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samedi 14 août 2010

CHILI : ISABEL ALLENDE, CANDIDATE DÉNIGRÉE AU PRIX DE LITTÉRATURE

À la fin du mois d’août, tous les deux ans depuis 1972, le Prix national chilien de littérature est remis à un auteur « qui a donné sa vie entière à l’exercice des Lettres ». La candidature, cette année, d’Isabel Allende, fille du cousin de l’ancien Président Salvador Allende, suscite la controverse dans le pays.
La candidature de l’écrivaine chilienne ne passe pas inaperçue, tout d’abord parce qu’elle a reçu une cinquantaine de prix internationaux et figure parmi les auteurs les plus lus du continent sud-américain.

Ses livres ont été traduits dans plus de 24 langues et ont été vendus à près de 51 millions d’exemplaires. Sans compter les centaines de versions pirates qui se vendent peu cher sur les étals des marchés et touchent, de fait, un lectorat sans le sou, qui a difficilement accès aux livres -chers au Chili. Ses textes sont aussi systématiquement étudiés à l’école chilienne, et dans le monde entier.

En faisant acte de candidature, la cousine issue de germain du Président Salvador Allende -le père d’Isabel, diplomate, en était le cousin- s’est attirée les foudres de ses détracteurs, qui depuis se déchaînent par médias interposés et via Facebook contre ses (plus) nombreux admirateurs.

Ceux qui ne veulent pas qu’elle reçoive le Prix national de littérature -qui s’accompagne du versement d’une pension à vie- usent d’un langage extrêmement méprisant à son égard ; les mots étant spécifiquement choisis pour la blesser. Pourquoi ?

L’œuvre d’Allende « trop divertissante pour être littéraire »

Elle ne « mérite pas le Prix », décrète la Société des écrivains chiliens (Sech, créée en 1932) parce qu’elle est un « un écrivain mineur » -sympa pour ceux qui, dans le monde entier, avalent goulûment ses livres et sont du même coup traités d’« incultes »-, et que « ses livres sont des best-sellers » -sous-entendu : « Elle s’est vendue au marché, ce n’est pas bien ! »

Ses livres sont classés « trop divertissants pour être littéraires », ils « poussent le lecteur à s’évader et ne l’amènent pas à apprendre des valeurs qui fondent une société en devenir [comme la société chilienne, ndlr] ».

Le critique littéraire Andres Aguirre a résumé :
« Si on veut donner le Prix à la vente massive et à la culture populaire... Allende. Mais si on veut primer l’apport littéraire et la création, le Prix devrait aller ailleurs... » 
Plus vulgaire, Alvaro Matus, qui travaille dans les pages culture du journal La Tercera, écrit que « remettre le Prix national à Allende, reviendrait à primer les hamburger de Mc Donald lors d’un salon de gastronomie. »
L’agressivité gratuite a même traversé les frontières, puisque le Péruvien Gustavo Faveron soutient :
« Donner le Prix à Allende pour son succès commercial sans prendre en considération le contenu de ses livres -la poubelle de Garcia Marquez lue avec les lunettes de Corin Tellado [l’auteure la plus célèbre de la littérature espagnole avec 4 000 titres et 400 millions d’exemplaires vendus, ndlr]-, c’est transformer le Prix [...] en une récompense à l’exportation. C’est déclarer [...] que la littérature est une pure marchandise et que sa valeur est simplement monétaire. »
« Au nom des femmes simples de ce Chili qui est le nôtre »
« La haine vient des envieux, d’un complexe d’infériorité qui les rend amers », répondent les défenseurs d’Isabel Allende, tranchant avec l’agressivité de ses détracteurs. De la jalousie, face au succès national et international d’Isabel Allende. La journaliste Ximena Torres, écrit dans Terra :
« On aimerait que nos footballeurs gagnent la Coupe et on ne supporte pas qu’Isabel Allende soit si connue dans le monde littéraire, comme l’est Ronaldo dans le foot. »
Delia Vergara, qui fut sa rédactrice en chef à Paula (revue féminine) dans les années 70, appuie Isabel Allende d’un ton complice :

« Je suis une grande lectrice et je ne supporte pas la mauvaise littérature. Et lorsque je commence ses livres, je ne peux plus m’arrêter de lire et chaque fois, je suis admirative, émue [...]. Ses livres autobiographiques me semblent remarquables, en raison de son honnêteté, et parce que de tout cœur, avec courage, elle transmet la douleur qui l’a souvent déchirée. Pourtant, dans chacun de ses livres, on trouve aussi son humour qui me fait rire aux éclats...»

Et puis, il y a cette lectrice. « Je suis de ces femmes qui lisent beaucoup moins qu’elles ne voudraient », écrit Iris Aceitón dans El Observatodo...

« Je suis l’héroïne courageuse, battante et imparfaite de chacun de tes romans. Je suis cette femme chilienne qui te remercie parce que tu as su raconter au monde ce qui déchire ta patrie... Isabel Allende, au nom des femmes simples de ce Chili qui est le nôtre, je te remets le Prix national de littérature. »

Un Prix littéraire machiste ? 

L’auteur de « La Maison des esprits », elle, explique qu’il s’agit pour elle d’un défi, mais qu’elle n’en a nullement besoin. Elle dénonce par ailleurs le caractère machiste du Prix qui n’a été remis que trois fois à des femmes depuis son existence (Gabriela Mistral en 1951, six années après avoir reçu le prix Nobel, Marta Brunet en 1961 et Marcela Paz en 1982) et qu’aucun écrivain indigène, aucun Mapu Che, ne l’a jamais reçu non plus.

Alors que des écrivains autochtones tels que Elicura Chihuailaf, Graciela Huinao, Rosendo Huenumán ou Leonel Lienlaf, sont extrêmement appréciés hors des frontières.

Même si les raisons invoquées par les ennemis d’Isabel Allende sont « artistiques », il semble que son soutien, l’an dernier, à la candidature d’Eduardo Frei lors de l’élection présidentielle, n’a pas du tout plu à certains de ses confrères.

Et elle ne s’est pas fait d’amis non plus en déclarant, dans une interview donnée à la revue Ya (distribuée les mardis avec le quotidien El Mercurio), « avoir confiance... que le gouvernement de Piñera [actuel Président du Chili, ndlr] sera un bon gouvernement ».

Le Prix national de littérature est une reconnaissance de l’Etat chilien. Ceux qui en choisissent le gagnant sont :

  • le ministre de l’Education,
  • le recteur de l’université du Chili,
  • un représentant du conseil des recteurs,
  • un représentant de l’Académie chilienne de la langue,
  • l’écrivain primé il y a deux ans,
  • et, sans doute à partir de cette année, un ou deux membres de la Société des écrivains chiliens (Sech).
  • Ensemble, ils élisent le président du jury qui est généralement le ministre d’Education. En cas de désaccord, c’est lui qui a le dernier mot.
Au vu de ces caractéristiques, peut-on encore dire que le Prix répond à des critères « purement » littéraires ?