La dizaine d'alpinistes français qui avaient entrepris cet ambitieux projet ont lutté pendant un mois contre les éléments déchaînés de ce bout du monde, sans parvenir à les dompter et à mener à bien la conquête de cette "terra incognita".
Charles Darwin découvrit en 1832 lors de son voyage sur le Beagle (prélude à l'élaboration de sa théorie de l'évolution) ce massif montagneux et semi-glaciaire qui s'étend sur 170 km dans les 50e hurlants, au Nord-Ouest du cap Horn.
C'est l'un des derniers et très rares "rectangles blancs" sur la planète, que l'homme n'a jamais foulé dans sa totalité, tant ses défenses naturelles le rendent quasiment inaccessible.
Mais la dizaine d 'alpinistes chevronnés et guides de haute montagne abonnés aux toits du monde, des Alpes à l'Himalaya et des Andes à l'Asie Centrale, voulaient relever l'improbable défi.
Leur chef d'expédition, Yvan Estienne, 58 ans dont 40 ans de montagne, est guide au pays des Ecrins. Il a notamment dirigé plus de 20 expéditions dans l'Himalaya et signé de nombreuses premières mondiales.
Les difficultés ont commencé sur la mer. Partis de Punta Arenas, sur le détroit de Magellan à bord d'un ancien bateau de pêche, ils n'ont jamais pu rejoindre le pied de la cordillère à l'Ouest.
"Nous avons été bloqués au Cap Froward, la pointe Ouest du détroit, là où Pacifique et Atlantique se rejoignent dans un goulet d'étranglement. Vents très violents, vagues de plus de six mètres, courants anarchiques... L'embarcation a dû faire demi-tour", raconte Yvan Estienne.
Le chef d'expédition décide alors de modifier ses plans et d'embarquer sur un plus gros navire pour rallier Puerto Williams, sur le canal de Beagle, l'extrême sud du continent américain. Ils vont tenter la traversée de la cordillère dans l'autre sens et contre les vents, d'Est en Ouest.
Pendant trois semaines, l'équipe ne se décourage jamais en dépit des immenses difficultés et multiplie les tentatives d'incursion.
Mais, las! La cordillère met en batterie tout son arsenal météorologique implacable, sur terre, sur mer et dans les airs, pour interdire son accès.
"Je n'ai jamais vu ça, même dans les pires endroits de la planète où j'ai grimpé, témoigne Pierre Muller, le médecin urgentiste de l'expédition. En dix minutes, on passe du paradis à l'enfer. Un front survient au galop, annoncé par des rafales de vents à 150 km/h qui nous jettent à terre. Des torrents d'eau ou des cascades de neige s'abattent en quelques minutes. Visibilité nulle, froid polaire, séracs chancelants, ponts de neige instables qui masquent de profondes crevasses mortelles."
Mais les alpinistes ont tout de même pu signer quelques sommets (entre 1.500 et 2.000 mètres) jamais gravis à ce jour.
Sous réserve d'acceptation par les autorités chiliennes, ces sommets s'appelleront désormais sur les cartes, "Col du Boutchiul" (col du Buisson en patois des Ecrins), "Pico Yamahuste" (pour Yann, Mathieu, Hubert, Stéphane qui l'ont gravi), ou "Pico Ludivine" (une membre de l'expédition).
"Nous avons vécu une aventure extraordinaire, dit Yvan Estienne. Mais tout reste à faire. La cordillère Darwin reste un défi majeur. Il y a ici pour un siècle d'alpinisme à venir."
De Patrick FILLEUX (AFP)