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vendredi 3 juillet 2009

Un coup d’Etat qui ne veut pas dire son nom

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Photo Associated Press
Dimanche 28 juin au petit matin, des soldats ont encerclé la maison du président Manuel Zelaya, l’ont mis en joue et lui ont demandé pourquoi il n’avait pas obéi aux ordres du général Romeo Vásquez [que le président avait tenté de destituer le 24 juin, destitution refusée par la Cour suprême]. Et, comme le chef de l’Etat pensait que c’était plutôt à lui de donner des ordres à ses subordonnés que le contraire, on l’a invité à quitter le palais présidentiel. Emmené en voiture, puis en avion militaire, on l’a conduit en pyjama jusqu’au Costa Rica.

Simultanément, tous les médias du pays ont été placés sous contrôle et invités par la force à ne pas diffuser d’informations qui ne seraient pas passées au crible de l’appareil démocratique à l’œuvre dans le pays. C’est tout juste [l’électricité avait été coupée un moment et les signaux de télévision brouillés] si nous avons pu entendre les déclarations du président déchu à son arrivée au Costa Rica et les nouvelles transmises “illégalement” par quelques journalistes et une poignée de Honduriens s’exprimant par voie électronique.

Selon l’armée du Honduras, il s’agissait de défendre la légalité et la Constitution [le président Zelaya souhaitait faire approuver une réforme constitutionnelle par référendum contre l’avis de l’opposition, de l’armée et de la Cour suprême]. Les militaires se sont justifiés en invoquant les ordres qu’ils avaient reçus de la Cour suprême. Et si la Constitution du Honduras ne prévoit pas ce type de mécanisme pour se débarrasser de l’autorité d’un président élu légalement et légitime dans sa fonction, peu importe, il fallait trouver une excuse à deux sous. Ces déclarations ne font que souligner que le Honduras vient de connaître un coup d’Etat en bonne et due forme. Au nom de la “légalité”, militaires et magistrats ont traité la Constitution par-dessus la jambe.

Un acte criminel soutenu par le pouvoir judiciaire

Par le passé, ces manœuvres de gorilles étaient menées par de hauts responsables militaires, mais voilà qu’aujourd’hui ces actes criminels sont soutenus, favorisés et justifiés par le pouvoir judiciaire d’un pays. La complicité du Parlement hondurien confirme ce virage. On ne respecte la loi que lorsqu’elle sert les intérêts des franges les plus puissantes d’une société. Tout pays convenable et démocratique est doté d’une Constitution qui prévoit la destitution de son président. Mais ce mécanisme est régi par des conditions précises qui en garantissent la validité. Il n’est aucune Constitution démocratique, que je sache, qui prévoit que le président peut être arrêté par l’armée, retenu en otage et expulsé de son propre pays. Moins encore au nom de la légalité. Moins encore sur ordre d’une petite coterie de juges. Moins encore avec la complicité d’un chef du Parlement qui, comme par hasard, est l’adversaire politique du chef de l’Etat.

Voilà qui démontre à quel point la culture du coup d’Etat reste ancrée dans les classes dirigeantes du Honduras. Et pas seulement de ce pays. Nous devons rester vigilants face à ces serpents de mer de l’histoire de l’Amérique latine. Défendre aujourd’hui le président Zelaya ne revient pas à défendre sa politique et encore moins sa personnalité. Le défendre aujourd’hui, y compris contre les institutions (confisquées) du Honduras, c’est défendre la démocratie et tout Etat de droit, partout dans le monde, fondé sur le respect des lois et de la Constitution quand bien même certains intérêts seraient mis à mal. Car en démocratie, on ne change pas les lois et la Constitution en les faisant voler en éclats, mais en les modifiant. Et c’est précisément ce qu’entendait faire ce président chassé. Le Honduras se débat aujourd’hui face au grand défi latino-américain : s’engager sur la voie du changement politique, quel qu’il soit, pour l’égalité et la liberté, pour l’indépendance et la dignité, ou bien retourner au temps où nos pays étaient présentés comme des republiquetas [semi-républiques], des républiques bananières.


*Jorge Mafjud est un écrivain uruguayen, professeur à la faculté de sciences humaines de la Lincoln University (Pennsylvanie).