Cette année-là, il repêche une info de requin mangeur d’hommes. Un «de la même espèce que ceux de la côte de l’Inde occidentale» a été capturé dans une rivière anglaise. On trouve un collier d’Indien dans ses entrailles. Ce qui ne fait planer aucun doute: le squale a fait le trajet depuis les Indes. A Nice, dans des espèces de plus grande taille, on a découvert des hommes entiers. «On assure que si l’on tient ouverte la gueule d’un requin, les chiens y entrent aisément, pour manger ce qui est dans l’estomac.» Plus loin il est question de géants patagons.
Une autre fois surgit la description d’une sirène aperçue à Londres. «Ses mamelles étaient belles et fermes, quoique sans mamelons. Elle avait le ventre rond, gonflé, sans nombril.» Le bas de son corps ressemblait à un dauphin. Et ne faisait entendre sa voix mélodieuse qu’aux approches de la tempête.
Loup ou hyène?
Quelques années plus tôt, la bête du Gévaudan tient le monde en haleine. Voici ce que Le Messager dit de l’animal féroce: «Il est fort friand de la chair humaine, il en veut surtout aux jeunes filles et aux enfants. Il a dévoré un nombre très considérable de personnes.» Suivent une série de faits sanglants, joue de garçon arrachée et aussitôt avalée, cartilage du nez entièrement mangé, chien projeté à vingt pas… Ce que l’on suppute être une hyène ne sera, au final, qu’un loup. Ouf!
Il existe aussi des naissances extraordinaires. Ainsi, dans le haut Languedoc, «la femme d’un nommé Millet, y a accouché de deux enfants jumeaux en vie, joints ensemble par les fesses. On ne pouvait tenir un de ces enfants droits, que l’autre n’eut la tête en bas.» Après avoir été baptisés, les chérubins quittent ce monde.
Le plus curieux des monstres
Parmi les curiosités avancées par l’almanach, une harpie monstre amphibie mérite qu’on s’y attarde. «Son attitude ressemble en quelque sorte au Sphinx en ce que la partie de derrière est horizontale sur la terre et qu’elle est debout par-devant. (…) Une gueule extrêmement ouverte et avancée lui donne un air de voracité qui est très effrayant. Des deux côtés de la tête, s’élèvent deux grandes oreilles pointues et velues comme celles d’un âne. Au dessus sont deux cornes tordues comme celles d’un taureau, et au dos vers la hauteur des épaules sont placées deux ailes très fortes (…). La partie inférieure ressemble à celle d’un phoque (…) et se termine en deux queues, dont l’une ayant des articulations jusqu’à l’extrémité pour envelopper la proie et l’autre moins longue est terminée par un dard très pointu, avec lequel, dit-on, il la perce.»
Le monstre a été pêché par des marins espagnols au large du Chili. Le roi d’Espagne a ordonné qu’on le ramène en Europe. Il se nourrit de poissons dans l’eau et de buffles sur terre. En fin de notice, le doute s’installe. Le chroniqueur se met à calculer. Comme la bête dévore un buffle par jour et trois cochons, il écrit: comment la harpie a-t-elle pu être transportée «avec toutes les provisions de bœufs nécessaires, pour la nourrir pendant la traversée, et encore le fourrage pour nourrir les bœufs, et la quantité d’eau douce nécessaire pour leur boisson»? Et de se justifier: comme cette histoire a fait beaucoup de bruit en France, «nous avons cru faire plaisir à nos lecteurs».