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samedi 29 novembre 2014

LA JUSTICE CHILIENNE POURSUIT DES VICTIMES DE LA DICTATURE DE PINOCHET

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FRANCISCO PEÑA RIVEROS. PHOTO LINO VENTURA
La récente demande d’extradition d’un ancien résistant à la dictature du général Augusto Pinochet révèle tout le paradoxe inhérent à la justice chilienne : une justice qui peine à juger les tortionnaires de la dictature, mais qui n’hésite pas cependant à se rendre complice de procès iniques, dont sont victimes les opposants à la dictature. 
Ces résistants ont subi, pour la plupart, de nombreuses violations des droits de l’homme. C’est le cas de Francisco Peña, qui fut victime de traitements cruels et inhumains, et qui fut condamné à la suite d’un simulacre de procès et grâce à des aveux obtenus sous la contrainte et la torture.

Francisco Peña Riveros fut un militant anti-dictatorial pendant les années noires qu'a vécues le Chili (1973-1990). Pendant ses études universitaires en pédagogie à L'université d'Antofagasta, il militait dans l'organisation des Jeunesses communistes, puis dans le Front Patriotique Manuel Rodriguez, mouvement de résistance armée à la dictature.

Il fut arrêté par la police politique de la dictature, accusé des multiples délits; puis condamné, au moyen de déclarations obtenues sous la torture, à une longue peine de prison, en absence de tout état de droit. 

Francisco a conquis sa liberté avec une cinquantaine de prisonniers politiques, lors d’une spectaculaire évasion de la prison de Santiago du Chili, le 29 janvier 1990, sous dictature.

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MME LA JUGE CLAUDIA PAMELA SALGADO RUBILAR
Le 19 novembre dernier, la juge Claudia Pamela Salgado Rubilar a initié la procédure pour demander à la France l’extradition de Francisco Ismaël Peña Riveros, « pour sa responsabilité comme auteur des délits d'association illicite, de soustraction d’un mineur, de vols avec intimidation et violation de domicile. » 

La demande d’extradition est d’autant plus incompréhensible que Francisco fut reconnu comme victime de torture et d’enfermement pour raisons politiques par la commission officielle sur la prison politique et la torture en 2004, dite commission Valech. 

Après sa sortie du Chili, Francisco Peña et sa compagne ont obtenu le statut de réfugiés politiques en France, où ils résident depuis avec leurs deux enfants. Francisco a refait sa vie : après une reconversion professionnelle, il monte une entreprise dans le bâtiment dans laquelle il travaille aujourd’hui. Il fut informé de la demande d’extradition de la justice chilienne par sa famille restée au Chili. Francisco a reçu de nombreuses manifestations de solidarité et de soutien de ses proches, révoltés de cette nouvelle injustice qui l’afflige.

mardi 25 novembre 2014

LE CHILI, TERRE D’ACCUEIL DES PALESTINIENS


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RUE  MARCHANDE  DE  RECOLETA.  LES  PREMIERS  MIGRANTS
SONT ARRIVÉS À LA FIN DU XIXE SIÈCLE, FUYANT LA PALESTINE
POUR ÉCHAPPER À LA DOMINATION OTTOMANE.
RFI / INÈS OLHAGARAY
salem travaille dans une minuscule boutique de vêtements. « Je suis arrivé en 1976 à l’âge de 24 ans. Le climat, les fruits, la nature, ici tout ressemble à la Palestine », dit-il. Comme Salem, les premiers migrants palestiniens ont été séduits par le climat méditerranéen de la région de Santiago. Lorsqu’ils ont quitté la Palestine à la fin du XIXe siècle pour échapper à la domination ottomane, beaucoup ont embarqué à bord de navires en direction de l’Espagne. Tentés par le « Nouveau Monde », ils ont poursuivi leur route jusqu’en Amérique du Sud. Ceux qui ont eu l’audace de traverser la cordillère des Andes ont trouvé au Chili une douceur de vivre qui leur a rappelé la Palestine. Ils n’en sont plus jamais repartis.



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RECOLETA, À SANTIAGO DU CHILI. LA PLUPART DES MIGRANTS
PALESTINIENS SONT REGROUPÉS DANS LA COMMUNE DE RECOLETA
RFI / INÈS OLHAGARAY
Les conflits qui ont ensuite déchiré les territoires palestiniens ont provoqué plusieurs vagues de migration. Juste à côté de la boutique de Salem, Michel vend des chemises fantaisies. Lui est parti de Bethléem après la guerre des Six-Jours. « La vie était trop difficile en Palestine et il n’y avait pas de travail, raconte-t-il. Je me suis installé au Chili en 1968. J’avais 7 oncles qui vivaient déjà là-bas. » Une rue plus haut, Jado, 40 ans, est le gérant d’un kebab. C’est après la seconde Intifada, en 2001, qu’il a décidé de quitter Beït Jala pour de bon. « Quand j’étais plus jeune, je manifestais dans les rues mais maintenant je me dis que ça ne vaut plus la peine. C’est pour ça que j’ai préféré partir. » A côté de la caisse, Jado a soigneusement disposé plusieurs images de la Vierge Marie, couleur pastel. Au Chili, plus de 90% des Palestiniens sont des chrétiens orthodoxes, originaires de Bethléem ou de Beït Jala.

« Des gens qui travaillaient dans la restauration»

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À RECOLETA, ON NE PEUT PAS FAIRE UN PAS SANS
TOMBER  SUR  UNE  ENSEIGNE  TENUE  PAR  UN
PALESTINIEN.  AU  CHILI,  PLUS  DE  90 %   DES
PALESTINIENS SONT DES CHRÉTIENS ORTHODOXES.
 RFI / INÈS OLHAGARAY
 La communauté compte une minorité de musulmans, comme Ali. Né à Bagdad, il a vécu pendant quatre ans dans un camp de réfugiés à la frontière de la Syrie et de l’Irak, jusqu’au jour où une délégation du gouvernement chilien est venue lui proposer l’asile. «C’était fin 2007. Ils voulaient faire venir des gens qui travaillaient dans la restauration. Comme c’est ce que je faisais, ils m’ont sélectionné », confie-t-il. Cent vingt réfugiés palestiniens sont ainsi choisis dans le cadre du programme Chili, terre d’accueil. Sept mois plus tard, Ali part pour Santiago avec sa famille. Le gouvernement met à sa disposition un appartement à Recoleta. Ali apprend l’espagnol, travaille dans une fabrique de chaussettes avant d’ouvrir sa pâtisserie en 2013.

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DANS  LA  RUE  MARCHANDE  DE  RECOLETA,  LES DRAPEAUX
PALESTINIENS FLOTTENT SUR LES DEVANTURES DES VITRINES
 RFI / INÈS OLHAGARAY
Assis à la terrasse du Café Beït Jala, Rami, 35 ans, espère lui aussi devenir un jour son propre patron. C’est le chômage qui l’a poussé à quitter la Palestine. « Je suis arrivé fin juin et ce n’est pas facile. Je trouve qu’il y a du racisme ici. À mon travail, je dois surveiller d’autres employés qui, eux, sont Chiliens. Ils m’insultent en espagnol, ils insultent ma mère et mon pays », dit-il. Sur les murs du café, des photos de Beït Jala nourrissent la nostalgie des clients. Encadré tel un trophée, le maillot du Deportivo Palestino trône en bonne place. Cette équipe de football palestinienne, créée au Chili en 1920, fait la fierté de la communauté et alimente les discussions des hommes qui se rassemblent chaque matin pour prendre le premier café de la journée. «Même le maire vient ! », assure Rosalie, la propriétaire.

« Les premiers se sont installés là pour faire du commerce »

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DANIEL JADUE, PETIT-FILS D’UN IMMIGRANT PALESTINIEN
VENU DE BEÏT JALA, EST NÉ À RECOLETA. IL Y A PASSÉ
LA PLUS GRANDE PARTIE DE SA VIE AVANT
D’EN DEVENIR LE MAIRE IL Y A DEUX ANS.
RFI/INÈS OLHAGARAY
Daniel Jadue est le petit-fils d’un immigrant palestinien venu de Beït Jala. Né à Recoleta, il y a passé la plus grande partie de sa vie avant d’en devenir le maire il y a bientôt deux ans. Dans son bureau, il reçoit en bras de chemise et grignote des pâtisseries arabes. «Recoleta accueillait tout ce que la ville ne voulait pas voir, les marchés, les prostituées, les centres d’accueil, raconte-t-il. Les prix n’y étaient pas chers et les premiers Palestiniens se sont installés là pour faire du commerce. C’est ce qu’on fait quand on ne maîtrise pas une langue. Ensuite, pour s’intégrer et se divertir, ils ont fondé le Deportivo Palestino. Et pour achever leur intégration, ils ont créé des œuvres caritatives. » Daniel Jadue est aussi le vice-président de la Fédération palestinienne du Chili. « Deux fois par an, nous organisons une " Opération Retour " pour maintenir les liens de la communauté avec la terre de nos ancêtres. Certains vont en Palestine pour la première fois avec nous. » 

« Je pensais qu’une fois mariée, il m’enverrait étudier au Chili »

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MARLÈNE A RENCONTRÉ SON ÉPOUX À L’ÂGE DE 19 ANS
À BETHLÉEM. PALESTINIEN, IL VIVAIT AU CHILI DEPUIS
PLUS DE VINGT ANS ET TENAIT UNE BOUTIQUE DE
TEXTILE  DANS  LE  CENTRE-VILLE  DE  SANTIAGO.
RFI / INÈS OLHAGARAY

Non loin de Recoleta, de l’autre côté de la rivière Mapocho, se trouve le quartier huppé de Las Condes. Marlène Sabag habite au 12e étage d’un immeuble moderne avec une vue imprenable sur la cordillère des Andes. A 73 ans, Marlène continue de se rendre à Bethléem chaque année. C’est là, dans sa ville natale, qu’elle a rencontré son époux à l’âge de 19 ans. Palestinien, il vit au Chili depuis plus de vingt ans déjà et tient une boutique de textile dans le centre-ville de Santiago. Marlène rêve de faire des études d’architecture à l’étranger. « Je pensais qu’une fois mariée, j’irais au Chili et qu’il m’enverrait étudier. » Elle l’épouse au bout d’un mois et rentre avec lui au Chili en 1960.

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MICHEL  VEND  DES  CHEMISES  FANTAISIES.  IL  EST   
PARTI DE BETHLÉEM APRÈS LA GUERRE DES SIX-JOURS.
QUAND IL S’INSTALLE AU CHILI, EN 1968, DÉJÀ  
SEPT  DE
SES  ONCLES  VIVENT  LÀ-BAS.   RFI  /  INÈS OLHAGARAY
La jeune fille est vite déçue. « Mon mari m’a dit : " Tu restes avec moi et tu travailles ici."  Alors, j’ai commencé à coudre des draps qui se sont vendus comme des petits pains. J’ai gagné de l’argent, je suis devenue indépendante et je suis partie à New York en 1972. J’ai demandé à mon oncle : " Quelle est la meilleure boutique de draps ici ? " Il m’a dit : " Cannon ". Je suis allée à l’usine, j’ai acheté deux conteneurs que j’ai fait venir au Chili et j’ai tout vendu en un mois. »

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LES CULTURES CHILIENNES ET PALESTINIENNES
COHABITENT DANS LES RUES DE RECOLETA.
RFI / INÈS OLHAGARAY
Marlène continue de vendre du linge de maison sous la franchise Cannon et les affaires de la famille Sabag prospèrent. La même année, elle retourne pour la première fois en Palestine. « Je me suis rendu compte que la guerre avait créé beaucoup de pauvreté. On m’a demandé de l’argent pour de la nourriture et des vêtements mais pour moi le plus important, c’était l’école. Alors, j’ai commencé à envoyer de l’argent directement à de bons collèges pour payer la scolarité de certains enfants très pauvres à Bethléem. »

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PLUS DE 300 000 PALESTINIENS VIVENT AU CHILI.
RFI / INÈS OLHAGARAY
Lorsque son mari décède, en 1985, Marlène s’engage auprès de l’association des « Dames palestiniennes ». Depuis ce jour, elle collecte de l’argent pour financer la scolarité de dizaines d’enfants chrétiens de Bethléem. A chacune de ses visites, Marlène vient vérifier les carnets de notes et aide ceux qui ont fini le lycée à entrer à l’université. « Une fois diplômés, la plupart partent travailler à l’étranger. Mais au moins, comme ça, ils peuvent aider leur famille », dit-elle en souriant.


lundi 24 novembre 2014

UNE GRANDE AMIE DU CHILI NOUS A QUITTÉS

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MÉLINA TORREGROSA , SYNDICALISTE FRANÇAISE
Mélina travaillait à cette époque au Comité central d'entreprise (CCE) de la Banque nationale de Paris (BNP), acteur de l'action sociale en France, et militait dans les files du Parti communiste français. 

Mélina fut un soutien solide et persévérant dans le combat des exilés, aussi bien comme soutien moral que politique et matériel. Des animations culturelles et artistiques furent promues dans toute la France, comme les tournées de concerts du groupe Quilapayún, et des musiciens Sergio Ortega, Angel et Isabel Parra parmi tant d’autres. Grâce à sa gestion, le comité d’entreprise B.N.P., dans le cadre de son action solidaire, a fait bénéficier les enfants chiliens primo-arrivants d’activités de loisirs ou culturelles (fêtes de Noël, colonies de vacances).         

Sous son impulsion, des actions de solidarité  multi syndicales furent organisées : des dénonciations contre les violations de droit syndicaux et des droits de l’homme au Chili, ou encore des parrainages de détenus disparus et de victimes. 

Mélina prodiguait une aide sans paternalisme ni charité, animée par une solidarité active et une amitié véritable.    

Les obsèques de l'ancienne syndicaliste Mélina Torregrosa ont eu lieu ce samedi 22 novembre 2014 dans la commune de Saint-Joachim.

Nous voulons juste lui dire un dernier merci. Que la terre te soit douce et légère !

jeudi 20 novembre 2014

L'ÉTAT CHILIEN CONDAMNÉ À INDEMNISER 30 PRISONNIERS DE LA DICTATURE PINOCHET

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RECONSTITUTION HISTORIQUE POUR LE FILM 
« DAWSON. ISLA 10 » DE MIGUEL LITTIN
La justice chilienne a ordonné mercredi à l'État de verser 7,5 millions dollars à 30 anciens prisonniers politiques envoyés dans un camp de concentration sur une île isolée de Patagonie sous la dictature d'Augusto Pinochet. 

La Cour d'appel de Santiago a confirmé un jugement en première instance condamnant l'État chilien à verser 7,5 millions de dollars à répartir entre 30 ex-détenus de l'île Dawson incarcérés entre septembre 1973 et septembre 1974, selon un communiqué de la magistrature.

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ILLUSTRATION D'E L'INTERIEUR D'UN BARAQUEMENT DU CAMP 
DE CONCENTRATION D'ILE DAWSON - DESSIN DE MIGUEL LAWNER, 
ARCHITECTE  QUI A ETE INTERNE DANS CE CAMP
Les victimes - dont des dirigeants politiques et des ministres du président socialiste déchu Salvador Allende - ont été arrêtées par des militaires après le coup d'État du 11 septembre 1973 et transférées sur cette île lointaine et aride dans le détroit de Magellan, où le dictateur Augusto Pinochet avait fait construire un camp de concentration.


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«  DE RETOUR AVEC LE BOIS » , ILLUSTRATION D'E L'INTERIEUR
 D'UN BARAQUEMENT DU CAMP DE CONCENTRATION D'ILE DAWSON 
- DESSIN DE MIGUEL LAWNER, ARCHITECTE  QUI A ETE INTERNE DANS CE CAMP 

Avec des températures au-dessous de zéro, les prisonniers vivant dans des baraquements surpeuplés étaient soumis aux travaux forcés.

La décision de justice réaffirme que, s'agissant de violations des droits de l'homme, la prescription, réclamée par le Conseil de défense de l'État, n'est pas applicable dans ce cas.
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DESSIN DE MIGUEL LAWNER, 
«Il ne fait aucun doute que les victimes de violations des droits fondamentaux, en particulier les personnes détenues illégalement sur une île au bout du monde, qui ont été maltraités et qui ont vécu durant cette période dans l'angoisse et l'incertitude sur leur propre sort, ont souffert un préjudice moral incommensurable, qui n'a pas besoin de preuves, car le bon sens le plus élémentaire suffit à cet effet», indique le communiqué.


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DESSIN DE MIGUEL LAWNER 
Le Chili a mis en place un large plan d'indemnisation des victimes de la dictature.

La dictature du général Pinochet (1973-1990) a fait plus de 3000 morts et disparus, et 38 000 personnes ont été torturées, selon des organismes de défense des droits de l'homme.

mercredi 19 novembre 2014

LE PRIX UNESCO-MADANJEET SINGH 2014

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MADANJEET SINGH AMBASSADEUR DE BONNE VOLONTÉ DE L'UNESCO. PHOTO  PENGUIN BOOKS INDIA  

« La règle d'or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu'une partie de la vérité et sous des angles différents » Mahatma Gandhi.

Le Prix UNESCO-Madanjeet Singh 2014 a été décerné à Ibrahim Ag Idbaltanat (Mali) en reconnaissance de son dévouement et de l’engagement exceptionnels en faveur du dialogue et de la non-violence comme moyen de résolution des conflits dans la société et à la cause de la lutte contre les inégalités sociales.

Son engagement en faveur de la défense des droits humain et la paix a commencé avec la prise de conscience que sans l’éducation des communautés rurales, le progrès de son pays, pourtant riche en valeurs spirituelles et diversité culturelle dont Tombouctou où exista l’une des premières universités du monde, n’était pas possible. Depuis, à travers son travail comme militant de la société civile, Ibrahim Ag Idbaltanat contribue à élargir l’accès aux services sociaux de base et à l'éducation des groupes défavorisés, des femmes, des enfants, des descendants d’esclaves. Il est également fortement engagé dans la résolution pacifique des conflits du Nord du Mali, entre les populations sédentaires et nomades et pour la fin de stigmatisations contre la population touareg.

En 1987, il a fondé l'organisation GARI (le Groupement des artisans ruraux d’Intadeyné), qui crée des écoles dans toute la région afin d'ouvrir aux enfants touaregs marginalisés de nouveaux horizons. Il a fait campagne contre la stigmatisation et la discrimination liée à l'identité de caste des descendants d’esclaves et a aidé les communautés à reconsidérer et à redéfinir ce que signifie être touareg.

En 2006, il a créé TEMEDT, qui a développé des activités multiples sous sa direction, visant à faire prendre conscience des inégalités entre les communautés touchées par l'esclavage. Ces actions, ayant atteint un grand nombre de personnes, ont directement contribué à libérer et à soutenir des dizaines de personnes à travers des conseils juridiques aux victimes des pratiques esclavagistes, la formation des magistrats sur la législation anti-esclavage et des campagnes en faveur de la réforme juridique pour criminaliser les pratiques esclavagistes.





 ENTREVUE AVEC FRANCISCO JAVIER ESTÉVEZ VALENCIA 

En acceptant le Prix, Ibrahim Ag Idbaltanat a souligné que la force de son activisme se repose sur l’action commune de beaucoup des personnes des communautés du Nord du Mali : ses collègues des organisations Temedt et GARI, ainsi que sa famille et tous ses partenaires qui ont soutenu son travail.

Le Prix UNESCO-Madanjeet Singh 2014 a également été décerné à Francisco Javier Estévez Valencia (Chili) en reconnaissance de son engagement de longue date et de son travail infatigable visant à promouvoir le respect des droits de l'homme, fondés sur les principes de tolérance et de non-violence, afin de construire une société plus harmonieuse et inclusive, garantissant la paix et la prospérité, et un monde avec l'égalité des chances pour tous.


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Francisco Javier Estévez Valencia, un éminent activiste de la société civile, historien et professeur à l'Université du Chili, a commencé sa lutte non-violente pour les droits humains et la démocratie pendant les années de la dictature d'Augusto Pinochet et est devenu l'un des dirigeants renommés de la résistance démocratique de jeunes Chiliens.

Après le retour de la démocratie au Chili, il a joué un rôle important au sein de la Commission nationale de la vérité et de la réconciliation en tant que vice-président de la campagne citoyenne « Para créer en Chile ». Pendant de nombreuses années, il a enquêté et a dénoncé les violations des droits de l'homme et a travaillé pour la préparation de l'accusation constitutionnelle du général Pinochet, qui a été rejetée par le Parlement, mais pris en considération au cours de la procédure judiciaire à Londres.

Fondateur, en 1988, de l’association chilienne Fundacíon Ideas, depuis lors, il a apporté une contribution importante à la construction d'une culture des droits de l'homme, de la démocratie et de la paix aux niveaux national, régional et international par le moyen de l'éducation et des activités de sensibilisation, ainsi que des campagnes publiques qui permettent à ceux dont les voix ne sont pas écoutées à se faire entendre dans leur lutte pour la dignité et la justice. En tant que coordinateur de la campagne citoyenne « Cinta Amarilla » il a contribué à l'abolition de la peine de mort au Chili en 2001, ainsi qu’à la suppression de l'espace publique des monuments symbolisant le régime militaire.


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Dans son discours, Francisco Javier Estévez a souligné l’importance de la solidarité et fraternité dans la lutte pour la liberté et l’égalité dans le monde. « La fraternité est une science, un art, et la culture », il a affirmé. « Tous ceux qui souffrent aujourd’hui de l'intolérance, de la discrimination et de la violence sous toutes leurs formes doivent savoir qu'ils ne sont pas seuls, comme ne sont pas seuls tous ceux qui luttent dans des conditions très difficiles, car il y a une très grande communauté de personnes, des mouvements citoyens et des institutions telles que l'UNESCO, qui ne les laisseront jamais seuls, parce qu'ils partagent tous le même combat et les mêmes valeurs ».

La cérémonie de remise du Prix a été symboliquement liée à la Journée internationale pour la tolérance, qui est célébrée chaque année le 16 novembre, la date de la création de l’UNESCO, qui commence cette année les célébrations marquant son 70e anniversaire.


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JAWAHARLAL NEHRU ET MADANJEET SINGH
À ROME, ITALIE. PHOTO SOUTH ASIA
FOUNDATION.
La cérémonie était pour l’UNESCO l’occasion de rappeler l’importance de la tolérance comme un principe cardinal de la vie en société, qui est le socle de la construction de la paix, la concorde sociale et le développement humain.

À travers un message vidéo projeté pendant la cérémonie, Michelle Bachelet, Présidente de la République du Chili, a félicité M. Francisco Javier Estévez Valencia et M. Ibrahim Ag Idbaltanat pour leur désignation comme les lauréats du Prix.

Cette année marque la première édition du Prix en l’absence de son bienfaiteur, Monsieur Madanjeet Singh, qui nous a malheureusement quittés en janvier 2013. Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, Madanjeet Singh était un grand humaniste, écrivain et diplomate qui a consacré sa vie à approfondir la compréhension mutuelle et la paix à travers le monde et en Asie du Sud en particulier. Le prix a été créé en 1995 pour marquer le 125e anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi, qui était une grande source d’inspiration pour M. Singh, qui lui-même a inspiré de très nombreuses personnes de cultures et de religions différentes. En hommage à la vie de Madanjeet Singh, une vidéo avec des témoignages de personnalités éminentes a été projetée en présence de Mme. France Marquet, administratrice de la Fondation Madanjeet Singh, donateur du Prix.

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SIR RONALD ADAM ET L'ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNESCO, LUTHER EVANS, SONT CONSIDÉRÉS AVEC MADANJEET SINGH (À DROITE), DANS LE PAVILLON INDIEN LORS DE LA BIENNALE, « EXPOSITION INTERNATIONALE D'ART DE LA CITÉ DE VENISE », TENUE EN 1953. PHOTO MADANJEET SINGH

Pour célébrer la Journée internationale pour la tolérance, les 96 choristes du Chœur Philharmonique International, artistes de l’UNESCO pour la Paix, ont interprétés plusieurs intermèdes musicaux pendant la cérémonie, sous la direction de leur Chef d’orchestre Monsieur Mustapha Kaïd.

lundi 17 novembre 2014

UN HOMME BON, CLOTARIO BLEST (1899-1990)

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LE PREMIER MAI 1971 LORS DE JOURNÉE INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS À SANTIAGO DU CHILI
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COTARIO BLEST SALUE DEPUIS
LA TRIBUNE LE 1er  MAI 1971.
Le lendemain, tous les ouvriers du Chili observèrent une minute de silence en mémoire de Clotario, un geste de gratitude pour tout ce qu’il avait fait pour eux. De toutes parts provinrent des témoignages d’admiration et d’appréciation, même de la part de ceux qui s’étaient opposés à lui. J’ai devant les yeux un journal jauni qui annonce en première page : Ha muerto un hombre bueno. 


Don Clota, comme on l’appelait affectueusement, avait été une épine au pied de toute une série de gouvernements, qu’ils fussent de droite, de gauche ou du centre. Et pourtant personne, même ses ennemis politiques les plus acharnés, ne remit jamais en question son intégrité. La plupart des grands champions de la justice sociale ont leur talon d’Achille. Eugène Debbs buvait trop, Martin Luther King n’était pas un modèle de fidélité conjugale, Dorothy Day avait un passé pour le moins turbulent. Clotario Blest, lui, était tout d’une pièce, logique avec lui-même. C’était, de fond en comble, « un homme bon ».  
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CLOTARIO BLEST, LUIS FIGUEROA ET LE PRÉSIDENT 
CARLOS IBÁÑEZ DEL CAMPO. 
AVRIL 1957 DANS LE PALAIS DE  LA MONEDA

Une légende 



J’ai personnellement fait sa connaissance en 1970. Allende venait d’être élu président, mais avant même qu’il ne prête serment, les propriétaires suisses de la fonderie où je travaillais avaient décampé avec leur capital. Nous étions six cents à œuvrer dans cette fonderie qu’on s’apprêtait à fermer. Une délégation des nôtres se présenta devant Allende pour demander l’intervention de l’Etat afin de nous sauver du chômage. C’est ainsi que notre usine fut une des premières à être nationalisées.

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CHEZ LES FRANCISCAINS LES
DERNIERS MOIS DE SA VIE. 
Aux entreprises intégrées dans le « secteur social », le gouvernement proposa un plan de participation ouvrière par l’intermédiaire de «comités de production». Ironiquement - l’ironie était reine au Chili à l’époque - on m’élut chef des comités de ma section. Ni moi ni les autres délégués n’avions la moindre idée de ce que nous étions censés faire. Nous avons donc décidé de consulter les partis qui composaient la coalition d’Allende. Les socialistes, les communistes, la gauche chrétienne, etc., se pressèrent les uns après les autres, en complets-veston, pour nous expliquer ce que désiraient les ouvriers et comment l’obtenir en se conformant à leur mot d’ordre. Tous ne cherchaient qu’à nous exploiter. Finalement quelqu’un suggéra qu’on invite Clotario Blest. 

Fondateur de la CUT (Central unica de trabajadores), Clotario avait alors 70 ans environ. Il était déjà légendaire mais avait l’air tout à fait anodin. Il ressemblait même plutôt à un clochard, un peu édenté, avec ses cinq pieds de haut, sa barbichette, son bleu de travail et son vieux béret. Il nous demanda ce que désiraient les ouvriers, et c’est ainsi que tout commença. 


C’était typique de Clotario. Il écoutait et obéissait avant de prendre les autres en main. Il se fiait à l’instinct de la classe ouvrière. Don Clota travailla avec nous deux ans et demi, nous orientant sans jamais nous dicter ce que nous devions faire. Les décisions finales étaient laissées aux ouvriers eux-mêmes ; notre rôle de députés se limitait à informer, suggérer et donner suite aux choix de l’assemblée. 



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CLOTARIO BLEST. PHOTO INÉS PAULINO


Conversions 

Les changements qui en résultèrent furent saisissants. Des gens qui avaient été traités toute leur vie comme des chiens s’aperçurent subitement de leur valeur. Ils comprirent que lorsqu’ils parlaient, on les écoutait et qu’on agirait en conséquence. Des types qui jusque-là ne s’intéressaient qu’à l’alcool, aux femmes et aux courses découvraient des possibilités nouvelles. Ça nous mettait la joie au cœur de voir nos camarades développer des dons cachés, prendre de l’assurance et se préoccuper des autres.

Notre usine devint bientôt un sujet de débat. Pour certains, c’était un modèle à imiter, pour d’autres, une innovation dangereuse. La droite et la gauche nous traitaient « d’anarchistes ». La coalition d’Allende - l’Unidad popular - avait pour slogan Le pouvoir aux ouvriers : eh bien, nous l’avions pris au mot ! Nous fûmes bientôt en conflit avec les représentants du gouvernement ; les ouvriers se mirent en grève et occupèrent l’usine. Voilà qui n’était pas censé arriver dans le secteur social, et cela causa un certain scandale. À l’honneur d’Allende, son gouvernement ouvrit le dialogue et accéda à certaines de nos demandes. 


Cependant, à la suite de cet incident, le gouvernement convoqua un congrès des ouvriers du secteur social afin de restreindre notre participation. Nous savions que les cartes étaient truquées. La plupart des participants étaient membres des partis communiste et socialiste. 

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Nous fûmes écrasés. Nous avions tout de même réussi à faire nommer Clotario Blest «président honoraire » du congrès avant l’ouverture des débats. Lors de la dernière session, Clotario demanda à conclure le congrès. Le bizarre petit vieillard en bleu de travail, à peine visible derrière le podium, parla pendant une demi-heure sur L’homme nouveau d’après saint Paul et Che Guevara. « Pour le vrai révolutionnaire, déclara-t-il, la révolution n’est pas un jeu. Il paie de sa personne. Il sait naître parmi les pauvres, rester pauvre et mourir pauvre. Tant qu’il restera un seul opprimé au monde, le vrai révolutionnaire sera à son côté, partageant cette oppression. L’Homme nouveau ne cherche ni les honneurs ni le pouvoir ni les louanges. Il ne cherche que le bien des autres. Il ne garde rien pour lui-même. » 

Clotario parlait avec passion. On aurait entendu un papillon voler dans l’auditorium. Les représentants du gouvernement assis sur l’estrade, ces révolutionnaires en complets-veston, se tortillaient sur leur siège, le visage virant du rouge à l’écarlate. Au fur et à mesure que Clotario s’emballait, un poids quittait mes épaules. Nous avions perdu la bataille, mais nous avions gagné la guerre. C’était bien là où Clotario désirait nous mener - à une conversion radicale, et il y avait largement réussi. 


Je n’ai jamais revu Clotario Blest. Peu de temps après le coup d’Etat de Pinochet, j’ai dû quitter le Chili. La maison de Clotario subit une descente de police. Ses livres et ses papiers furent confisqués, il fut battu et humilié, mais on n’osa pas l’arrêter. Tout ce que nous avions construit ensemble fut détruit.  



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CLOTARIO BLEST ET LE PRÊTRE RAFAEL MAROTO, OCTOBRE 1985. PHOTO INÉS PAULINO


Parcours d’un pur 



Avant de rencontrer Don Clota, je ne savais qu’une chose sur lui : il avait réussi à unir toutes les associations ouvrières du Chili en une seule fédération qu’il avait dirigée pendant huit ans. Le reste, je l’ai appris en lisant sa notice nécrologique. Don Clota habitait une vieille maison, avec pour seule ressource sa retraite de l’Etat. Il s’occupait d’une vieille dame qui avait toujours soutenu sa famille et qui maintenant était confinée au lit, sans personne pour l’aider. Il était fier d’avoir appris l’art culinaire à soixante-dix ans pour préparer les repas de cette amie infirme. 

Son père, un instituteur, était mort très jeune, ainsi que son seul frère. Sa sœur était entrée au couvent où elle mourut peu après. Lui-même entra au séminaire et découvrit l’enseignement social de l’Eglise grâce à un jésuite fort controversé à l’époque, Fernando Vives Solar. Mais Clotario réalisa bien vite qu’il n’était pas fait pour la vie de prêtre. On a dit qu’il avait été renvoyé du séminaire pour avoir organisé une manifestation estudiantine contre le recteur. 


Il devint alors fonctionnaire du gouvernement au Ministère des finances pendant ses études de droit, de théologie et de chimie à l’Université du Chili. À l’époque, les employés du gouvernement n’avaient pas le droit de se syndiquer. Don Clota essaya de contourner ce problème en fondant des clubs athlétiques pour fonctionnaires. Peu à peu, ces clubs évoluèrent en véritables syndicats et furent reconnus pour tels. 


En 1952, il fut nommé secrétaire général d’une commission chargée d’unifier tous les différents syndicats ouvriers du pays. La CUT en fut le résultat. Clotario fut élu à sa présidence et l’assuma jusqu’en 1961, quand le Parti communiste sabota son influence et l’obligea à démissionner. 


La CUT continua à exercer une influence non négligeable sur la société chilienne, mais une fois que le sectarisme s’y mêla, le mouvement perdit de sa pureté et de son intégrité. Clotario souffrit beaucoup de voir l’unité qu’il avait patiemment conquise déchirée par de misérables intrigues politiques, mais sa déception ne le rendit pas amer. Lui-même n’a jamais appartenu à aucun parti politique car il pensait que les partis divisent la classe ouvrière. 

Il racontait avec humour ses vingt-cinq emprisonnements, son amitié avec Che Guevara (Clotario et Che furent nommés co-présidents de la Conférence internationale de la jeunesse, tenue à la Havane dans les années ‘60… alors que Clotario avait plus de 60 ans). Il parlait avec une admiration sans borne de Luis Emilio Recabarren, fondateur du Parti communiste chilien. Il voyait en Recabarren un mentor et un modèle, quelqu’un qui avait tenté d’établir quelque chose de pur et de noble, même si, son espoir frustré, il s’était finalement suicidé. Il se considérait comme le disciple de Recabarren et comme l’héritier de son rêve d’union de la classe ouvrière.  

Le plus grand triomphe de Don Clota, jusqu’à notre rencontre, était une grève nationale qu’il avait lancée en 1955 et qui avait paralysé le pays, démontrant une fois pour toute la force incontournable de la CUT. Clotario aimait raconter que Carlos Ibanez, le président de la République de l’époque, se voyant incapable de gouverner, l’avait fait venir dans son bureau et lui avait offert son fauteuil et l’écharpe présidentielle ; Clotario se contenta de répéter les demandes des grévistes.  


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CLOTARIO BLEST PAR ALFREDO JAAR 


Sa foi 

Les rapports de Clotario avec l’Eglise institution ressemblaient beaucoup à ceux de Dorothy Day. De même qu’il refusait d’appartenir à un parti, de même il ne voulait pas être identifié avec la hiérarchie de l’Eglise. On m’a dit cependant que Clotario, allant et venant, priait le rosaire en silence (il en avait toujours un dans la poche). 

Plus tard, sous Pinochet, il témoigna plus clairement de sa foi en public. Je pense que cela ne manifeste ni une évolution ni une régression, mais tout simplement un instinct très sûr. Clotario sentait qu’il lui fallait déclarer ouvertement quelle était la racine de sa force et de son optimisme, la source de son espoir ; qu’il devait expliciter ce qui lui permettait de défier si obstinément la longue et brutale oppression, le mal et l’hypocrisie. Lui, Clotario, n’était rien, mais il pouvait tout espérer en Christ qui avait toujours choisi le rebut de ce monde pour accomplir ses merveilles. A près de 80 ans, il encourageait la jeunesse du Chili à ne pas lâcher pied, lui rappelant qu’avec Dieu tout est possible. Il ratait rarement une protestation ou une démonstration, malgré tous les risques que cela comportait. 

Clotario fonda à cette époque un comité pour la défense des droits de l’homme, parallèle à celui déjà établi par l’Eglise : il voulait rester libre de tout contrôle hiérarchique pour pouvoir regrouper tous les secteurs de la société. Il ne critiquait jamais l’Eglise de front, mais quand elle se compromettait avec les puissants de ce monde, il n’hésitait pas à le faire remarquer. Il rappelait humblement les paroles du Christ à ce sujet. 

La hiérarchie de l’Eglise ne pouvait rien contre Clotario. Suivant la logique de l’Evangile, sa vie incarnait la pauvreté chrétienne. Il est aussi très probable que cette hiérarchie se réjouissait de ce que Clotario affirme des choses qu’elle-même n’osait pas dire, peut-être même ne pouvait pas dire, par prudence, à cause de compromis politiques, et du fait de sa « position sociale ». C’est ce que l’archevêque de Santiago, Carlos Oviedo Cavada, suggéra dans son homélie au cours de l’enterrement de Clotario. 

Juste avant le coup d’Etat de Pinochet, le cardinal Silva de Santiago prononça un sermon condamnant le concept de lutte des classes : les inégalités sociales, disait-il, reflétaient « l’ordre naturel » voulu par Dieu. Clotario ne pouvait s’associer à de telles idées. Il savait que de réelles inégalités opposaient les classes sociales, inégalités qui, bien loin de refléter la volonté divine, ne démontraient que le règne du péché et de la violence. Il fallait les éliminer ces inégalités. Et cela n’arriverait pas sans lutte des classes. Sur ce point, la pensée de Clotario coïncidait avec celle des marxistes, et il en comptait beaucoup parmi ses amis et collaborateurs. Mais il n’avait aucun respect pour le marxisme en tant que science, et encore moins pour Karl Marx - « un bourgeois du berceau au tombeau ». 

Don Clota ne se faisait aucune illusion sur les puissances du mal. Tout simplement, il leur faisait face et il en souffrait les conséquences. Il fut battu, jeté en prison, insulté humilié… S’il acceptait la violence à son encontre, s’il n’employait que des tactiques pacifistes lors des manifestations qu’il organisait, il ne fit pas cependant de la non-violence une idéologie. Il pensait que le peuple a le droit de se défendre contre la violence criminelle de ses oppresseurs et il encouragea le MIR à former des milices populaires pour s’opposer aux forces fascistes. Il avait beaucoup de sympathie pour les révolutionnaires cubains - tout au moins dans les premiers temps - et son admiration pour Che Guevara était totale. 

En fait, Don Clota avait une attitude pragmatique sur les moyens à employer contre les forces du mal. Quand la balance du pouvoir rendait toute résistance armée suicidaire, il devenait ouvertement pacifiste - le gouvernement allemand l’a même proposé pour le Prix Nobel de la paix. 

Un prophète 

De tous les gens que j’ai eu la chance de rencontrer, il y en a deux qui m’ont totalement convaincu : Dorothy Day et Clotario Blest. Ils étaient taillés dans la même étoffe. Ils avaient la même faim et soif de justice, pratiquaient la même pauvreté évangélique, montraient la même intégrité, le même désintéressement total. Dorothy exprimait plus clairement ce qu’elle croyait. Elle se déclarait pacifiste, anarchiste, catholique, disciple de Mounier et de sa philosophie personnaliste. Clotario, lui, était plutôt orateur qu’écrivain, organisateur que théoricien. Aucune catégorie ne lui convient. On l’a qualifié de pacifiste, de corporatiste, de trotskiste, etc., mais Don Clota ne s’est jamais enlisé dans aucun isme. C’était un prophète, proposant sa vision d’un royaume de paix où tous seraient frères et sœurs, où tous les biens seraient partagés, où nulle coercition ne serait plus nécessaire, où personne ne serait plus opprimé, où tout serait renouvelé par l’amour et la justice. Pour permettre ce nouvel ordre des choses, le vieil ordre devait mourir. 

Son message s’adressait à tous. C’était un appel à une conversion personnelle et collective. Personne au monde ne mit en pratique ce qu’il prêchait plus authentiquement, plus simplement, plus humblement que Don Clota. Dans un pays où le vin coulait à flots, il ne buvait que de l’eau (et parfois un verre de lait). Il se nourrissait de fruits et de légumes et dormait fort peu, dans un grand lit en fer, sur un matelas impossible. 

Il ne s’est jamais marié : « Je n’ai pas eu le temps », expliquait-il. Pourtant, il avait été fiancé, mais il avait finalement choisi de se donner entièrement à la lutte pour la justice sociale. Sa fiancée entra chez les Carmélites Déchaussées et mourut en 1988, laissant derrière elle une réputation de grande sainteté. Clotario percevait au fond des cœurs ce qui était pur et aussi ce qui pouvait être purifié, quelles que fussent les croyances ou les idéologies de ceux qu’il rencontrait. 

Après le coup d’Etat de Pinochet, il refusa de se raser jusqu’à ce que le tyran soit mis à la porte. Il allait mourir deux mois après le référendum qui renversa ce gouvernement. Elu président en 1989, Patricio Alwyn vint lui rendre visite dans son couvent. Il avait une très simple requête : « Je vous en prie Don Clota, priez pour moi. »  


J. R. 
En 1970, Jerry Ryan, alors employé dans une usine au Chili, fait la connaissance de Clotario Blest, président d'une fédération de syndicats. Une de ces rencontres rares, miraculeuses, qui vous marquent à tout jamais.