ENTRETIEN – La Librairie le Comptoir a vu le jour il y a un peu plus de 20 ans à Santiago du Chili. Maryline Noël, sa fondatrice, a conservé la passion et la flamme, dans un territoire qui n'a pas la réputation, reconnaît-elle, d'être un pays de lecteurs. Ouvrir une librairie française en pleine Amérique du Sud, le défi n'était pas des moindres.
ActuaLitté : Comment avez-vous organisé le projet de cette librairie ?
Maryline Noël : Je l’ai créée d’abord comme une librairie itinérante, sans boutique, qui proposait des livres français aux enfants du réseau des écoles françaises du Chili. Puis nous avons posé nos valises dans le quartier de Vitacura, à Santiago, avec une offre maintenant généraliste, principalement littérature, jeunesse, beaux livres et papeterie.
Nous continuons de parcourir le Chili du nord au sud régulièrement pour aller à la rencontre des clients et essayons d’appliquer une politique d’animations dynamique au sein de la librairie.
Quelles sont les spécificités historiques du marché du livre au Chili ?
Maryline Noël : Le Chili n’a pas une réputation de pays « lecteur ». C’est un petit marché pour les maisons d’édition locales et la longue période des années noires a retardé longtemps l’émergence de maisons d’édition indépendantes. Paradoxalement c’est un grand pays pour les écrivains, nous y comptons deux prix Nobel de littérature, dont une femme ! (Gabriela Mistral et Pablo Neruda).
C’est un pays riche en talents, beaucoup de jeunes écrivains sont traduits et appréciés en France… Depuis quelques années on assiste à l’émergence de bien belles librairies, enfin. Il s’agit maintenant de mener une véritable politique de promotion de la lecture auprès de la population.
À ce jour, à quelles problématiques faites-vous face ?
Maryline Noël : L’éloignement a des répercussions économiques sur le transport des livres qui peut atteindre 30 à 40 % du prix final de vente, car nous privilégions l’avion pour une plus grande réactivité. Sans compter qu’au Chili, la TVA sur les livres est de 19 % ! Ces deux facteurs à eux seuls grèvent fortement le prix final des livres.
Comment établissez-vous votre sélection d’ouvrages mis en avant ?
Maryline Noël : Nous lisons énormément en amont, bien avant les sorties. Pour les nouveautés en littérature, nous suivons nos coups de cœur, pour les poches nous nous appuyons sur notre longue expérience et connaissance de notre clientèle très variée. Souvent en choisissant un livre nous savons à qui nous allons le proposer !
En jeunesse nous aimons pousser nos jeunes lecteurs toujours plus loin en leur proposant des choses plus pointues pour les accompagner doucement hors de leur zone de confort tout en maintenant en stock leurs séries et héros favoris.
Quelles sont vos relations avec les distributeurs?
Maryline Noël : Elles sont vraiment excellentes. J’ai commencé dans le métier au même moment que plusieurs représentants toujours en poste qui sont devenus des amis au fil du temps. Beaucoup de démarches se sont mécanisées avec les années et s’il est vrai que l’on a de moins en moins à faire à de « vrais » interlocuteurs, notamment chez les distributeurs, il est toujours possible d’engager un dialogue quand nécessaire.
Que vous apporte le réseau de l’AILF ?
Maryline Noël : Principalement un sentiment d’appartenance que ce soit à un réseau, à une famille professionnelle. On ne devient pas libraire par hasard : il faut un petit grain de folie, surtout au bout du monde et en pays non francophone ! Les libraires sont curieux, ouverts, passionnés… et les passionnés ont besoin de se retrouver entre eux pour partager leur « locura » (sourire)
Plus sérieusement, l’AILF nous permet d’exister en tant que confrérie à l’heure de négocier auprès des autorités, d’organiser des séminaires de formation, etc.
Quel regard portez-vous sur l’industrie du livre?
Maryline Noël : Un regard optimiste : le « livre » prend des dimensions plurielles, c’est une industrie toujours en évolution. Les acteurs de la chaîne du livre, notamment les plus fragiles, doivent renouveler leurs pratiques et s’adapter très souvent, ce qui est à la fois stimulant et angoissant. D’où l’importance de l’accompagnement et des politiques publiques en faveur du livre.
Libraire du bout du monde dans un pays hispanophone, qui sont vos partenaires francophones dans cette ville et vous sentez-vous soutenu par l’ambassade de France localement ?
Maryline Noël : Les relations avec les Institutions françaises sont toujours une question de personnes. Les responsables passent et ne se ressemblent pas.
Nous, nous restons et devons conjuguer à chaque fois avec de nouvelles personnalités, façons de voir les choses, avec le sentiment souvent de devoir tout recommencer à zéro. En ce moment, l’équipe pédagogique de l’Institut français de Santiago est particulièrement dynamique et ouverte aux collaborations, à suivre donc…