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dimanche 29 janvier 2012

AU CHILI, VINGT ANS DE MASSACRE ET DES QUOTAS TOUJOURS ÉLEVÉS

PHOTO CIPER
Depuis, les choses ont changé. Pourtant, d'après l'enquête de l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) menée en collaboration avec le centre d'investigation chilien Ciper, il ressort que huit groupes disposant d'un quasi-monopole ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il fixe des quotas supérieurs aux recommandations des scientifiques. Six de ces groupes sont contrôlés par de puissantes familles. Ensemble, ces huit groupes ont droit à 87 % des prises de chinchard accordées au Chili.

ROBERTO ANGELINI ROSSI (FERRARA, LE 30 JUILLET 1948) EST UN INGÉNIEUR ET ENTREPRENEUR CHILIEN D'ORIGINE ITALIENNE, LEADER DE L'UN DE LES PLUS GRANDS GROUPES ÉCONOMIQUES DU PAYS SUD-AMÉRICAIN.

HÉRITIER ET SUCCESSEUR DE L'HOMME LE PLUS RICHE D'AMÉRIQUE DU SUD

Roberto Angelini, 63 ans, contrôle la zone de pêche au nord du pays. On le surnomme "l'héritier", car il a succédé à son oncle, Anacleto, qui mourut en 2007 alors que le magazine Forbes s'apprêtait à le classer homme le plus riche d'Amérique du Sud. Les deux entreprises de pêche d'Angelini détiennent 29,3 % du quota de chinchards fixé par le gouvernement chilien. Elles assurent 5,5 % de la production mondiale de farine de poisson.

Un rapport officiel indique qu'environ 70 % des chinchards pêchés entre 1998 et 2011 dans le fief septentrional d'Angelini étaient inférieurs à la taille autorisée. Si l'on s'en tenait à la loi, la moitié de ces prises devraient être considérées comme illégales. Mais les responsables gouvernementaux affirment que les prises opérées dans ce secteur nord appartiennent à une catégorie spéciale relevant de la "recherche", et qu'à ce titre elles ne sont pas soumises à une taille réglementée. Angelini s'est refusé à tout commentaire à ce sujet.
LE DOCTEUR EDUARDO TARIFEÑO PROFESSEUR ASSOCIÉ ET BIOLOGISTE MARIN DE L'UNIVERSITÉ DU CHILI, 1969. PHD,  DOCTEUR EN BIOLOGIE DE L'UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE,  U.S.A. 1980
A l'université de Concepcion, le ton habituellement calme du biologiste marin Eduardo Tarifeño se durcit lorsqu'il aborde la question du pillage des océans. D'après lui, la sardine est le seul poisson qui subsiste en relative abondance au Chili. "Il n'y a plus ni chinchard, ni colin, ni anchois péruvien. Les pêcheries qui produisaient 1 million de tonnes ou plus chaque année ont été tout simplement épuisées par la surpêche des grandes compagnies." Tarifeño est l'un des deux seuls scientifiques siégeant au Conseil national chilien des pêcheries (CNP), mis en place pour recommander des quotas. Les votes se font à la majorité, et 60 % des membres sont des industriels de la pêche.

Selon Oceana, organisme à but non lucratif qui milite pour la protection des océans et qui a étudié les chiffres non publiés des quotas, l'Institut de promotion des pêches (IFOP), un organisme officiel de recherche, a demandé en 2009 une forte réduction des prises, à 750 000 tonnes. Le sous-secrétariat aux pêcheries (Subpesca), qui dépend du ministère de l'économie chilien, a porté ce chiffre à 1,4 million de tonnes, et le CNP a donné son accord. La nouvelle loi sur les pêcheries qui devrait être adoptée cette année transférera le rôle du CNP à un groupe d'experts cooptés.

Mais, d'après Tarifeño, on a tellement tardé que seules des mesures radicales pourraient enrayer le déclin irrémédiable des stocks. "Si nous ne sauvons pas le chinchard aujourd'hui, a-t-il déclaré à l'ICIJ, nous ne pourrons plus jamais le faire. La seule solution est une interdiction totale de la pêche pendant au moins cinq ans."

ÍTALO CAMPODÓNICO, CHEF DE LA DIVISION DE PÊCHERIE DU SOUS-SECRÉTARIAT DE PÊCHE
Au secrétariat des pêcheries de Valparaiso, Italo Campodonico s'avoue partagé sur la question. "En tant que biologiste halieute, je ne peux qu'être d'accord, dit-il. On devrait en effet décréter une interdiction de cinq ans. Mais en tant que fonctionnaire, je dois être réaliste. Pour des raisons économiques et sociales, cela n'arrivera pas. Les étrangers peuvent aller pêcher ailleurs. Pour nous, c'est impossible."