Cela va de soi, mais une quatrième condition, tout à fait incongrue, requiert l'assurance que l'étudiant quittera la Suisse à la fin de ses études. En pratique, l'ordonnance réglant les détails prévoit que la durée maximale du séjour ne peut excéder huit ans. Cette durée est insuffisante pour former dans les EPF un chercheur, qui y passera près de dix ans. La même remarque vaut pour un médecin spécialiste.
Ainsi, la Suisse forme des étudiants étrangers au bénéfice des autres pays, tandis qu'elle se refuse à elle-même le droit de les recruter, hormis les nationaux de l'UE bien entendu. Cette règle étrange date de la loi précédente, édictée le 26 mars 1931, dans un contexte tout à fait différent. A l'époque, il fallait sans doute éviter que les étudiants allemands et autrichiens, fuyant la montée du nazisme, viennent se réfugier en masse dans les universités suisses. Par ailleurs en 1931, la recherche ne jouait pas le rôle décisif qu'elle remplit actuellement en technique, en médecine et en économie. Il ne fallait donc recruter qu'un petit nombre de diplômés universitaires, pour remplir surtout des fonctions de médecins, d'avocats, de notaires ou de fonctionnaires, et ces emplois exceptionnels devaient être réservés aux nationaux. La Suisse acceptait de former des universitaires étrangers, pourvu qu'ils ne concurrencent pas les Suisses et qu'ils s'en aillent une fois le diplôme obtenu. Comme le coût de la formation était dérisoire par rapport à ce qu'il est devenu, la Suisse pouvait se payer le luxe de consentir une dépense marginale pour soutenir sa réputation.
Aujourd'hui, la situation est très différente, mais la règle a été aveuglément prolongée. Pour se maintenir au sommet de l'économie, la Suisse doit développer une activité de pointe dans une série de domaines spécialisés, qui vont de la biotechnologie à la gestion de fortune. Cela implique le recrutement massif de techniciens, d'ingénieurs, de chercheurs, d'analystes financiers, bien au-delà des frontières nationales. En dehors du cas de l'UE avec laquelle la liberté de circulation est garantie, le reste du monde constitue un bassin de recrutement indispensable pour un petit pays, limité par une démographie déclinante. La Suisse a tout intérêt à attirer de jeunes talents, à les former selon ses normes et à tout faire pour les inciter à demeurer ensuite. Or, c'est exactement le contraire que prévoit la loi révisée en 2005. L'application scrupuleuse de cette loi par l'Office des migrations (ODM) s'inscrit dans cet esprit, comme le montrent deux exemples récents. Les faits sont authentiques et les prénoms fictifs.
Après des études secondaires en Algérie, Moncef s'inscrit à l'EPFL en 2000 et reçoit en 2007 le master en physique de l'EFL, avec un mineur en management technologie. Il obtient un poste d'assistant doctorant dans un laboratoire de l'EPFL pour une durée de quatre ans. Le 25 juin 2008, l'ODM refuse le permis de séjour, car Moncef a séjourné en Suisse huit ans déjà. C'est cependant une durée tout à fait normale pour un étudiant étranger, obligé de suivre un cours de mathématiques préparatoire, plus cinq ans pour le master, et qui a passé deux ans en Allemagne dans le programme Erasmus. Le signataire de ces lignes intervient directement auprès de la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf, grâce à qui cette décision malencontreuse est renversée. La Suisse gardera ce jeune chercheur algérien en nanotechnologie, déjà à l'origine d'une start-up. Mais on ne peut se satisfaire d'une procédure, qui implique dans chaque cas particulier le recours à un parlementaire et à une conseillère fédérale.
Adolfo est Chilien, arrivé en Suisse à l'âge de 10 ans, accompagnant ses parents réfugiés politiques en 1978. Il effectue des études primaires et secondaires à Lausanne. En 1990, il retourne au Chili et poursuit des études d'architecte. En 2003, il revient en Suisse pour terminer ses études et est diplômé de l'Université de Genève. Il dirige une entreprise familiale pour subvenir à ses besoins et entreprend les démarches en vue de sa naturalisation. La Ville de Lausanne et le Canton de Vaud l'acceptent, et sa prestation de serment est prévue en janvier 2009. Le 27 mai 2008, l'ODM annonce une décision négative pour le renouvellement de son permis étudiant, demandé en vue d'un doctorat. L'ODM engage une course de vitesse pour l'expulser avant qu'il soit naturalisé. Même démarche du signataire de cette lettre auprès de Département de justice et police à Berne. Pas de nouvelles.
Ces deux cas ne sont que la pointe de l'iceberg. On peut en citer des dizaines d'autres, rassemblés par l'Association des étudiants. On pourrait surtout songer à tous les chercheurs que nous avons formés et qui n'essaient même pas de rester, car ils retrouvent facilement un poste à l'étranger, dans la mesure où ils sont brillants. On peut aussi se demander combien de candidats au doctorat sont découragés de s'inscrire dans une haute école suisse, lorsqu'ils prennent connaissance des conditions qui leur sont imposées. Bien entendu, certains chercheurs s'accrochent et finissent par décrocher une dérogation au sens de l'article 23 de la même loi réservée aux personnalités hors du commun. Mais l'ODM doit alors juger de la qualité professionnelle du candidat, matière en laquelle cet office n'est pas compétent. Il devrait se contenter de répondre positivement aux demandes émanant du monde universitaire ou économique, ce qu'il ne fait pas pour l'instant.
Combien coûte ce petit jeu d'exclusion des chercheurs de nationalité étrangère? Cela vaudrait la peine de le calculer exactement, mais on ne saura jamais combien de carrières en Suisse ont été interrompues par cette règle absurde. Mentionnons simplement à titre d'exemple: sur 6541 étudiants à l'EPFL en 2007-2008, 2787 (41%) sont étrangers, soit un tiers d'étudiants étrangers en master et deux tiers en doctorat; en 2007, les doctorats décernés à des étrangers étaient au nombre de 172 contre 108 décernés à des Suisses; le coût de la formation d'un ingénieur, d'un médecin, d'un chercheur se situe entre un demi et un million de francs suisses. L'article 27 de la loi sur les étrangers nous coûte donc au bas mot quelques dizaines de millions par an. Cet argent public, perdu par la Suisse, ne l'est pas pour tout le monde: l'ODM fournit gratuitement une main-d'œuvre hautement qualifiée à nos concurrents de l'industrie, de la médecine, de la finance, des assurances. Plus grave encore: l'ODM place nos propres entreprises dans une situation de pénurie.
Une initiative parlementaire a été déposée au Conseil national pour abroger cette clause absurde. Elle sera discutée une première fois en commission le 22 août. L'ODM a déjà annoncé qu'il s'opposerait à cette modification. Il redoute un afflux d'étudiants étrangers, qui finiraient par s'installer en Suisse. Les milieux universitaires en seraient au contraire ravis, car la qualité d'une haute école se mesure au nombre d'étudiants brillants qui viennent de loin et les milieux économiques bénéficieraient d'un réservoir de main-d'œuvre sans limites. Pour l'ODM au contraire le nombre des emplois serait une constante, indépendante de la qualité des gens engagés. Tout nouveau permis de séjour risque de pousser un Suisse au chômage, surtout si l'étranger est qualifié. Il s'agit donc d'un individu à exclure en priorité.
En 1933, Albert Einstein, professeur à l'Université de Berlin, subissait des exactions, dues à sa confession juive. Il a demandé à notre ambassade de récupérer son passeport suisse, puisqu'il avait travaillé dans l'administration fédérale. On le lui a refusé. Il est parti aux Etats-Unis. Il était Prix Nobel de physique et, sans doute, le savant le plus éminent de son époque. Mais ce n'est pas le métier d'un fonctionnaire de le savoir.
Ainsi, la Suisse forme des étudiants étrangers au bénéfice des autres pays, tandis qu'elle se refuse à elle-même le droit de les recruter, hormis les nationaux de l'UE bien entendu. Cette règle étrange date de la loi précédente, édictée le 26 mars 1931, dans un contexte tout à fait différent. A l'époque, il fallait sans doute éviter que les étudiants allemands et autrichiens, fuyant la montée du nazisme, viennent se réfugier en masse dans les universités suisses. Par ailleurs en 1931, la recherche ne jouait pas le rôle décisif qu'elle remplit actuellement en technique, en médecine et en économie. Il ne fallait donc recruter qu'un petit nombre de diplômés universitaires, pour remplir surtout des fonctions de médecins, d'avocats, de notaires ou de fonctionnaires, et ces emplois exceptionnels devaient être réservés aux nationaux. La Suisse acceptait de former des universitaires étrangers, pourvu qu'ils ne concurrencent pas les Suisses et qu'ils s'en aillent une fois le diplôme obtenu. Comme le coût de la formation était dérisoire par rapport à ce qu'il est devenu, la Suisse pouvait se payer le luxe de consentir une dépense marginale pour soutenir sa réputation.
Aujourd'hui, la situation est très différente, mais la règle a été aveuglément prolongée. Pour se maintenir au sommet de l'économie, la Suisse doit développer une activité de pointe dans une série de domaines spécialisés, qui vont de la biotechnologie à la gestion de fortune. Cela implique le recrutement massif de techniciens, d'ingénieurs, de chercheurs, d'analystes financiers, bien au-delà des frontières nationales. En dehors du cas de l'UE avec laquelle la liberté de circulation est garantie, le reste du monde constitue un bassin de recrutement indispensable pour un petit pays, limité par une démographie déclinante. La Suisse a tout intérêt à attirer de jeunes talents, à les former selon ses normes et à tout faire pour les inciter à demeurer ensuite. Or, c'est exactement le contraire que prévoit la loi révisée en 2005. L'application scrupuleuse de cette loi par l'Office des migrations (ODM) s'inscrit dans cet esprit, comme le montrent deux exemples récents. Les faits sont authentiques et les prénoms fictifs.
Après des études secondaires en Algérie, Moncef s'inscrit à l'EPFL en 2000 et reçoit en 2007 le master en physique de l'EFL, avec un mineur en management technologie. Il obtient un poste d'assistant doctorant dans un laboratoire de l'EPFL pour une durée de quatre ans. Le 25 juin 2008, l'ODM refuse le permis de séjour, car Moncef a séjourné en Suisse huit ans déjà. C'est cependant une durée tout à fait normale pour un étudiant étranger, obligé de suivre un cours de mathématiques préparatoire, plus cinq ans pour le master, et qui a passé deux ans en Allemagne dans le programme Erasmus. Le signataire de ces lignes intervient directement auprès de la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf, grâce à qui cette décision malencontreuse est renversée. La Suisse gardera ce jeune chercheur algérien en nanotechnologie, déjà à l'origine d'une start-up. Mais on ne peut se satisfaire d'une procédure, qui implique dans chaque cas particulier le recours à un parlementaire et à une conseillère fédérale.
Adolfo est Chilien, arrivé en Suisse à l'âge de 10 ans, accompagnant ses parents réfugiés politiques en 1978. Il effectue des études primaires et secondaires à Lausanne. En 1990, il retourne au Chili et poursuit des études d'architecte. En 2003, il revient en Suisse pour terminer ses études et est diplômé de l'Université de Genève. Il dirige une entreprise familiale pour subvenir à ses besoins et entreprend les démarches en vue de sa naturalisation. La Ville de Lausanne et le Canton de Vaud l'acceptent, et sa prestation de serment est prévue en janvier 2009. Le 27 mai 2008, l'ODM annonce une décision négative pour le renouvellement de son permis étudiant, demandé en vue d'un doctorat. L'ODM engage une course de vitesse pour l'expulser avant qu'il soit naturalisé. Même démarche du signataire de cette lettre auprès de Département de justice et police à Berne. Pas de nouvelles.
Ces deux cas ne sont que la pointe de l'iceberg. On peut en citer des dizaines d'autres, rassemblés par l'Association des étudiants. On pourrait surtout songer à tous les chercheurs que nous avons formés et qui n'essaient même pas de rester, car ils retrouvent facilement un poste à l'étranger, dans la mesure où ils sont brillants. On peut aussi se demander combien de candidats au doctorat sont découragés de s'inscrire dans une haute école suisse, lorsqu'ils prennent connaissance des conditions qui leur sont imposées. Bien entendu, certains chercheurs s'accrochent et finissent par décrocher une dérogation au sens de l'article 23 de la même loi réservée aux personnalités hors du commun. Mais l'ODM doit alors juger de la qualité professionnelle du candidat, matière en laquelle cet office n'est pas compétent. Il devrait se contenter de répondre positivement aux demandes émanant du monde universitaire ou économique, ce qu'il ne fait pas pour l'instant.
Combien coûte ce petit jeu d'exclusion des chercheurs de nationalité étrangère? Cela vaudrait la peine de le calculer exactement, mais on ne saura jamais combien de carrières en Suisse ont été interrompues par cette règle absurde. Mentionnons simplement à titre d'exemple: sur 6541 étudiants à l'EPFL en 2007-2008, 2787 (41%) sont étrangers, soit un tiers d'étudiants étrangers en master et deux tiers en doctorat; en 2007, les doctorats décernés à des étrangers étaient au nombre de 172 contre 108 décernés à des Suisses; le coût de la formation d'un ingénieur, d'un médecin, d'un chercheur se situe entre un demi et un million de francs suisses. L'article 27 de la loi sur les étrangers nous coûte donc au bas mot quelques dizaines de millions par an. Cet argent public, perdu par la Suisse, ne l'est pas pour tout le monde: l'ODM fournit gratuitement une main-d'œuvre hautement qualifiée à nos concurrents de l'industrie, de la médecine, de la finance, des assurances. Plus grave encore: l'ODM place nos propres entreprises dans une situation de pénurie.
Une initiative parlementaire a été déposée au Conseil national pour abroger cette clause absurde. Elle sera discutée une première fois en commission le 22 août. L'ODM a déjà annoncé qu'il s'opposerait à cette modification. Il redoute un afflux d'étudiants étrangers, qui finiraient par s'installer en Suisse. Les milieux universitaires en seraient au contraire ravis, car la qualité d'une haute école se mesure au nombre d'étudiants brillants qui viennent de loin et les milieux économiques bénéficieraient d'un réservoir de main-d'œuvre sans limites. Pour l'ODM au contraire le nombre des emplois serait une constante, indépendante de la qualité des gens engagés. Tout nouveau permis de séjour risque de pousser un Suisse au chômage, surtout si l'étranger est qualifié. Il s'agit donc d'un individu à exclure en priorité.
En 1933, Albert Einstein, professeur à l'Université de Berlin, subissait des exactions, dues à sa confession juive. Il a demandé à notre ambassade de récupérer son passeport suisse, puisqu'il avait travaillé dans l'administration fédérale. On le lui a refusé. Il est parti aux Etats-Unis. Il était Prix Nobel de physique et, sans doute, le savant le plus éminent de son époque. Mais ce n'est pas le métier d'un fonctionnaire de le savoir.
Jacques Neirynck, Conseiller national (PDC/VD)