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mercredi 14 octobre 2009

"La nana" : Dominant et dominé entre quatre murs

La relation maître-domestique semble ainsi devenir une figure récurrente de ce cinéma, illustrée par exemple dans Bataille dans le ciel et Parque Via, respectivement signés par les réalisateurs mexicains Carlos Reygadas et Enrique Rivero.

La Nana, deuxième long métrage du jeune réalisateur Sebastian Silva, nous plonge à son tour au coeur de cette relation trouble, sans manichéisme aucun, en même temps qu'il nous envoie, par son indéniable réussite, le signe que quelque chose d'intéressant se passe aussi, désormais, dans le cinéma chilien, après la découverte de l'admirable Tony Manero (2009), de Pablo Larrain.

Petits secrets

Nous voilà donc enfermés avec l'héroïne, Raquel, bonne dans une belle maison bourgeoise de Santiago du Chili dont l'enceinte compose le cadre de ce huis clos. La maison appartient à la famille Valdes : père sympathique et vaguement démissionnaire, affairé à ses maquettes et à ses parties de golf clandestines, mère affable, partagée entre la gestion de la maisonnée et son travail, enfants déjà grands, sans autres problèmes que ceux qui se posent à une adolescence protégée et choyée.

Au coeur de ces murs, où une chambre lui est réservée, Raquel, une quadragénaire usée et morose, occupe une place à la fois centrale et annexe depuis plus de vingt ans. Centrale, parce qu'elle fait partie des meubles, qu'elle a vu grandir les enfants, et qu'aucun des petits secrets de la famille ne lui est étranger. Annexe, tout simplement parce qu'elle occupe une place de domestique.

L'ambiguïté de cette situation, avec ce qu'elle comporte de trivialité et de non-dits, est parfaitement mise en scène par Sebastian Silva. Tout s'y joue entre quatre murs, dans une promiscuité qui ne cesse de désigner ce que l'on voudrait justement escamoter : la relation dominant-dominé. D'où ce sentiment de familiarité poisseuse, dont le galvaudage tient à la fois à la culpabilité implicite de cette famille progressiste et à la manière dont la bonne, qui n'est pas dupe, parvient habilement à en tirer quelque maigre profit. A cet état de fait si finement cadré s'ajoute, pour les besoins de la dramaturgie, la dynamique d'une action : le désir de la maîtresse de maison d'engager une aide pour Raquel, qui marque des signes de fatigue. Manière de relancer l'ambivalence d'un geste affectueux, néanmoins motivé par une logique utilitariste.

Ici s'ouvre ce qui devient l'argument essentiel du film, et en même temps la peinture d'un degré supérieur d'aliénation. Car Raquel, paniquée, se met à défendre bec et ongles son territoire, dont la cruelle ironie de l'histoire est évidemment qu'il n'est pas même le sien. Raquel, adoptant une technique tristement signifiante (elle enferme ses ennemies dehors), mettra ainsi hors jeu deux postulantes, une jeune Péruvienne et une vieille grognarde envoyée tout exprès par la grand-mère, avant que la troisième, une jeune femme de la campagne, ne fasse enfin bouger sa ligne de défense. Une fin relativement émolliente eu égard à la cruauté et à la justesse du tableau général n'empêchera pas de recommander ce film très prometteur.