Valparaiso, mythe universel, escale aujourd'hui décevante, au point que les Chiliens lui préfèrent la longue plage de Viña del Mar, un peu plus au nord. Une ville d'hier, d'avant-hier même, à filer le bourdon au plus curieux des visiteurs, mais une ville qui se prête volontiers à la photographie, pour peu qu'on ait du coeur, un zeste de compassion pour ceux qui l'habitent aujourd'hui. Du coeur, Rodrigo Gomez Rovira n'en manque pas. Il est né à Santiago du Chili en 1968 mais a grandi à Colombes, dans la banlieue ouest de Paris, en raison de la dictature qui a contraint sa famille, fortement engagée aux côtés du gouvernement d'unité populaire de Salvador Allende, à l'exil.
En 1996, il a choisi de revenir sur sa terre natale et de s'installer dans l'une des bicoques de la vieille ville. Depuis, il a poussé les portes, même les plus sombres, saisi derrière un objet usuel, anodin, le souvenir d'une richesse enfouie que reflètent de somptueux azulejos ou les eaux d'un bassin depuis longtemps abandonné. Il paraît se méfier de la lumière du Pacifique, magicienne qui vous ferait prendre des vessies pour des lanternes, et lui préférer celles de la nuit, par les rues et par les bars, les salons endormis et les cuisines désertées. Il y a vu des ombres, des silhouettes, des fragments de corps, des visages incertains.
Il y a vu la difficulté d'être, avec les yeux du poète. On songe évidemment aux vers de l'un des plus célèbres habitants de la ville, le Prix Nobel de littérature Pablo Neruda, disparu en 1973. "Una noche se acuestan con la muerte en el lecho del mar"… On jurerait, en regardant les images de Rodrigo Gomez Rovira, que Valparaiso s'est, une nuit, couchée avec la mort dans le lit de la mer.
Olivier Schmitt