________________________________________________________
MANUEL PELLEGRINI PHOTO GETTY IMAGES |
La dégaine d’Yves Duteil, avec quand même des petits airs d’Al Pacino dans Donnie Brasco. Dans la philosophie, un côté Marcelo Bielsa – seulement dans la doctrine –, l’ex-entraîneur argentin de l’Olympique de Marseille : le plus important, c’est le football, pas l’image. Or, un entraîneur, s’il veut désormais s’imposer dans un grand club type multinationale, doit savoir travailler sa com et la jouer fine en coulisses. Un job, en parallèle du vrai job, pour lequel Pellegrini est plutôt incompétent. Donc incomplet, donc remplacé par Pep Guardiola qui, lui, maîtrise toutes les facettes du métier. «Jamais une fuite dans la presse sur qui que ce soit, ni de magouilles», résume Javi Gómez, du quotidien espagnol El Mundo, à propos de l’entraîneur chilien. Il confirme donc ce qu’on lit dans les (rares) longues interviews accordées par Pellegrini : ce coach est aussi un gentleman et une sorte de gentil tonton.
José Mourinho le cartonne
En Espagne, il a entraîné trois clubs : Villarreal, le Real Madrid et Malaga. En 2006, il emmène le premier en demi-finale de la Ligue des champions. Si Juan Román Riquelme, son meneur de jeu génial, marque son penalty contre Arsenal, c’est la finale. Avec le troisième, il manque de récidiver en 2013. Les Andalous finissent par craquer dans les arrêts de jeu du match retour contre le Borussia Dortmund. La poisse ? Lui affirme que non. Dans une interview accordée à un canard chilien (traduite par So Foot en septembre), il dit : «Je ne crois pas en la malchance mais en la constance qui, bien souvent, n’est pas valorisée.» Et assure : «Ce que j’ai fait à Villarreal est bien plus fort qu’un titre de champion.»
Villarreal ? Malaga ? Du jeu avec beaucoup de mouvement et de petits gabarits, des buts, du plaisir. Des idées. Même la sélection espagnole, qui raflera tout de 2008 à 2012, s’en inspire. Avec le Real (2009-2010), il bat un record de points en championnat (96), mais finit vice-champion, derrière l’exceptionnel Barça de Pep Guardiola. En Coupe, il se fait sortir par un club de troisième division. En Ligue des champions, par Lyon en huitièmes de finale. Pellegrini n’aura pas de deuxième année pour essayer de faire mieux.
Un journaliste espagnol très au fait du «job en parallèle du vrai job» schématise : quand Florentino Pérez, le président du Real, sent que le coach n’a pas (plus) l’ascendant sur son vestiaire, il tranche toujours dans le vif. À son goût, Pellegrini ne le tenait pas. Ce n’est pas son point fort de gérer les egos, d’autant qu’il aurait tendance à fuir les conflits. Et José Mourinho, machine de guerre, était le fantasme de toutes les grandes multinationales. Le Chilien prend la porte.
Ce confrère remarque qu’il arrive souvent au président merengue de subtilement dézinguer ceux qu’il estime avoir échoué. Le petit crachat sur le cadavre. Il n’a rien balancé sur celui de Manuel Pellegrini. Ce dernier est tellement droit qu’il n’a pas osé. Pour ce genre de molard, il faut au moins s’appeler Mourinho, qui à son arrivée, lance : «Si le Real se débarrasse de moi, je n’irai pas entraîner Malaga. J’irai dans un grand club en Premier League ou en Serie A. Parce que je suis dans une situation où je peux choisir. Il y en a qui ne peuvent pas choisir.» En prime, il le surnomme «Pellegrino». Et le taquine désormais quand l’envie l’en prend.
Cours de chant
Manuel Pellegrini, 62 ans, est issu d’une famille de la haute. Son surnom est «l’Ingénieur», parce qu’il a fait des études et brièvement bossé dans le domaine. Il n’a joué que dans un club : l’Universidad, en division 1 chilienne. Il se décrit lui-même comme un défenseur teigneux. Nerveux. La petite histoire raconte qu’il avait promis de raccrocher le jour où il se ferait malmener dans le jeu aérien, son point fort. Iván Zamorano, un gamin, le torture. Il raccroche à 34 ans, en 1986, sans pouvoir deviner que ce gamin signerait quelques années plus tard au Real Madrid et à l’Inter Milan et qu’il serait surnommé «l’Hélicoptère», pour son jeu de tête hors du commun.
Pour devenir coach, Pellegrini dit qu’il a travaillé sur lui-même, par peur de ne rien pouvoir transmettre en la jouant brute épaisse. Sur le banc, il a d’abord gagné en Amérique du Sud, et signale qu’après avoir entraîné en Argentine, la pression devient relative en Europe. C’est un type calme, effacé par moments, qui assure ne pas être fier de gueuler de temps à autre sur les arbitres.
Il rassure son défenseur argentin Pablo Zabaleta, alors jeune papa, quand il l’écarte momentanément de l’équipe. En mode «certes je te mets de côté pour un temps car tu n’es pas concentré à 100%, mais avoir un enfant est la plus belle chose au monde». À Villarreal, il prend des cours de chant pour travailler sa voix, estimant qu’elle fait partie intégrante de son boulot. Là-bas, dans un tout autre registre, il mangeait quasiment tous les jours dans le même resto italien, à la même table.
Cette saison, son City, avec qui il a remporté un championnat (2014) et deux coupes nationales (2014, 2016), est décevant. Aussi bien dans la manière – laborieux, prévisible –, que dans les résultats – quatrième de Premier League à deux points du podium. Depuis des mois, les Citizens se font logiquement plier par les gros et se vengent tant bien que mal sur les petits.
Il y a bien ce quart de finale historique ce mardi soir, mais quelque chose ne fonctionne pas. À commencer par la défense, qui lorsqu’elle est privée du Belge Vincent Kompany (ce sera le cas contre le Paris-SG), fait plein de choses ridicules. Exemple le plus récent, le but gag encaissé mercredi dernier à Paris.
Syndrome Premier League
En Europe, même dynamique : quand il a croisé la route de la Juventus en phase de poules, le seul gros bras avant de jouer Paris, il s’est incliné deux fois. En fait, City n’a jamais impressionné personne en Ligue des champions, même avec le Chilien. Explication la plus convenue : les Citizens, nouveaux riches, sont encore des bleus à l’échelle du continent. De surcroît, ils se sont heurtés ces deux dernières années au monstre barcelonais en huitièmes de finale. D’où la réflexion logique à l’échelle d’un proprio emirati milliardaire : on peut certainement aller encore plus vite en ramenant un bonhomme qui a largement contribué à rendre ce monstre catalan boulimique. Guardiola.
Flash-back en janvier 2014, quelques mois après l’arrivée du Chilien en Angleterre. Au sortir d’une volée infligée par les hommes de Pellegrini à son équipe (1-5), l’entraîneur de Tottenham s’enflamme : City joue le meilleur football du monde. Pellegrini la joue modeste, mais tout n’est pas qu’affabulation. À cet instant de la saison (23e journée de championnat), les Citizens ont déjà dépassé la barre des 100 buts toutes compétitions confondues. Un record.
Sur le contraste entre les deux périodes, les Cahiers du foot développaient une intéressante théorie il y a un an, partant du postulat suivant : le championnat anglais n’a jamais été aussi ouvert. Tout pour l’attaque, quoiqu’il en coûte. Du coup, ça dérègle tout. Même les plans d’un excellent technicien comme Manuel Pellegrini, qui finit par subir le syndrome Premier League et se faire embarquer. En Europe, le contrecoup : à force de jouer comme des dingues, les clubs anglais perdent le sens commun contre des adversaires plus rationnels.
Sinon, Pellegrini a attendu très longtemps pour répondre à José Mourinho. À la fin, ça donne des coups de pression de garçon qui ne veut pas se battre à la récré. «Quand il gagne, Mourinho veut s’attribuer le mérite de tout. Moi, je ne fais jamais ça. Quand j’ai gagné la Premier League, je n’ai pas dit un mot.»