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mercredi 7 janvier 2009

Repentis et révoltés

Tous deux faisaient partie du comité central des Jeunesses communistes quand le général Augusto Pinochet écrasa le gouvernement de Salvador Allende. Le temps a fait son œuvre. «Nous ne redoutons pas de reconnaître que nous nous sommes trompés», écrivent-ils (i).

Autocritique (toujours salutaire) de l’Unité populaire et constat : les horreurs de la dictature ont réhabilité la «démocratie formelle» et les droits de l’homme. Ce contre quoi il faut s’insurger, c’est la pauvreté, la marginalité, les injustices, l’inégalité des chances, les discriminations.
Toujours «de gauche», nos deux auteurs se montrent pleins de bonne volonté : «Nous revendiquons le désir d’apprendre de nos erreurs.» Sauf qu’ils poussent la volonté d’apprentissage un peu loin : « A l’instar du journaliste français Laurent Joffrin, nous sommes arrivés à la conclusion que la révolution socialiste (…) est un mythe dangereux qui libère le Léviathan totalitaire quand elle réussit, le terrorisme quand elle échoue. » Dans ces conditions, « le socialisme du XXIe siècle », dont se revendiquent plusieurs pays d’Amérique latine, représente « un nouvel égarement ». Suit, en particulier, une démolition en règle du président vénézuélien Hugo Chávez, citations du « philosophe » français Bernard-Henri Lévy ou de Jean-François Revel à l’appui.
On pourrait opposer à nos deux repentis « le maintien remarquable de l’adhésion populaire aux projets “ nationalistes ”, “ développementistes ” ou “ bolivariens ” portés par Rafael Correa [Equateur], Evo Morales [Bolivie], Hugo Chávez et même Lula [Brésil] (…). Des succès populaires qui, il est vrai, doivent beaucoup à la mise en place de programmes sociaux d’envergure (ii)». Ce serait sans doute inutile. Leur (nouvelle) religion semble faite. «A force de se heurter à la réalité, [la gauche] a compris qu’elle devait abandonner ses anciennes croyances sur la malignité du système capitaliste.»
Affirmation quelque peu hasardeuse. Toute la gauche ne s’est pas repentie. On en trouvera les raisons dans le dernier ouvrage de Jean Ziegleriii. Toujours vibrant et engagé, il parle en connaissance de cause : rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2001 à 2008, il est aujourd’hui membre du comité consultatif des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies. Passant du Nigeria à la Bolivie, des salles de conférences internationales aux villages les plus déshérités de la planète, il illustre, dans un style vivant restituant son expérience du terrain, la violence qu’exerce l’Occident et le capitalisme contre les peuples du Sud. Par exemple en décrivant la destruction du marché africain du coton et l’imposition par le chantage du nouvel accord de partenariat économique par l’Union européenne aux pays ACP (Afrique, Pacifique, Caraïbes). Ou encore, en explorant le destin symptomatique du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, et l’un des plus riches du monde, « mis en coupe réglée par les seigneurs occidentaux de la guerre économique mondiale ».
La brusque résurgence de la mémoire blessée du Sud (esclavage et colonialisme), très largement traitée, s’ajoutant au scandale permanent du partage des prébendes pétrolières et gazières, de la complicité des oligarchies du Sud et de l’hypocrisie de la Banque mondiale (pour ne parler que d’elle) expliquent, d’après l’auteur, une «haine de l’Occident» aujourd’hui largement répandue. Là où Ottone et Muñoz se perdent en considérations oiseuses – «Les forces progressistes doivent relever le défi qui consiste à définir de nouvelles formes de conduite morale et culturelle de la société, fondées sur la lutte contre les anciennes et les nouvelles injustices» –, Ziegler constate que, en 2007, les décès causés par le sous-développement dans les pays du Sud se sont élevés à plus de cinquante-neuf millions de personnes. Et il donne la parole au président bolivien Evo Morales : « Unis et organisés, nous changerons les politiques économiques qui ne contribuent pas à améliorer la situation des majorités nationales (…) Nous avons l’obligation de résoudre ces problèmes engendrés par la privatisation et la vente aux enchères de nos ressources naturelles. (…) Les mouvements sociaux veulent continuer à avancer pour libérer notre Bolivie, libérer notre Amérique. »
Maurice Lemoine

(i ) Ernesto Ottone et Sergio Muñoz Riveros, Après la révolution. Rêver en gardant les pieds sur terre, L’Atalante, Nantes, 2008, 221 pages, 12 euros.

(ii) Etat des résistances dans le Sud – 2008, Centre Tricontinental, Syllepse, Louvain-Paris, 2007, 240 Pages, 18 euros.
(iii) Jean Ziegler, La haine de l’Occident, Albin Michel, Paris, 2008, 299 pages, 20 euros.