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LA DÉCOUVERTE DE LA SUPERNOVA LA PLUS LUMINEUSE DE L’UNIVERS. PHOTO SCIENCE |
Tout au long de l’histoire humaine, on trouve des signalements d’apparitions soudaines d’astres extrêmement lumineux sur la voûte céleste. Les comptes-rendus les plus complets soulignent que leur éclat décroît durant plusieurs mois ou années jusqu’à devenir imperceptible. Ainsi, l’une des supernovae les plus célèbres, apparue dans la constellation du Taureau en juillet 1054, a été observée à l’œil nu en Chine jusqu’en avril 1056. Aujourd’hui encore, il suffit d’un petit télescope d’amateur pour distinguer la tache floue du nuage de débris en expansion engendré par l’explosion de 1054, la nébuleuse du Crabe. À l’échelle temporelle humaine, les supernovae restent des phénomènes relativement rares dans notre galaxie, mais les astronomes disposent d’instruments leur permettant de scruter d’innombrables galaxies et les catalogues de supernovae ne cessent donc de s’étoffer. Différents types de supernovae ont été identifiés et l’on utilise leurs propriétés spécifiques pour déterminer la distance de leur galaxie hôte avec précision, voire pour tenter de mettre en évidence l’accélération de l’expansion de l’univers. Les supernovae sont donc des astres essentiels pour notre compréhension du cosmos et l’explication correcte de leur formation et de leur évolution est fondamentale.
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, un nouveau groupe de supernovae trouble les théoriciens. Ce sont des supernovae dites « super lumineuses », car elles sont jusqu’à cent fois plus lumineuses à leur pic que les supernovae ordinaires, et aucun des processus physiques connus à ce jour ne permet d’expliquer convenablement leur brillance hors du commun. Ces supernovae super lumineuses sont rares, sans doute mille fois plus rares que les supernovae ordinaires, et elles n’ont été découvertes que grâce à la mise en service de nouvelles générations de réseaux de télescopes automatiques qui moissonnent régulièrement des champs stellaires de plus en plus vastes, alors que la recherche des supernovae concernait plutôt auparavant des zones choisies pour leur richesse en galaxies et n'était pas aussi systématique. Avec la découverte des premières supernovae super lumineuses les chercheurs ont pensé que l’éclat d’une supernova ordinaire pouvait être amplifié par la présence d’un magnétar. Ce corps extrêmement rare de quelques kilomètres de diamètre seulement est le résidu hyperdense de la contraction du cœur de l’étoile. Il est composé de neutrons pressés les uns contre les autres, tourne très vite sur lui-même – jusqu’à mille fois par seconde – possède un champ magnétique d’une puissance colossale et peut engendrer un rayonnement hautement énergétique capable de chauffer intensément le gaz en expansion suite à l’explosion, augmentant ainsi vivement sa luminosité. Mais ce processus extrême, qui pourrait expliquer l’éclat exceptionnel de certaines des supernovae super lumineuses les moins intenses, ne pourrait vraisemblablement pas donner naissance à une supernova comme ASASSN-15lh qui est près de deux fois plus lumineuse que la plus éclatante des supernovae super lumineuses cataloguées à ce jour. Dans la revue Nature, Edo Berger, chercheur à l’université d’Harvard, suggère même que ASASSN-15lh pourrait bien ne pas être une supernova, mais plutôt l’éclat engendré par le déchirement gravitationnel d’une étoile chutant vers un trou noir supermassif. Le débat est ouvert et le plus important est donc d’accumuler le maximum d’observations qui pourront nourrir la réflexion des théoriciens.
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Au premier plan, deux des quatre instruments du All Sky Automated Survey for SuperNovae installés à l’observatoire de Cerro Tololo au Chili avec lesquels a été découverte la supernova ASASSN-15lh le 14 juin 2015. Il s’agit de caméras CCD équipées de téléobjectifs de 400 millimètres de focale capables de photographier rapidement de vastes champs stellaires jusqu’à la dix-septième magnitude.
Crédits : Wayne Rosing/ASAS-SN
C’est ce à quoi se sont employés ces derniers mois l’astronome chinois Suba Dong (Institut Kavli pour l’astronomie et l’astrophysique, université de Pékin) et ses collègues de la All-Sky Automated Survey for SuperNovae qui ont découvert ASASSN-15lh le 14 juin dernier. Au fil des semaines, ils ont obtenu des observations dans différentes longueurs d’ondes et des spectres pris avec de nombreux instruments terrestres et spatiaux. Ils publient aujourd’hui dans la revue Science les résultats de leurs investigations. La All-Sky Automated Survey for SuperNovae (ASAS-SN) est un réseau de petits instruments en cours de déploiement depuis 2013 avec, pour l’heure, un site opérationnel à Hawaii et un autre au Chili. Outre ces deux sites, ce réseau présente la particularité de réunir des astronomes amateurs dispersés sur la planète qui peuvent confirmer rapidement les découvertes. Les instruments utilisés sont des caméras CCD équipées de téléobjectifs de 400 millimètres de focale qui enregistrent rapidement de larges champs jusqu’à la dix-septième magnitude et captent donc la lumière d’astres plus de 25 000 fois moins lumineux que les plus faibles étoiles visibles à l’œil nu dans un ciel noir parfait. Collecter des images le plus régulièrement et rapidement possible n’est qu’une partie de l’activité de ASAS-SN. L’essentiel du travail préliminaire a consisté à automatiser la recherche des phénomènes transitoires comme les supernovae dans ce flux d'images. Pour cela, l’équipe de ASAS-SN a développé avec l’aide du Los Alamos National Laboratory un logiciel capable d’analyser les photographies, de les comparer avec celles déjà obtenues et de signaler les éventuels éléments nouveaux. Leur programme ne se contente pas de révéler chaque différence, il apprend à distinguer les défauts techniques des réels événements astronomiques et accroît ainsi peu à peu son efficacité. À terme, le réseau ASAS-SN devrait être capable de réaliser chaque nuit une surveillance automatique de l’ensemble de la voûte céleste accessible depuis chaque site, ce qui demande actuellement deux à trois nuits, et de multiplier au moins par dix le nombre d’objets détectés. Depuis juin 2013, l’équipe a déjà identifié 273 supernovae.
Détectée sur des images prises le 14 juin 2015 à l’observatoire de Cerro Tololo (Chili), ASASSN-15lh n’est donc pas simplement une supernova super lumineuse, elle est près de deux fois plus lumineuse que sa suivante immédiate dans ce groupe. À son pic d’éclat, ASASSN-15lh a été 570 milliards de fois plus lumineuse que le Soleil. Pour donner un ordre d’idée, cela signifie que l’explosion de cette unique étoile a été plus lumineuse que toutes les étoiles contenues dans une cinquantaine de belles galaxies comme la Voie lactée ! Si on aime jongler avec des chiffres impressionnants, on peut même calculer que le Soleil devrait briller durant 90 milliards d’années à son niveau actuel pour atteindre la quantité d’énergie libérée par ASASSN-15lh lors de son explosion et des quatre mois qui ont suivi. Ce qui est naturellement impossible puisque notre étoile n’a plus « que » 5 ou 6 milliards d’années devant elle avant de disparaître, mais cela fixe le niveau de ce monstre stellaire.
asassn-15lh
Une image d’archive (à gauche) de la Digital Sky Survey montre ce qui semble bien être la galaxie hôte de ASASSN-15lh ; à droite, l’image de confirmation de la découverte prise le 16 juin 2015. Distante de près de 3 milliards d’années-lumière, une supernova aussi lumineuse que ASASSN-15lh n’apparaît en fait que comme un noircissement des pixels de la galaxie. Le cercle rouge à un diamètre apparent de 2 secondes d’arc sur les deux images.
Crédit : Astronomer’s Telegram/ASAS-SN
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ASASSN-15lh se situe dans le ciel austral, à la frontière des constellations du Toucan et du Paon, juste à l’emplacement d’une galaxie bien visible sur les images d’archive. Même si elle semble insignifiante sur les images de la découverte, cette galaxie est en fait plus grande et plus lumineuse que la Voie lactée. Des recherches ont révélé l’éclat de ASASSN-15lh dès le mois de mai et montré que son pic lumineux a dû être atteint vers le 5 juin avec une magnitude visible de 16,9. Quant aux observations de la galaxie hôte réalisées avec des instruments plus puissants dans les jours qui ont suivi, notamment avec le télescope SALT (South African Large Telescope) de 10 mètres de diamètre, elles ont permis de mesurer son décalage spectral (z = 0,2326) et d’estimer sa distance à près de 3 milliards d’années-lumière, ce n’est qu’alors que l’incroyable éclat intrinsèque de ASASSN-15lh a pu être confirmé. Il n’est pas exclu que ASASSN-15lh appartienne en fait à une galaxie naine trop peu lumineuse pour être visible et située exactement dans le même alignement devant l’autre galaxie. Suba Dong et ses collègues ont donc demandé du temps d’observation avec le télescope spatial Hubble pour lever ce doute et pour continuer d’accumuler des observations sur cet astre encore bien mystérieux.
Sources
ASASSN-15lh: A highly super-luminous supernova, par Subo Dong & al., Science.