Réfugiée en Suisse, Jenny, est une victime des disparitions forcées – le seul crime où les proches sont connues comme victimes au même titre que le disparu tellement la souffrance qui leur est infligée est insidieuse. « Il y a cette attente aux espoirs sans cesse déçus, les représailles lorsque l’on pose des questions, la peur permanente mêlée à un terrible sentiment d’impuissance, explique-t-elle. Et la douleur qui augmente avec le temps. On est chaque jour un peu plus seul avec sa souffrance. Impossible de tourner la page. Ils l’ont déjà réduit au silence en le faisant disparaître, alors si la famille se tait aussi, c’est comme s’il disparaissait une seconde fois. »
C’est ce poids, avec son vide et son silence glacial, que le réalisateur genevois Pascal Baumgartner a tenté d’appréhender en suivant Jenny au Chili à la recherche d’une trace, d’un indice, d’un souvenir de son frère. Tierra de Nadie, sera projeté en première le 8 octobre à Meyrin à l’occasion du 9ème anniversaire du Jardin des disparus.
Evaporé une nuit d’hiver
Trois semaines durant, Pascal Baumgartner, assisté de Martin Stricker pour le son, est devenu l’ombre de Jenny, sa camera l’accompagnant auprès des instances judiciaires, dans les lieux de commémoration, aux portes de la caserne militaire ou encore sur les lieux où Pancho a étudié et vécu. Ensemble, ils sont allés jusqu’à la frontière argentine, en plein Patagonie. C’est dans ce lieu aride et balayé par les vents que Pancho s’est évaporé une nuit d’hiver, certainement enlevé par des militaires… alors qu’il était si près de l’Argentine.
Tierra de Nadie, documentaire à la fois intimiste et pudique, nous entraîne dans une enquête judiciaire qui se mêle à une quête spirituelle. Des silences, des attentes, des routes qui défilent, des chemins qui ne mènent nulle part, chaque instant du film nous ramène dans ce no man’s land, ce désert qui entoure celui qui est à la recherche d’un disparu. Pas de préparation ni de mise en scène. Le réalisateur a choisi de saisir sur le vif ce qui se présenterait et de se fondre avec la protagoniste.
Montrer l’universalité de ce drame
« J’ai rencontré Jenny en 2003 au Jardin des disparus* à Meyrin, j’y tournais un film sur les disparitions forcées pour le CICR (Comité international de la croix rouge), raconte Pascal. Les contacts que j’ai alors lié avec les membres du Jardin se sont développés au fil du temps, c’est ainsi qu’est né le projet de Tierra de Nadie. Initialement, je pensais suivre trois trajectoires parallèles, celle de Jenny, d’une femme du Kosovo et d’une autre du Ruanda. Cela afin de montrer l’universalité de ce drame. Mais, pour diverses raisons, je me suis concentré sur Jenny. Elle incarnait bien la situation dans laquelle se retrouvent ces personnes : seules devant toutes ces démarches pour retrouver des traces de leur parent disparu, l’impuissance, la souffrance… »
De son côté, la Chilienne a beaucoup hésité avant d’accepter de se lancer dans le projet. « Quand Pascal m’a approchée, je me suis d’abord dit : pourquoi de nouveau le Chili ou l’Argentine ? Toujours cette étiquette qui nous colle à la peau, alors que les disparitions forcées ont lieu partout dans le monde, raconte-t-elle. Alors, on en a discuté avec le Comité de l’association du Jardin des disparus. Puis nous nous sommes dit que mon cas était assez représentatif de ce que vivent les proches des disparus. Nous avons accepté. »
Un ancien centre de torture à Punta Arenas Photo : Pascal Baumgartner
La première de « Tierra de Nadie » a lieu le 8 octobre à 19h30 au Forum de Meyrin à l’occasion du 9ème anniversaire du Jardin des disparus.
Le Jardin des disparus a été inauguré en 2000 à Meyrin en mémoire des personnes disparues du monde entier.
Six arbres y sont plantés, représentant les cinq continents, le sixième étant dédié aux droits de l’homme.
Il est régulièrement visité par des familles des disparus ou des ONG, de passage aux instances des droits de l’homme à Genève. Il compte actuellement 200 membres, originaires de divers pays, dont le Rwanda, l’Algérie, l’Argentine, le Chili, le Kosovo, la Bosni
Carole Vann/InfoSud