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FIDEL EN RÉUNION AVEC PLUSIEURS MÉDECINS, DONT LA DR ENEIDA PÉREZ CANDELARIA (À GAUCHE) ET LE DIRECTEUR MARCELINO RIOS TORRES, AVANT LE LANCEMENT DE L’OPÉRATION MIRACLE. |
La Havane. Lundi 18 juillet 2016. CCN. Douze ans après le début de l’Opération miracle, Granma évoque comment tout a commencé. Lorsque le téléphone se met à sonner, en ce 9 juillet 2004, la Dr Belkys se trouve depuis trois mois à Saint-Christophe-et-Niévès, le plus petit pays du continent américain.
La sonnerie devient insistante jusqu’à ce que quelqu’un décroche. L’interlocuteur à l’autre bout de la ligne lui dit qu’elle doit rentrer à Cuba et lui demande de préparer ses affaires pour partir ce soir même, au plus tard le lendemain matin. La personne qui est à l’appareil ne lui donne aucune explication.
Il était plus de huit heures du soir quand le téléphone a sonné. Vers neuf heures, Belkys, éprouvant un sentiment d’angoisse, s’active pour rassembler ses affaires. Elle est persuadée qu’il est arrivé quelque chose chez elle à Cuba. Ou peut-être qu’elle a commis une erreur médicale, avec toutes ces chirurgies oculaires qu’elle réalise par jour…
Le 9 juillet 2004 est un vendredi, et Fidel se réunit avec un petit groupe de médecins à l’hôpital ophtalmologique Ramon Pando Ferrer (plus connu comme La Caguera), dans le quartier havanais de Marianao.
Il est arrivé soudainement, sans prévenir, à 19 heures, et le Dr Marcelino Rios Torres, directeur général de l’hôpital Pando Ferrer, a réuni tous les docteurs disponibles à ce moment-là.
Dans un petit local, Fidel leur demande, presque comme un service, d’opérer 50 Vénézuéliens souffrant de cataracte. Il précise qu’ils arriveront le lendemain et qu’il a pleinement confiance dans les compétences professionnelles et le savoir-faire de nos médecins, qu’il sait que tout va bien se passer.
« Il était venu personnellement nous demander cela», s’exclame le Dr Marcelino Rios 12 ans plus tard.
« Pour nous, le fait que Fidel se soit adressé à notre institution était un vrai motif de fierté. J’ai contacté deux de mes collègues : le Dr Reinaldo Rios, le sous-directeur, et La Dr Eneida, qui était de garde ce soir-là et qui est aujourd’hui la responsable du département de microchirurgie. Je me souviens que nous nous sommes réunis dans un petit bureau. Je me souviens que Fidel avait un verre d’eau à la main. Il a bu une gorgée, a posé le verre et regardé Marcelino, se tenant le menton de la main gauche. La Dr Eneida Pérez Candelaria était assise à quelques mètres de là, visiblement impressionnée par le célèbre uniforme vert-olive, les bottes hautes et la barbe grisonnante. Elle était assise bien droite sur une chaise bleue rembourrée. »
« Aucun de nous ne connaissait exactement le motif de la visite du commandant. Je me souviens qu’il a commencé à citer des chiffres et de statistiques. Il a parlé de 50, de 700 opérations. Je lui ai répondu que nous faisions 700 chirurgies en une semaine.
« En 2004, la Dr Eneida était l’un des sept ophtalmologues qui maîtrisaient la technique dite de Blumenthal : un nouveau procédé chirurgical pour le traitement des cataractes. C’était aussi le cas de la Dr Belkys Rodriguez Suarez. C’est pourquoi lorsqu’il s’est enquis sur nos sept spécialistes on l’a fait venir d’urgence de Saint-Christophe-et-Niévès.
Le 10 juillet à 7 heures, les 50 premiers patients Vénézuéliens arrivent à La Ceguera. La première opération a lieu une heure plus tard.
Ce même 10 juillet, un samedi, la Dr Balkys Rodriguez arrive à La Havane. Le lundi, elle rejoint nos six autres spécialistes.
Le lundi, vers 13 heures, ils ont réalisé 90 chirurgies à eux sept.
« Fidel nous a demandé si on pouvait augmenter le nombre d’opérations. Je lui ai répondu que c’était peut-être possible, que nous l’ignorions.
« C’est ainsi que nous avons accueilli un nombre croissant de patients. Les allées et venues n’en finissaient pas et j’avais l’impression qu’on ne viendrait jamais à bout de tout ce travail.
« Il se trouve que Fidel nous avait demandé si nous pouvions faire 50 opérations par jour. Et en une journée il nous est arrivé d’en réaliser jusqu’à 500 », se souvient le Dr Rio Torres.
« Le nombre de patients a augmenté, au point que nous avons dû former deux équipes chirurgicales. Nous avons fait venir les sept autres des meilleurs ophtalmologues du pays. »
La technique Blumenthal compte plusieurs pas : désinfecter la zone à opérer ; appliquer l’anesthésie, pratiquer une petite incision entre quatre et six millimètres au bord de la sclérotique (partie blanche supérieure de l’œil), repousser la cataracte vers la chambre antérieure de l’œil et l’extraire à travers la plaie de la sclérotique ; nettoyer complètement la capsule cristalline de possibles restes…
Et d’ajouter : « La première équipe commençait à 7 heures du matin et pouvait quitter le bloc opératoire à n’importe quelle heure de la nuit. Un seul chirurgien opérait chaque jour entre 60 et 70 patients. Il fallait ensuite utiliser de l'acide hyaluronique pour éviter des lésions graves ; introduire une lentille intraoculaire à travers l’incision (cette lentille laisse passer suffisamment de rayons à travers la rétine), nettoyer une nouvelle fois et suturer l’incision… »
En 2004, grâce à cette technique une opération de cataracte durait entre 10 et 15 minutes. Ce genre de procédé chirurgical coûtait plus de 5 000 dollars dans une ville comme New York.
A la fin de 2004, le programme « Opération Miracle » permit à plus de 14 000 patients non-voyants guérissables de recouvrer la vue grâce à l'intervention gratuite des médecins cubains.
« Pour nous, c’était devenu comme un jeu, comme un entraînement. C’était le début du mois de juillet et nous étions physiquement épuisés, car en général après une année entière de travail nous aurions dû être en vacances. Mais chacun a pris les choses avec bonne humeur et philosophie, et avec enthousiasme. »
Nous sommes au début du mois de juillet 2016, la Dr Eneida évoque cette époque dans le petit salon où s’est déroulée la rencontre avec Fidel. Elle est assise sur la même chaise bleue rembourrée.
« Il y a des centaines d’anecdotes. Des parents qui n’avaient jamais vu leurs enfants parce qu’ils étaient nés avec une cataracte congénitale bilatérale totale à la naissance. C’est peu fréquent mais cela existe. Des petits vieux sans ressources. Car ces patients n’avaient pas d’argent pour payer le traitement dans une institution privée quelconque ; ils n’avaient pas accès aux services de santé. »
Tandis qu’Eneida parle, la Dr Belkys s’approche de la table, sur laquelle se trouve une photo encadrée de Fidel, son verre d’eau à la main.
Son téléphone portable sonne. Elle répond pour dire qu’elle est occupée en ce moment, qu’elle rappellera plus tard.
« Pour nous, cela a été différent. Nous nous sommes enrichis en tant qu’équipe et nous avons eu le plaisir de travailler et de vivre ensemble, car nous étions logés dans des maisons proches d’ici et on nous avait offert toutes les conditions pour nous permettre de rien faire d’autre que d’opérer. On ignorait qui était le patient, mais peu importait. C’était très réconfortant de savoir que cette personne allait recouvrer la vue grâce à quelque chose qui ne t’a coûté que dix ou quinze minutes de ton temps.
« Et il y a aussi le fait que nous étions très jeunes, plaisante Eneida. Si cela se produisait aujourd’hui, on ne rigolerait pas autant », signale-t-elle au milieu des rires qui fusent.
Le Dr Juan Raul Hernandez Silva, un des sept spécialistes, fait son entrée. C’est le premier ophtalmologue cubain à avoir opéré au Venezuela, en 2005, lorsque les premiers centres de la Mission Miracle ont commencé à fonctionner à l’étranger.
« Cette expérience a été très enrichissante et m’a permis de gagner en maturité et de m’améliorer en tant que médecin. Nous n’avons aucune expérience dans le domaine et l’intensité du programme a été un vrai défi professionnel. Chaque témoignage d’affection d’un patient a toujours été d’un grand réconfort. »
« Mais nous étions quand même si jeunes ! », répète la Dr Eneida qui n’a cessé de rire.
On dirait qu’ils n’ont pas conscience qu’ils font désormais partie de l’Histoire. Ou peut-être que l’Histoire leur semble aussi un entraînement…
Quelque chose qui coûte 10 ou 15 minutes de leur temps… Leurs patients ne sont pas près de l’oublier. •
L’Opération Miracle : un exemple d’humanisme et de volonté
Le 9 juillet 2004, à l’initiative du commandant en chef Fidel Castro et en coordination avec Hugo Chavez, président du Venezuela, a démarré la dénommée Mission Miracle (ou Opération Miracle), un programme de santé intégral destiné aux patients souffrant de cataractes ou d’autres maladies oculaires. Selon des statistiques de l’Institut cubain d’ophtalmologie, durant cette année 2006 furent opérés des patients notamment vénézuéliens à l’hôpital Ramon Pando Ferrer de La Havane. Des opérations chirurgicales furent également réalisées à Santiago de Cuba et Holguin. En 2005, l’Opération s’étendit à d’autres pays de la Caraïbe, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, mais c’est en 2006 que furent installés des centres ophtalmologiques dans plusieurs pays, ce qui permit d’offrir un accès aux soins aux plus nécessiteux. Pour faire face à cette tâche, Cuba fit l’acquisition d’équipements de technologie de pointe et procéda à l’amélioration et la modernisation de ses services. Un grand nombre de spécialistes, de personnel d’infirmerie, de techniciens et d’ingénieurs cubains furent formés dans cette discipline, et la Faculté cubaine d’ophtalmologie fut créée, où environ 600 spécialistes se sont diplômés jusqu’à ce jour. Ainsi, la Mission Miracle a d’abord bénéficié à l’ophtalmologie et aux patients cubains grâce au perfectionnement de la prise en charge dans toutes les provinces du pays. D’après ce même rapport, Cuba compte aujourd’hui 65 centres ophtalmologiques équipés d’unités médico-chirurgicales dans 18 pays d’Amérique latine, de la Caraïbe et d’Afrique, qui reçoivent des patients de 34 pays. Prochainement, l’Opération Miracle fêtera sa deux millionième chirurgie, « ce qui constitue un événement sans précédent dans l’histoire de la coopération ophtalmologique dans le monde et fait de ce programme une nouvelle expression du caractère internationaliste de notre médecine ».