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mardi 6 mai 2014

PALÉONTOLOGIE : SUR LA TERRE DES DINOSAURES

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DESSIN DE PATRICIO OTNIEL PARU DANS QUÉ PASA, SANTIAGO.

PELAGORNIS CHILENSIS
Il porte un tee-shirt frappé d’un tyrannosaure, et, dans son petit bureau, il est entouré d’os de dinosaures, d’excréments fossilisés de dinosaures, de figurines en plastique de dinosaures. Il ouvre une vitrine et montre ses plus fameuses découvertes. Il est le premier scientifique, en 2011, à avoir mis la main sur un dinosaure chilien, l’Atacamatitan chilensis, trouvé dans le désert d’Atacama. Un an auparavant, il s’était taillé une réputation internationale avec le Pelagornis chilensis, l’un des plus grands oiseaux préhistoriques connus, découvert à Bahía Inglesa par des pilleurs de fossiles et qu’il a retrouvé à l’issue d’une enquête de plusieurs années. 


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Rêve de gosses. Il saisit l’énorme bec préhistorique et le montre avec une fierté d’enfant. Cette même fierté qu’il ressentait autrefois quand il montrait ses livres de dinosaures à Alexander Vargas, devenu son collègue paléontologue de l’université du Chili. Mais ils étaient alors enfants, ils avaient 11 ans et appartenaient au club d’amateurs de paléontologie du parc O’Higgins [à Santiago]. C’est là qu’ils se sont connus. Ensemble, ils partaient chercher des fossiles au Cajón del Maipo [canyon andin situé au sud-est du grand Santiago] ou regardaient des films de dinosaures. Même s’ils en rêvaient, ils ne s’imaginaient pas que trente ans plus tard ils dirigeraient, avec Marcelo Leppe, un groupe de paléontologues qui allaient refonder la discipline au Chili.

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Ni qu’à partir de février 2014 ils feraient découverte sur découverte. David Rubilar assure qu’il savait ce qu’il voulait faire dans la vie depuis qu’à l’âge de 4 ans il avait vu un documentaire sur la préhistoire. Il se dirige vers une cave pleine d’os, où se trouve la dernière trouvaille du groupe, annoncée dans le Journal of Vertebrate Paleontology: l’Aristonectes quiriquinensis, une nouvelle espèce de plésiosaure trouvée dans la région du Maule [dans le centre du pays]. 
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CLAUDE GAY
C’est un reptile marin de neuf mètres, qui longeait les côtes chiliennes vers la fin du crétacé, il y a environ soixante-dix millions d’années. L’histoire commence en 2011, quand David Rubilar, alors collaborateur du musée, voit arriver le crâne de cet animal, découvert dans la vallée de Colchagua. Il était trop plat et trop grand pour appartenir à une espèce connue. Cent cinquante ans plus tôt, Claudio Gay, fondateur du MNHN, avait décrit des vertèbres qui évoquaient un nouveau plésiosaure, mais depuis lors cet animal était resté un mystère. 

Puis en 2008, quand la mer a restitué le reste du squelette, les chercheurs ont commencé à comprendre ce qu’ils avaient entre les mains. C’est là qu’est entré en action Rodrigo Otero, 37 ans, spécialiste des reptiles marins au sein du groupe. Avec l’aide d’un étudiant, Sergio Soto, il a passé cinq ans à nettoyer les restes et à en étudier des centaines d’autres dans le monde entier. 


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TRACES DE DINOSAURES AU CHILI 

La découverte, en 2012, d’un spécimen jeune, aux mêmes caractéristiques mais dépourvu de crâne, conservé pendant cinquante ans dans les réserves du musée, a permis de compléter le puzzle. Les deux hommes n’avaient plus aucun doute : il s’agissait d’une nouvelle espèce. « L’improbable s’est produit : le squelette de 2012 appartenait exactement à la même espèce que cet animal dont nous avions le crâne », raconte Rodrigo Otero. Pour David Rubilar, cette découverte revêt une importance capitale. 


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Quand Alexander Vargas et lui ont commencé à promouvoir la paléontologie des vertébrés, la discipline était balbutiante au Chili. Avant les années 1970, certains paléontologues étrangers avaient bien fait des découvertes [au Chili], mais la recherche des invertébrés avait vite pris le dessus. Elle était jugée plus utile, car elle permettait accessoirement de détecter des minerais à valeur commerciale [présents à proximité des fossiles]. Longtemps, ajoute David Rubilar, on a cru que le Chili ne recelait pas de fossiles de dinosaures, et ceux qui en recherchaient passaient pour fous. 



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Ce qui manquait réellement au Chili, rectifie-t-il, c’était des paléontologues de vertébrés. Le plésiosaure chilien présente des caractéristiques évolutives spécifiques, ce qui conforte le chercheur dans l’idée que le Chili va devenir un nouveau centre paléontologique mondial. « Le Chili est un pays privilégié, assure-t-il. Il s’agit d’une île [entre l’océan Pacifique et les Andes], et c’est pourquoi je crois qu’il a hébergé des dinosaures différents, avec une évolution différente. Nous pouvons réécrire l’histoire des dinosaures. » 

Marée rouge. L’homme sait de quoi il parle, et il n’a pas encore abattu tout son jeu. Il y a deux ans, le groupe a découvert dans les caves du musée un fossile d’un silésaure chilien, un ancêtre des dinosaures qui a vécu il y a deux cent trente millions d’années. Les réserves contiennent également les restes d’un nouveau titanosaure, qui n’a encore fait l’objet d’aucun article scientifique, et d’autres plésiosaures, recueillis lors d’une expédition en Antarctique en 2011. 

Et, depuis le début du mois de mars, ils ont quelque chose de plus : une énorme réserve d’os de dinosaures encore inexplorée au nord de Magallanes [la région la plus méridionale du Chili]. La plus grande qu’ils aient jamais vue. Les membres du groupe pensent que ce site produira des résultats d’une portée mondiale. 

Mais, une semaine avant qu’ils aient communiqué sur ce nouveau « gisement », une autre de leurs découvertes a fait le tour du monde. Dans le cadre d’un projet dirigé par la paléontologue Carolina Gutstein, la femme de David Rubilar, et par l’Américain Nicholas Pyenson, on apprenait l’existence, près de Bahía Inglesa, de 40 squelettes de cétacés préhistoriques, majoritairement des baleines, ayant entre cinq et douze millions d’années. L’échantillon, mis au jour après deux ans de fouilles, est le plus important pour ce type d’animaux. “On n’avait jamais rien trouvé de semblable dans le monde, assure Carolina Gutstein. Nous avons là un grand échantillon d’individus qui sont morts au même moment. Et d’une même cause : une prolifération d’algues toxiques. C’est peut-être le premier témoignage d’une marée rouge à cette époque.” 
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Aujourd’hui, avec les autres membres du groupe, Carolina Gutstein participe au projet Milenio – un fonds public d’environ 180 millions de pesos par an [230 000 euros] –, destiné à créer un réseau pluridisciplinaire qui étudiera le nouveau site de Magallanes, celui de Bahía Inglesa – « la pierre de Rosette des mammifères » – et d’autres à Coyhaique, Atacama et Torres del Paine. Mais ils savent que ce n’est pas facile. La paléontologie des vertébrés reste mal considérée, certains doutant de son utilité. Jusqu’à présent, ils ont pu utiliser un fonds que National Geographic a octroyé à Carolina, un ou deux fonds d’Etat “Anneau Antarctique” remportés par Marcelo Leppe et un autre obtenu par Alexander Vargas à l’université du Chili, et ont mis à contribution une première génération d’étudiants. “En définitive, le plus important, c’est de faire école, estime David Rubilar. Nous allons laisser des témoignages aux paléontologues de demain.” 

Comme l’oiseau. Comprendre que les dinosaures étaient plus proches des oiseaux que des reptiles, que c’étaient des animaux à sang chaud, a changé sa manière de voir les choses. Mais son vieil ami Vargas est allé plus loin. Etant donné le piétinement de la paléontologie des vertébrés au Chili à l’aube du XXIe siècle, il s’est fait l’initiateur d’un tout nouvel axe de recherche : étudier les dinosaures à travers les gènes anciens encore présents dans les embryons d’oiseaux et en modifier la structure moléculaire afin que les volatiles embryonnaires retrouvent des caractéristiques de leurs ancêtres. C’est-à-dire créer des oiseaux ayant des membres de dinosaures. “Quand un embryon d’oiseau se développe, il garde de nombreux traits des dinosaures, explique Alexander Vargas. 

Gisements de fossiles de dinosaures au ChiliLe squelette passe par une étape où il ressemble à celui d’un tyrannosaure, puis il se modifie pour devenir un oiseau. Or on peut empêcher cette évolution. L’étude de ces ‘dinosaures’ vivants est une vraie mine d’or.” Sur une paillasse sont alignées plusieurs centaines de petits flacons contenant des embryons, dont certains ont été modifiés pour présenter des caractéristiques de dinosaures au terme de leur croissance. Et ils ressemblent vraiment à leurs ancêtres. Le chercheur a obtenu plusieurs mutations : des oiseaux au doigt “percheur” – celui qui attrape la branche – ressemblant à celui de ses ancêtres ; d’autres à deux doigts, comme les tyrannosaures ; d’autres encore avec le péroné robuste des dinosaures. De telles modifications lui permettent de répondre à la question qui obsède également David Rubilar : comment ont évolué les dinosaures ? L’un le fait en recherchant des os, l’autre en les modifiant. Le rêve d’Alexander Vargas est de créer un mégaprojet qui permette d’associer ces deux axes de recherche. 

Pour cela, dit-il, le Chili va devoir prendre au sérieux son potentiel paléontologique. «  Il nous faut de grands projets, nous devons pouvoir louer des machines, des hélicoptères, souligne-t-il. Avec nos découvertes, nous avons déjà fait faire un bond à la paléontologie au Chili. Nous formons des gens, nous transformons la culture scientifique, mais nous sommes à la peine. Tout pourrait s’effondrer au bout de deux ans si nous n’obtenons pas de financement. Il faut sortir de l’indigence. » Si c’est le cas, si tout s’effondre, Alexander Vargas assure que les scientifiques continueront pour leur propre compte. Comme quand ils étaient enfants au parc O’Higgins. Comme ils l’ont toujours fait. 

Nicolás Alonso