La plaza de Armas de Taltal a tout d'un miracle. Elle a des arbres immenses, d'un vert plutôt rare dans une ville perdue au milieu du désert, en plein Norte Grande. Luis Flores profite de l'ombre généreuse de ces arbres. Comme hier, avant-hier, et les jours précédents. Il ne sait pas encore s'il devra revenir s'asseoir au même endroit avec son sac à dos demain et peut-être après-demain. Il attend un emploi. Il ne veut pas quitter la mine. Il y a travaillé toute sa vie. "Le boulot n'a jamais manqué, mais aujourd'hui les 'vieux' redescendent", explique-t-il. Les "vieux", ce sont les hommes qui ont commencé à arriver des autres régions du Chili pour travailler dans les mines fin 2005, lorsque le prix du cuivre atteignait des sommets. Selon Carlos Casareggio, qui dirige une petite exploitation, "pendant trois ans, ce fut une petite Californie".
Le cuivre nourrit Taltal depuis longtemps. Sur ses 10 000 habitants, environ 2 000 sont directement employés par cette industrie, et presque tous sont chefs de famille. Toute l'économie locale, le commerce, les services et les loisirs dépendent de cette industrie. Alors en 1998, lorsque la crise asiatique a débarqué au Chili et que l'économie s'est paralysée, Taltal a été l'une des villes les plus touchées. Le choc a été si violent que le taux de chômage a dépassé les 20 %. La réaction des gens ne s'est pas fait attendre. Ils ont exprimé leur colère face aux solutions proposées par le gouvernement en hissant des drapeaux noirs chez eux pour signifier leur mort. Certains, poussant la provocation plus loin, sont allés jusqu'à arborer des drapeaux boliviens pour montrer leur dégoût.
Cette situation a duré plus de deux ans. Les années suivantes, le secteur minier local – et du reste du pays – a été sous perfusion. Mais après la pluie, le beau temps finit toujours par revenir. La relance de l'économie mondiale a été bonne sous l'impulsion de la Chine et de l'Inde, les deux principaux consommateurs de cuivre de la planète. Peu à peu, les cours ont remonté et les records historiques se sont succédé à partir du milieu de l'année 2005. A Taltal, les exploitations existantes ont été agrandies, et de nouvelles ont été ouvertes, comme la mine américaine de Nueva Aventura, à Paposo, qui a embauché 700 personnes en une seule fois. Le nombre de petits producteurs de cuivre a également augmenté et beaucoup de pêcheurs sont partis travailler dans les mines. Presque tout le cuivre arrivait à l'usine de l'ENAMI à Taltal. C'est là où la fièvre du métal rouge a été la plus forte. Juan Carlos Sepúlveda, l'administrateur de l'usine, se souvient d'un mois où son usine a versé 3 millions de dollars [2,2 millions d'euros] aux 125 producteurs avec qui elle travaillait. Le maire de Taltal explique également que la commune recevait presque 1 milliard de pesos [1,3 million d'euro] par an pour les concessions octroyées aux nouvelles exploitations. Cet argent a permis entre autres de construire la nouvelle promenade, de goudronner les rues, d'aménager des terrains de sport et d'embellir les plages. En trois ans, le visage de Taltal a été bouleversé. Elle est devenue plus luxuriante, plus pimpante, s'éloignant chaque jour davantage de l'image de bourgade figée dans le temps, même si elle est cernée par le désert. La fête du cuivre battait son plein lorsque les réjouissances ont pris fin. Les trouble-fête ont été les spéculateurs, qui ont fait exploser les bulles et s'effondrer l'économie mondiale. Les cours du cuivre n'ont cessé de baisser depuis septembre 2008, jusqu'à atteindre 1,48 dollar la livre [1,64 euro] le 9 janvier 2008, soit une chute cumulée de plus de 55 % en l'espace de quelques mois.
Darío Zambra B.La Nación
Darío Zambra B.La Nación