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dimanche 30 janvier 2011

Au Chili, 18 Mapuches sur le banc des accusés : une parodie de procès

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Pochoir de soutien au peuple Mapuche àu CHILI.   Photo Paul Lowry chez flickr

Dix-huit hommes de la communauté aborigène mapuche sont accusés par la loi antiterroriste de plusieurs délits, dont le principal est d'avoir organisé une « embuscade » et voulu atteindre, à coups de pistolets, une caravane de véhicules blindés. Les échanges de tirs ont fait trois blessés légers du côté des policiers.
Après deux mois d'un semblant de procès, où l'accusation a fait passer plus de 100 témoins à la barre, dont la majorité sont des policiers et des témoins protégés, « testigos sin rostro », anonymes, c'est au tour de la défense de prendre la parole.
Les peines encourues par les Mapuches varient entre 50 à 103 années de prison. Ils sont accusés d'être des meurtriers, des terroristes, des voleurs.
Mais il suffit de regarder d'un peu plus près la situation pour se demander qui vraiment est la victime :
  • l'entreprise forestière plaignante, qui possède 700 000 hectares de terres ?
  • l'Etat chilien, plaignant lui aussi, qui est à l'origine de la colonisation du territoire mapuche ?
  • ou les Mapuches, dont l'ensemble des terres (pour 800 000 personnes), dans tout le Chili, et pour toutes les communautés, n'atteint pas 600 000 hectares ?
Ce « procès », que les observateurs européens qualifient de burlesque, tant il va à l'encontre des droits élémentaires du droit à la défense, méritait que l'on s'y attarde en détail.
Nous avons donc rencontré Michael Barbut, qui suit de près cette affaire en tant qu'observateur pour le collectif de solidarité au peuple mapuche, composé d'organisations de défense des droits de l'homme et de défense des peuples autochtones.
Ce jeune français prépare une thèse de doctorat en science politique à Paris-I sur le processus de mobilisation et de politisation au sein d'une communauté mapuche, dans une perspective historique.
Après une longue interview avec Michael, j'ai pensé qu'il valait mieux vous présenter ce sujet en deux parties, afin que vous compreniez mieux le cadre dans lequel s'insère le procès. On parlera donc d'abord du procès et ensuite de l'histoire de la relation entre l'Etat et les communautés mapuche de Lleu-Lleu.

Le procès

Cristina L'Homme : Comment avez-vous pu suivre ce procès ?
Michael Barbut  : Le premier jour, j'ai montré ma pièce d'identité, j'ai été enregistré, j'ai dit que j'étais « observateur », parce que je tenais à ce que ce soit notifié.
Pouvez-vous nous décrire ce procès ?
Une grande salle de 50-60 m2 séparée en deux par une vitre en plexiglas. D'un côté le tribunal, de l'autre le public. Côté tribunal, une estrade où sont assis trois juges avec leurs assesseurs, greffiers, en face le ministère public représenté par trois procureurs qui mènent à bien les interrogatoires. A leur côté, un représentant juridique de l'entreprise forestière Mininco (qui appartient à la puissante famille Matte) qui est partie prenante du procès en tant que plaignant, et deux avocats représentant l'Etat, également plaignant. 
Face à eux, six avocats de la défense, dont quatre sont privés et deux sont des défenseurs publics fournis par l'Etat. Derrière ces avocats, douze prisonniers mapuches sur dix-huit. Les six autres ne sont donc pas obligés d'être présents, ils ne viennent pas tous les jours parce que ça coûte cher : Cañete, où se trouve le tribunal, est à une heure environ des communautés, en bus. Le trajet coûte 2 500 pesos (4 euros). C'est beaucoup pour les paysans mapuches.
Quel est le cadre de l'accusation ?
Plusieurs délits sont en jeu. Le plus grave est ce que le ministère public appelle « l'attaque au Fiscal Elgueta » en octobre 2008. Elgueta était chargé d'enquêter sur « le conflit mapuche » dans la région.
La théorie de l'attaque ou de l'embuscade préméditée est refusée par la défense, mais aussi par des personnalités comme le juge Guzman qui parle d'affrontement et de droit légitime de se défendre. Les imputés voulant empêcher les forces policières (venues en blindés et en force : quinze véhicules) de réaliser une perquisition violente, un « allanamiento », comme la police le fait régulièrement dans les communautés mapuche, détruisant tout, usant et usurpant le pouvoir d'intimidation que signifie l'apparition de 50 ou 100 militaires casqués et armés dans une petite maison en tôle, éventrant les sacs de graines, détruisant les récoltes, les outils agricoles, et bousculant femme et enfant.
Y a-t-il eu des morts ? Des blessés graves lors de l'échange de tirs ?
A l'issue des échanges de tirs qui se sont déroulés sur la route qui longe le territoire mapuche, il y a eu trois blessés légers. Le Fiscal Elgueta et deux policiers. Pour cela, et pour une série d'autres délits mineurs, certains accusés Mapuche risquent de payer entre 50 et 103 années de prison…
Quels autres délits auraient commis les Mapuches ?
Ils sont accusés d'avoir incendié les propriétés des entreprises forestières et volé leur bois. Et c'est là que le bât blesse, car si le territoire appartient légalement à cette entreprise, et qu'ils ont un papier qui atteste leur propriété, celle-ci est le produit de l'expropriation au XIXe siècle, dont ont été victimes les communautés mapuches (voir la suite de cet article à venir).
Ces délits renvoient à un conflit politique. C'est pourquoi, au fil des procès des Mapuches, les tribunaux se transforment en espace d'expression politique.
L'expropriation territoriale est une question plutôt récente ici : les territoires mapuches ont été annexés il y a seulement une centaine d'années par l'Etat chilien qui a entrepris de repartir les terres et de favoriser l'installation de colons venus d'Europe au détriment des Mapuches. Les textes législatifs de l'époque le montrent clairement
Les Mapuches ont-ils créé une association ?
On ne peut pas vraiment parler d'une association, il s'agit d'une organisation politique qui naît en 1997, la Coordinadora Arauco Malleco (CAM). Elle est alors composée de jeunes Mapuches qui ne sont pas satisfaits de la nouvelle relation instaurée entre le peuple mapuche et l'Etat chilien, au moment de la transition démocratique. Cette organisation entend reconstruire le territoire mapuche ancestral et revendique le contrôle du territoire mapuche. Elle fait ainsi écho à la convention 169 de l'OIT qui prévoit pour les peuples autochtones le droit d'exercer une souveraineté sur leur territoire ancestral. La convention a été ratifiée par l'Etat chilien.
Qu'est-ce qui vous frappe quand vous regardez les accusés ?
La jeunesse de leurs visages. Et aussi leurs rires, sourires et la tendresse de leur visage lorsqu'apparaît dans la salle réservée au public leur famille. Tout cela contraste avec l'accusation de terrorisme et la diabolisation faite par certains médias. Des fois ils dorment aussi : l'un d'eux m'expliquait que c'était dû aux chutes de tension, des séquelles de la longue grève de la faim qu'ils ont tous suivie entre juillet et octobre 2010.