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mercredi 2 juillet 2008

Le tourisme menace-t-il les statues de l'Île de Pâques?

«Plus de tourisme, (c'est) plus de détérioration. Plus de visiteurs, plus de pertes», résume Susana Nahoe, une archéologue qui officiait comme agent de liaison entre le Service national de tourisme du Chili et la communauté scientifique présente sur l'île -avant de quitter son poste en raison de «différences de valeurs». «Nous en sommes désormais au point où soit nous protégeons ce que nous avons, soit nous le perdons».

Les 887 statues menacées
Les Moaïs, ces gigantesques statues de pierre aux formes humaines, qui mesurent jusqu'à neuf mètres de haut, sont déjà soumis à rude épreuve par les éléments de la nature. Le soleil, les vagues, le vent et l'humidité rongent leurs traits, et certains sont attaqués par les moisissures, le lichen et la mousse. L'érosion menace également l'Ahus, la plate-forme cérémonielle de terre et de pierre sur laquelle les statues sont plantées, ainsi que les côtes de l'île, le long desquelles la plupart des 887 monuments se dressent.

Comment protéger les Moaïs? Une question difficile qui s'ajoute aux énigmes qui entourent déjà l'Ile de Pâques elle-même.

Une civilisation totalement mystérieuse
Découverte le dimanche de Pâques 1722 par l'explorateur hollandais Jakob Roggeveen, trois fois plus grande que Manhattan, l'île a été peuplée par des colons venus des îles Marquises (Polynésie française) entre 400 et 600 av. J-C. Jusqu'environ 1680, la société prospérait et ses membres érigeaient les Moaïs, taillés dans la roche volcanique, vraisemblablement pour honorer les chefs tribaux.

Les ressources ont cependant commencé à diminuer alors que la population augmentait. Les arbres de l'île, qui servaient au transport des gigantesques blocs de pierre, même si on ne sait exactement comment, ont tous été abattus et la guerre a éclaté entre les tribus. Le cannibalisme s'est installé, et les Moaïs ont été renversés. Seule une cinquantaine ont été relevés et restaurés à notre époque. Outre ces grandes lignes, on ignore encore aujourd'hui les raisons précises de la chute de cette civilisation.

Classée en 1995 au patrimoine mondial de l'UNESCO et propriété du Chili, pourtant situé à 3.580 kilomètres à l'est, l'Ile de Pâques, que ses habitants appellent Rapa Nui, est devenue une véritable destination touristique il y a une vingtaine d'années. Pour 4 000 habitants, on a compté 52 000 touristes en 2007, selon Pedro Edmunds, maire de Hanga Roa, seule ville de l'île. Une augmentation de 20% par rapport à 2006, et dix fois plus qu'en 1990.

Selon l'archéologue Susana Nahoe, la majorité des touristes qui se rendent sur l'île pour admirer les Moaïs prennent garde de ne pas les endommager. Certains marchent ou grimpent cependant dessus en ignorant que leur comportement use les statues, alors que d'autres les endommagent intentionnellement, comme un touriste finlandais qui a été condamné à une amende de 17 000 dollars (10 800 euros) pour avoir arraché un lobe d'oreille à l'une d'entre elles.

Cri d'alarme
Si Nahoe pousse un cri d'alarme, le maire de Hanga Roa estime que «vraiment rien n'est fait» pour protéger les statues, qui selon lui sont également attaquées par 54 types différents de moisissures. Une expérience a été tentée en 2003 avec l'aide de l'UNESCO: cinq Moaïs ont reçu une injection de mastic, ce qui les a partiellement protégés du lichen et de l'humidité. Mais ce traitement était trop coûteux pour être généralisé, a déclaré l'archéologue.

Outre les éléments naturels et les touristes, Nahoe et Edmunds se plaignent de la tutelle chilienne. «Il n'y a aucune espèce de compréhension pour la demande de la population de Rapa Nui qui souhaite contrôler ce qui lui appartient», a estimé le maire. «Ils ne nous laissent aucun espace pour être créatifs (...) Tout se passe à Santiago, où beaucoup n'ont jamais visité l'île.»
Will Weissert – Associated Press (AP)