire d'un milieu de terrain talentueux, intelligent, resté célèbre pour ses passes de quarante mètres et aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands du football chilien. Des paroles avec lesquelles remontent les souvenirs d’une époque où le Chili avait connu son premier magicien.

vendredi 13 avril 2018

LE REPENTIR DU TORTIONNAIRE CHILIEN


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LA QUATRIÈME DIMENSION 

(LA DIMENSIÓN DESCONOCIDA), 

DE NONA FERNANDEZ, TRADUIT 
DE L’ESPAGNOL (CHILI) PAR 
ANNE PLANTAGENET, STOCK, 
« LA COSMOPOLITE », 288 P., 19,50 €.

« La Quatrième Dimension », de Nona Fernandez, reconstitue avec précision la violence de la dictature militaire de Pinochet, et rend justice aux victimes.
ANDRES ANTONIO VALENZUELA MORALES
Le visage de cet homme à grosse moustache la hante depuis une trentaine d’années et ce jour de 1984 où elle l’a découvert en « une » d’un magazine. La narratrice de La Quatrième Dimension, comme son auteure, la romancière et scénariste Nona Fernandez, avait 13 ans. La dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990) battait son plein dans son pays, le Chili. L’homme en question, Andrés Antonio Valenzuela Morales, un soldat de première classe, confessait ses crimes dans ce journal. Devenu agent des services de sécurité de l’armée, alors qu’il se rêvait simple marin, il avait été contraint, dès sa conscription à 18 ans, de traquer les dissidents au régime, de les torturer ou de faire disparaître les corps de ceux qui avaient été exécutés.


Ce sont ces scènes de cauchemar, qui ne l’ont jamais quittée depuis qu’elle en a lu le récit, que la narratrice rappelle à la mémoire du monde, et surtout à celle du Chili : un pays qui, au nom de la transition démocratique, menée en la présence tutélaire de Pinochet, souligne-t-elle avec ironie, a longtemps occulté la violence de sa politique de répression. Reconstituant le parcours de Valenzuela Morales, qu’elle surnomme « l’homme qui torturait » pour bien dissocier sa fonction de sa véritable personnalité, Nona Fernandez, dans ce troisième roman traduit en français, relate sa rocambolesque défection : ses aveux circonstanciés, auprès d’une journaliste puis d’un avocat, et son exfiltration, au péril de sa vie, en Argentine puis en France.

Cercles concentriques

Remarquable de précision, avec ses phrases lapidaires et son écriture dépouillée, le roman, entièrement narré au présent, frappe par la proximité entre la narratrice et le tortionnaire repenti, bien qu’elle ne l’ait jamais rencontré. C’est que l’homme fait partie intégrante de sa vie, à l’égal de ces images liées à l’histoire du Chili, qui constituent ses premiers souvenirs. « La Moneda bombardée, les groupes militaires, la junte et les arrestations, détaille-t-elle, je suis née avec [ces scènes], elles sont installées dans mon corps, intégrées dans un album de famille que je n’ai ni choisi ni organisé. »

Cette histoire de toute une génération qui a grandi pendant la dictature, spectatrice, sans la comprendre, de la lutte entre le régime et ses opposants, Nona Fernandez l’apparente, de manière particulièrement captivante, à d’autres images encore : celles de la série La Quatrième Dimension. Comme dans ce feuilleton des années 1960, rediffusé dans les années 1980, qui explorait un « monde secret, un univers qui existait au-delà des apparences, derrière les limites de ce que nous étions habitués à voir », son livre s’aventure de l’autre côté du miroir de l’histoire officielle. De l’autre côté de l’intelligible et de l’humainement acceptable. Multipliant les points de vue – celui du gouvernement, celui du soldat, celui de son avocat, celui de la romancière (et de la documentariste qu’elle est) –, Nona Fernandez reconstitue très précisément le déroulement de certains des assassinats les plus marquants de cette période pour rendre justice aux victimes, trop vite oubliées. Comme ces cinq militants communistes qui furent tués en représailles au meurtre d’un dignitaire de l’armée auquel ils n’avaient pourtant pas participé. Procédant par cercles concentriques, le récit de Nona Fernandez s’attache d’abord aux victimes puis à leurs tortionnaires, avant de se focaliser sur la narratrice et de dévoiler la façon dont les crimes la touchèrent personnellement. Un spectaculaire voyage dans la mémoire collective et individuelle des Chiliens.

Lire un extrait sur le site de Stock.

jeudi 12 avril 2018

INFECTION AU VIH: DEUX FOIS PLUS DE CAS AU CHILI DEPUIS 2010


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LES INFECTIONS AU VIH ONT DOUBLÉ AU CHILI DEPUIS 2010,
SOIT LA PLUS FORTE HAUSSE EN AMÉRIQUE LATINE
Les infections au VIH ont doublé au Chili depuis 2010, soit la plus forte hausse en Amérique latine, a annoncé mercredi le ministère chilien de la Santé, qui va lancer un plan de travail pour faire face à ce problème de santé publique. 
INFECTIONS À VIH : L'ONU 
TIRE LA SONNETTE D'ALARME
PHOTO AIJAZ RAHI
Alors que 2.900 nouveaux cas avaient été recensés dans le pays sud-américain en 2010, 5.816 l'ont été en 2017, soit un bond de 96%, selon les autorités, qui dévoileront bientôt un nouveau Plan national de prévention du VIH.

"Nous ne voulons pas attendre une minute de plus et nous allons prendre des mesures pour contrer cette tendance", a déclaré le ministre de la Santé, Emilio Santelices, lors d'une conférence de presse, ajoutant que les nouvelles mesures incluront des campagnes d'information et de promotion de l'usage du préservatif - en chute de 13% ces dernières années - ainsi qu'une plus grande disponibilité des tests. 

Les jeunes adultes et les adolescents sont le groupe le plus à risque, selon les autorités, qui soulignent que l'âge moyen de contamination est de 25 ans, et estiment que le nombre réel de personnes touchées par le virus dépasse largement les chiffres officiels.

"Si l'on ne fait rien de concret, d'ici quatre ans il n'y aura pas une seule famille au Chili qui n'ait pas un cas de VIH dans son entourage, la situation est vraiment grave", a commenté à l'AFP Carlos Beltran, président de la Corporation Chili-Sida et conseiller en la matière du ministère de la Santé.

Selon M. Beltran, le nombre total de cas confirmés - 65.500, pour une population de 17,9 millions d'habitants - ne serait que la moitié du chiffre réel. "Sur deux personnes infectées, il y en un une qui ne le sait pas".

Le taux de décès liés au sida inquiète aussi : de 2,9 pour 100.000 habitants au Chili, il est le triple de la moyenne mondiale (1,2), selon M. Santelices.


La tendance est à l'inverse dans le reste de l'Amérique latine, avec une baisse des infections entre 2010 et 2017 en Colombie, au Salvador, au Nicaragua et en Uruguay notamment, tandis que l'Argentine et le Brésil ont réussi à contenir l'épidémie.

PÉDOPHILIE AU CHILI : LE PAPE RECONNAÎT « DE GRAVES ERREURS » D'APPRÉCIATION


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PHOTO ORLANDO BARRIA 
Dans une lettre aux évêques chiliens, rendue publique mercredi 11 avril, le pape François fait part de sa « douleur » et de sa « honte » pour les abus sexuels commis et reconnaît avoir commis « de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation».  Nicolas Senèze, à Rome
Après avoir lu les conclusions d'une enquête sur des abus sexuels commis par le clergé au Chili, le pape François reconnaît avoir commis « de graves erreurs ».
Le Point.fr avec l'AFP
Le pape François a reconnu, mercredi 11 avril, avoir commis « de graves erreurs » d'appréciation de la situation au Chili, après avoir lu les conclusions d'une enquête sur des abus sexuels commis par le clergé. Dans une lettre aux évêques chiliens, diffusée mercredi soir par le Saint-Siège, le pape argentin indique aussi souhaiter les convoquer prochainement à Rome pour discuter des conclusions de l'enquête qu'il avait diligentée. Le compte rendu transmis au pape comprend 2 300 pages et les témoignages de 64 personnes, recueillis à New York et à Santiago du Chili.

Le pape François a écrit dimanche 8 avril aux évêques du Chili pour leur faire part de sa « douleur » et de sa « honte » pour les abus sexuels commis par des membres du clergé au Chili. Il reconnaît avoir lui-même commis « de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation ».

Dans cette lettre, publiée mercredi 11 avril par l’épiscopat chilien, le pape tire les premières leçons du rapport de 2300 pages réalisé par Mgr Charles Scicluna, l’enquêteur spécial qu’il avait envoyé en février dernier au Chili pour tenter de débrouiller le complexe écheveau des affaires d’abus sexuels commises dans le pays.

« Maintenant, après une lecture attentive des actes de cette “mission spéciale”, je crois pouvoir affirmer que tous les témoignages recueillis parlent d’eux-mêmes d’une manière dure, sans additifs ni édulcorants, des nombreuses vies crucifiées et j’avoue que cela me cause de la douleur et de la honte », affirme le pape aux évêques chiliens.

Ceux-ci seront d’ailleurs convoqués à Rome dans les prochaines semaines pour recevoir du pape les conclusions de l’enquête.

« Je reconnais que j’ai commis de graves erreurs »

« J’ai pensé à cette rencontre comme un moment fraternel, sans préjugés ni idées préconçues, dans le seul but de faire briller la vérité dans nos vies », écrit François.

Cette rencontre pourrait s’apparenter à celle que son prédécesseur Benoît XVI avait tenue en février 2010 avec les évêques d’Irlande sur cette même question des abus sexuels.

Au cours d'un voyage au Chili du 15 au 18 janvier, le pape avait défendu avec force l'évêque chilien Juan Barros, soupçonné d'avoir tu les crimes d'un vieux prêtre pédophile, se déclarant persuadé de son innocence et demandant aux victimes présumées des preuves de culpabilité. Il avait ensuite présenté ses excuses pour ses propos maladroits dans l'avion qui le ramenait à Rome, puis dépêché au Chili un enquêteur renommé du Vatican pour recueillir des témoignages de victimes présumées.

Dans sa lettre aux 32 évêques chiliens diffusée mercredi, le pape François ne fait toutefois aucune mention spécifique du cas de l'évêque Juan Barros. « En ce qui me concerne, je reconnais (...) que j'ai commis de graves erreurs dans l'évaluation et la perception de la situation, notamment en raison d'un manque d'informations véridiques et équilibrées », écrit le pape dans ce long mea culpa en espagnol. En prenant connaissance du compte rendu de l'enquête, portant sur « des abus de pouvoir » et « des abus sexuels sur mineurs » commis par des membres du clergé, le pape dit s'être senti « submergé par la douleur ». François évoque « beaucoup de vies crucifiées » dans les témoignages recueillis, qui lui ont inspiré « douleur et honte ».

Le pape demande « pardon »

Il demande « pardon » à ceux qui se sont sentis offensés et dit espérer rencontrer « dans les prochaines semaines » des représentants des personnes interrogées. Aux évêques chiliens qui seront convoqués à Rome pour discuter des conclusions de l'enquête le souverain pontife demande « collaboration et assistance ». L'objectif est de trouver des mesures à court, moyen et long terme pouvant « réparer dans la mesure du possible le scandale et rétablir la justice ». « Les difficultés présentes sont aussi une occasion de rétablir la confiance dans l'Église, une confiance brisée par nos erreurs et péchés », souligne le pape.

Le pape François avait décidé fin janvier d'envoyer au Chili Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte. Ce prélat a été pendant dix ans (jusqu'en 2012) le « promoteur de justice » (procureur) du tribunal du Vatican chargé d'enquêter sur les cas de pédophilie chez les prêtres, se forgeant un nom pour son combat déterminé. Ce Maltais né au Canada a permis notamment l'ouverture d'une enquête sur le père Marcial Maciel, fondateur mexicain de la congrégation des Légionnaires du Christ et auteur de nombreux actes de pédophilie.

Omniprésence de Mgr Barros

En janvier 2015, le pape François avait pris la décision de nommer Mgr Juan Barros, âgé aujourd'hui de 61 ans, à la tête du diocèse d'Osorno (sud), bien qu'il soit soupçonné d'avoir caché les actes pédophiles du père Fernando Karadima. Cet ancien formateur octogénaire de prêtres a été reconnu coupable en 2011 par un tribunal du Vatican d'avoir commis des actes pédophiles dans les années 1980 et 1990. Il a été contraint de se retirer pour une vie de pénitence. Des victimes de Fernando Karadima ont toutefois accusé Juan Barros d'avoir assisté à certains actes de pédophilie sans les dénoncer. L'omniprésence de Mgr Barros aux messes publiques célébrées par le pape dans trois villes différentes du Chili avait soulevé un tollé dans l'opinion publique du pays en janvier. Au Chili, le pape avait exprimé publiquement sa « honte » pour les actes d'abus sexuels du clergé et rencontré deux victimes. Mais son message avait ensuite été totalement brouillé par la défense de Mgr Barros.

mercredi 11 avril 2018

LACTANCIA LIBRE

 « LACTANCIA LIBRE»

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INTERNATIONAL POUR L'ALLAITEMENT MATERNEL ?
LE VOICI EN BLEU ET BLANC...
 
Cachez ce téton que nous ne saurions voir ! Au Chili, il est encore interdit pour une maman d'allaiter son enfant en public. Au nom de la bienséance et des bonnes moeurs. Alors pour contourner et faire lever ce bannissement, des Chiliennes mènent campagne dans un lieu adapté, un bar topless de Santiago. 

Tandis que dans l'hémisphère nord, Américaines ou Européennes des régions septentrionales s'affichent librement et fièrement dans les parcs, aux terrasses de café, dans le métro, au travail, etc, un bébé cramponné au sein, d'une part, la main tapotant des textos sur un téléphone portable, de l'autre, il est des régions du monde occidental où il ne fait pas bon être une "bonne mère nourricière" selon les critères d'organistations internationales comme l'OMS. Partout les vertus du lait maternel sont vantées, parfois même jusqu'à la culpablisation des femmes qui s'y refuseraient.





 « LACTANCIA LIBRE»

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Au Chili aussi, des député.es font pression pour que le lait naturel prenne le pas sur l'artificiel. Mais malgré moulte tentatives, il est toujours très difficile à une postulante chilienne de donner le sein à son bébé en public. Elle prendrait le risque d'être vilipendée par des passants peu enclins à goûter le spectacle. Et elle trouverait bien peu de défenseur.es pour la féliciter de son geste citoyen (l'allaitement maternel quand c'est possible pour la mère et l'enfant est effectivement gratuit, sans emballage, et sans préparation). 

Au Chili, une femme est plus sûre de montrer ses seins dans un cabaret que dans un lieu public

Campagne Lactancia Libre

Face à ces nombreux cas de discrimination, un vent activiste pour le lait maternel partout et tout le temps souffle sur le Chili pour bousculer ou épouser (tout dépend de la façon d'envisager le rôle de mère) la gouvernance conservatrice qui a succédé à Michelle Bachelet depuis qu'elle a été remplacée à la présidence du pays par Sebastián Piñera, son éternel adversaire, homme d'affaires richissime, très marqué à droite : cinq député.es ont déposé un projet de loi afin de verbaliser, voire pénaliser les agressions contre les femmes allaitantes dans l'espace public, initiative accompagnée d'une vidéo en passe de devenir virale au Chili "Lactancia Libre", réalisée par une agence de communication. 

Le clip d'à peine plus d'une minute, montre des femmes qui travaillent dans une boîte de nuit où elles se produisent en "topless". Les unes après les autres, elles lancent qu'"une femme est plus sûre de montrer ses seins dans un cabaret que dans un lieu public".


Libérer les tétons lactés !

Selon ceux qui mènent cette campagne par le biais de la provocation, il n'y a actuellement aucune protection efficace pour l'allaitement maternel au Chili. Pire, selon des études d'opinion, 50 % des mères chiliennes se sont senties victimes de discrimination (vexations, rejet, agressions), une fois ou l'autre, lorsqu'elles allaitaient dans des lieux publics. Or il n'existe actuellement aucune protection juridique permettant à ces femmes d'exercer ce qu'elles estiment être un droit fondamental. 

Pourtant, on peut lire sur un blog de maman "parfaite" que le lait naturel est fortement recommandé aux Chiliennes, à condition sans doute qu'elles ne travaillent pas et s'adonnent à cette activité à la maison, comme on peut le lire entre les lignes de cette description idéalisée.

L'allaitement maternel libre, urgence du ministère des Droits des femmes
On peut aussi voir sur le site de la ministre de la Femme et de l'égalité entre les sexes, Isabel Plá, dans une note du 9 avril 2018, que parmi "les priorités de l'agenda législatif à promouvoir par le ministère", entre les violences faites aux femme, l'écart salarial et la crèche pour tous/toutes, "l'allaitement maternel  libre" tient sa place. "Pour nous, il est important d'aller de l'avant avec un programme législatif qui fournit aux femmes les outils nécessaires et prévient toute forme de discrimination. C'est pourquoi, en tant que gouvernement, nous évaluons la possibilité de donner un caractère d'urgence au projet d'allaitement libre, afin qu'une mère ne soit plus jamais discriminée pour avoir allaité son enfant", a-t-elle déclaré lors d'une rencontre avec deux élues de son bord, la sénatrice Carolina Goic et la députée Joanna Pérez. On les voit poser toutes les trois, heureuse de cet engagement maternel...

Sans doute est-elle poussée à cette "urgence" par ces autres député.es qui ont déposé au tout début du mois d'avril 2018 un texte de loi qui rendrait passible d'amendes tous ceux et celles qui se dressent contre les mères allaitantes. Les élu.es (écologistes ou de centre gauche) Carolina Marzan, Loreto Carjaval, Cristina Girardi, Marisela Santibanez et Andrea Parra  propose d'infliger des sanctions pécuniaires "à ceux qui interdisent l'allaitement maternel, tant dans les lieux publics que privés en menaçant, perturbant ou entravant les droits de ces femmes."

Le tribunal de la famille sera chargé de prononcer les peines à l'aune de ce qui est prévu par le code de la santé, c'est à dire environ 5000 pesos chiliens, soit environ 7 euros (le salaire moyen au Chili est de 500 000 pesos, à peu près 700 euros). 

L'allaitement maternel, un droit fondamental des femmes et des enfants ?
L'objectif principal de ce projet de loi est de définir "l'allaitement maternel comme un droit fondamental de l'enfance, mais aussi des mères, qui doit pouvoir s'exercer librement, en tout lieu ou cadre, parce qu'il s'agit d'un acte naturel de l'espèce humaine, en dehors de toute connotation moralisatrice".

En 2015, une initiative similaire était arrivée sur les bancs du Congrès (le parlement chilien),... restée dans les tiroirs depuis trois ans. 

Cela dit, projet de loi répressif ou non, la question ne sera pas résolue. Il se trouvera toujours des personnes incommodées par des bébés tétant les seins gonflés de leur maman - et après tout c'est leur droit... Tout le monde n'est pas forcément bouleversé et ému à la vue d'un allaitement. Des femmes ayant fait d'autres choix peuvent même s'en trouver culpabilisées...
Voici quelques années avaient déferlé aux Etats-Unis et dans l'Europe du Nord des images, et des actions invitant les femmes à se consacrer corps et âme à la maternité triomphante, un mouvement appelé "attachment parenting ". Des Unes de grands magazines s'en faisaient l'écho aux Etats-Unis, tandis que de l'autre côté de l'Atlantique les Danoises organisaient des happening d'allaitement...  


Et si on laissait le libre choix - allaiter ou pas ; en public ou pas ; grogner ou se réjouir face à ces scènes nourricières...
Et surtout ne pas renvoyer les femmes à cette essence maternelle, que toutes ne partagent pas...

samedi 7 avril 2018

KEVIN KÜHNERT : « LA SOCIAL-DÉMOCRATIE DOIT RENONCER AU NÉOLIBÉRALISME »



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KEVIN KÜHNERT
PHOTO AP
À l’occasion du congrès du Parti socialiste qui se tiendra les 7 et 8 avril 2018, Kevin Kühnert, figure montante du SPD allemand, estime, dans une tribune au « Monde », que la social-démocratie ne survivra que si elle reconnaît ses erreurs et retrouve sa capacité d’indignation.

[Les 7 et 8 avril 2018, le Parti socialiste (PS) se réunira en congrès à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). À cette occasion, le député de Seine-et-Marne Olivier Faure sera officiellement intronisé premier secrétaire. Il est arrivé en tête du premier tour le 15 mars, avant que sa victoire ne soit entérinée le 29 mars. Le 13e premier secrétaire du parti prend la direction d’une formation en pleine reconstruction après les lourdes défaites électorales de 2017. Alors que le PS cherche un nouveau souffle, Le Monde, dans ses versions papier et numérique, a donné la parole à différents intellectuels et acteurs politiques pour réfléchir à l’avenir du socialisme au XXIe siècle.] 
KEVIN KÜHNERT
PHOTO  IMAGO/PHOTOTHEK
Tribune. L’avenir de la social-démocratie reste à écrire. La perception
qu’en a le public est peut-être profondément marquée par le déclin du Parti socialiste en France ou du Parti du travail (PVDA) aux Pays-Bas, ou par le fait qu’on ne trouve plus aucun parti de gauche, aujourd’hui, dans nombre de Parlements d’Europe de l’Est. Mais quand on brosse un tableau complet de la situation, on constate que la situation est plus compliquée qu’elle n’y paraît. On remarque par exemple les résultats électoraux éclatants du Parti travailliste britannique (Labour Party) et du PS portugais ; et d’autres partis sociaux-démocrates qui sont au carrefour des possibles, en Allemagne, en Autriche ou encore en Italie.

Tous peuvent se réclamer d’une tradition vieille de plusieurs décennies ; tous ont gouverné leur pays pendant de longues années, souvent avec succès. Ils ont construit des systèmes sociaux et organisé l’accès à l’éducation. Ils ont humanisé le marché du travail et conquis des droits pour les femmes. Ils ont assuré la paix et aidé l’Europe à resserrer ses liens. Bref : ils ont marqué de leur empreinte toute une époque de ce continent.

Empêtrée dans des débats sur le passé

Mais ils font aujourd’hui une expérience amère : on ne vote pas pour un parti au nom des réussites qu’il a connues par le passé, aussi éclatantes soient-elles. Les partis n’ont pas non plus vocation à la vie éternelle : leur utilité doit être justifiée à chaque instant. Or, depuis près de deux décennies, la social-démocratie a de plus en plus de mal à accomplir cette tâche. Çà et là, ses victoires lui ont coûté la vie et elle s’est empêtrée dans des débats sur le passé – sur son passé, sur les périodes où elle a exercé le pouvoir et sur son bilan politique.
EN CLAIR : DES LEADERS DE LA GAUCHE POLITIQUE EN EUROPE ONT PROPOSÉ D’ÊTRE DÉSORMAIS MOINS À GAUCHE
Depuis la fin des années 1990, c’est une social-démocratie intérieurement déchirée qui doit mener ce combat. Déchirée, parce que les directions des partis qui la représentent ont décidé à cette époque qu’il fallait faire entrer dans une ère nouvelle ce mouvement politique fort d’une longue tradition. Le 8 juin 1999, Gerhard Schröder et Tony Blair présentaient leur texte intitulé « The Third Way » (« La troisième voie »). Leur thèse : en ces temps de mondialisation au cours desquels les processus politiques deviennent plus complexes et plus opaques, il faut trouver une nouvelle voie entre le néolibéralisme et la social-démocratie classique. En clair : des leaders de la gauche politique en Europe ont proposé d’être désormais moins à gauche.

Et c’est ainsi que toute une famille de partis s’est engagée sur la voie d’un changement fondamental de son programme. Ils ont dérégulé les marchés du travail parce qu’on leur avait expliqué que cela garantirait la compétitivité internationale. Ils ont privatisé des pans essentiels des systèmes publics de Sécurité sociale, parce qu’ils s’étaient eux-mêmes persuadés que les organismes privés étaient capables de mieux faire. Ils ont démantelé l’Etat en économisant sur le personnel et en supprimant beaucoup d’éléments que les critères de l’économie de marché faisaient paraître non rentables. En oubliant au passage que la performance historique de leurs partis avait précisément été de dépasser largement ce type de pensée-là. Bref : la social-démocratie a cédé au néolibéralisme, qui avait consacré des années à se creuser obstinément un chemin au cœur de la politique européenne, et qui apporte la même réponse à la quasi-totalité des questions qui se posent : le libre marché.

Réorientation fondamentale

KEVIN KÜHNERT - ET EN ARRIÈRE-PLAN UNE
IMAGE DU CHEF D'EX-RFA MARTIN SCHULZ.
PHOTO KAY NIETFELD 
Il est difficile d’évaluer aujourd’hui si un retournement politique de la social-démocratie est encore du domaine du possible. Nos Parlements se diversifient et il devient de plus en plus nécessaire de faire une distinction entre les mouvements politiques. On ne s’interroge pratiquement pas sur ces partis hybrides qui piochent leur idéologie dans des camps différents et dont la réflexion programmatique intègre par avance le compromis politique. Or c’est précisément ce profil que la social-démocratie offre aujourd’hui dans nombre de pays.

NOUS NOUS SOMMES LAISSÉ IMPOSER L’AGENDA DE L’EXTRÊME DROITE POLITIQUE
Pendant un bon siècle et demi, sa force a été de maintenir des valeurs universelles dans un monde en mutation et de les rendre applicables en permanence, à la lumière du progrès technologique et social. Ce processus s’est arrêté et appelle une réorientation fondamentale. La social-démocratie doit trouver le courage de transformer ses valeurs intemporelles, l’égalité, la liberté et la solidarité, et une confiance en soi suffisante pour les faire entrer dans une ère nouvelle.

La pusillanimité des années passées a ouvert des failles que les populistes de droite, entre autres, ont su utiliser habilement. Lorsque la social-démocratie a cessé de parler de la valeur du travail et de la répartition de la richesse sociale, eux se sont mis à parler des réfugiés et des identités nationales. Nous nous sommes laissé imposer l’agenda de l’extrême droite politique. Et l’impression a fini par s’installer que les migrations et le retour au national étaient les sujets centraux de notre époque.

Retours de flammes sociaux

En réalité, les thèmes de la gauche politique n’ont pas changé et sont visibles de tous. Chaque jour les inégalités de répartition des richesses s’accroissent. De larges fractions des travailleurs n’en tirent pratiquement aucun profit, dès lors que les salaires réels sont en baisse et que la fiscalité du patrimoine est ridiculement basse. La numérisation implique un changement fondamental du monde du travail, mais à ce jour, dans la plupart des cas, elle ne bénéficie qu’aux employeurs à qui elle permet de contacter leurs collaborateurs à tout instant, de les surveiller et de rationaliser leur travail. Les organismes privés n’ont pas fait mieux que les publics et ont fait régresser nos systèmes de Sécurité sociale. Un nombre effrayant de personnes se porte plus mal aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Voilà autant de sujets sur lesquels la social-démocratie, dans un monde global, ne peut pas apporter de réponses purement nationales. L’Europe a besoin, avant même les élections européennes de 2019, d’une idée commune sur la manière de répartir plus justement notre richesse.

Beaucoup considèrent que l’on peut accepter la libéralisation de la société, qui constitue un point important aux yeux de la social-démocratie, pour peu qu’on leur promette qu’eux-mêmes et leurs familles ne seront pas broyés par l’engrenage. Si cette promesse n’est pas tenue, les retours de flammes sociaux tels que nous en connaissons actuellement risquent de se répéter. Tout est lié.

Le renouvellement de la social-démocratie repose sur deux piliers. Elle doit, d’une part, être prête à reconnaître et à corriger ses propres erreurs. Personne ne vote pour des gens qui croient tout savoir mieux que tout le monde, et personne ne s’attend à ce que nous ayons déjà des réponses à toutes les questions. Il lui faut, d’autre part, retrouver la faculté d’éprouver une indignation sincère face aux situations sociales injustes, capacité que beaucoup d’entre nous ont perdue avec le temps. La social-démocratie maîtrise aujourd’hui les décrets et les lois, elle a intériorisé le travail accompli dans les moulins que sont les ministères. Retrouver ce sentiment d’indignation est une partie indispensable de la tâche à accomplir. Nous avons aujourd’hui en grande partie perdu la vision émotionnelle de la politique sans laquelle la social-démocratie n’est pas pensable. Nous n’avons pas de produits à vendre : nous défendons les valeurs les plus nobles que nos sociétés aient à offrir. Il serait bon que l’on puisse voir de nouveau en nous la fierté de faire de la politique.

(Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni)

Kevin Kühnert, président des Jusos, les jeunes sociaux-démocrates allemands, diplômé en sciences politiques de 28 ans, a été, au début de l’année, la figure de proue des opposants à une nouvelle grande coalition entre le SPD et la CDU d’Angela Merkel.