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jeudi 23 juillet 2009

Real Madrid : Pellegrini l’Ingénieur

Les grands joueurs ne font pas toujours de bons entraîneurs. Ça tombe plutôt bien, Manuel Pellegrini n’a jamais été un très bon footballeur. Joueur de club par excellence, le Chilien a officié pendant quatorze longues années sous le même maillot, celui de l’Universidad de Chile. Surnommé le “patron” par ses anciens coéquipiers, l’ex défenseur central a ainsi enfilé 451 matchs pour un seul petit but.

A l’époque, son sang-froid est déjà sa plus grande qualité. Le bac à glace humain ficherait même les jetons à ses propres partenaires. Patricio Reyes, ancien buteur et équipier de Pellegrini à l’Universidade de Chile, se rappelle d’un type «hermétique», enfin presque… «Je me rappelle d’un jour où il m’a fait une passe décisive de la tête. D’habitude, il ne foulait jamais la surface adverse… Quand je suis allé célébrer le but avec lui, il avait des larmes de joie. En l’embrassant, je lui ai dit à l’oreille : “Manuel, tu es ému, tu vois, tu n’es pas un robot !” C’est la seule fois où j’ai vu l’émotion prendre le dessus sur lui !».

En vérité, un autre épisode marquera la carrière du Pellegrini joueur. En 1986, Universidad de Chile rencontre Sandino en Coupe du Chili. A quelques minutes de la fin du match, le gardien d’Universidade repousse mal la sphère. Pellegrini, seul dans la surface, pense avoir le temps de dégager tranquillement. Malheureusement, un jeune attaquant de 17 ans saute plus haut que lui et pousse le ballon dans les filets vides. Ce jeune inconnu s’appelle Ivan “l’Hélicoptère” Zamorano… Pellegrini est effondré et décide, de retour au vestiaire, d’officialiser sa retraite : « A l’époque, si j’avais su que Zamorano deviendrait l’un des meilleurs avant-centres du monde, j’aurais continué ma carrière encore un ou deux ans».

Universidad-Quito-San Lorenzo, l’apprentissage

En raccrochant les crampons, Pellegrini pense d’abord mettre ses études d’ingénierie civile à profit: «Pour moi, l’après-foot était déjà programmé : ce que je voulais vraiment, c’était ouvrir une entreprise de BTP, mais Fernando Riera (entraîneur de l’Universidade de Chile) a éveillé une vocation en moi». Idole des supporters de son club de cœur, le Chilien laisse donc tomber la truelle pour prendre les rênes de l’Universidad de Chile en 88.

Sa première expérience est pourtant catastrophique : le club descend en deuxième division pour la seule et unique fois de son histoire, sa maison est taguée, sa voiture brûlée et sa réputation réduite en cendres. Néanmoins, Pellegrini persévère et continue sa carrière dans des clubs modestes comme O’Higgins et Palestino (le club des immigrés palestiniens du Chili) avant de rejoindre le rival éternel de l’Universidad de Chile en 1994 : l’Universidad Catolica. Il remporte ses premiers trophées en tant qu’entraîneur, mais ne parvient pas à devenir champion du Chili. A son départ du club, le quotidien Deportivo titre d’ailleurs : «Bon débarras !». Nul n’est prophète en son pays…

Déçu par la versatilité des supporters et l’agressivité dont il est victime, Pellegrini s’exile de fait en Équateur, après un nouveau -court- passage chez les Palestinos. Avec Liga de Quito, il remporte le championnat et arrive à hisser ses ouailles jusqu’aux huitièmes de finale de la Libertadores, seulement éliminées par l’un des favoris de la compétition, River Plate. San Lorenzo est le premier club argentin à lui faire confiance. Surtout, Pellegrini y rencontre César Luis Menotti. C’est une véritable révélation : «Parler football avec lui, c’était merveilleux. Il m’a ouvert les yeux sur la profession et sur ma manière de voir le football : sans tricher et en jouant vers l’avant».

En 2001, San Lorenzo remporte logiquement le Clausura. Pellegrini devient alors officiellement “l’Ingénieur”. Avec River Plate, son premier grand club, il remporte de nouveau le championnat (avec Lucho Gonzalez et Federico Higuain, le frère de) et devient officiellement un coach bankable.

Chili con classe

En 2004, il débarque en Espagne dans l’anonymat le plus complet. Villarreal n’est pas encore le sous-marin jaune, et ne fait peur à personne. Le président du club attire donc un architecte pour donner du liant à sa belle matière première : sa colonie sud-américaine. Ça commence pourtant très mal. Villarreal ne prend que trois petits points sur ses cinq premiers matchs. La presse parle alors de la malédiction des coachs sud-américains en Europe et évoque déjà un licenciement imminent. Pellegrini ne s’affole pas pour autant. Le temps lui donnera finalement raison : « J’ai deux préceptes : jouer avec deux attaquants, et avoir un bloc-équipe tourné vers l’attaque. Le reste n’a vraiment aucune importance».

La réputation de Pellegrini grandit aussi vite que celle du club qu’il dirige. Villarreal entre dans la cour des grands, se qualifie deux fois pour la Champion’s League et finit même par être éliminé injustement en demi-finale contre Arsenal, la faute à un penalty raté de Riquelme. En cinq ans à peine, le classieux Chilien arrive donc à placer un ‘village’ de 25 000 âmes dans le gotha footballistique européen. Villarreal et son football tout en toque typiquement sud-américain est même considéré comme l’une des équipes les plus chatoyantes de la Liga. Ce n’est pas rien… Et malgré son air aristocratique et distant, Manu le malin est donc arrivé à définir un vrai style et à l’imposer à son équipe, autrefois habituée au ventre mou du championnat.

Pellegrini a pourtant dû gérer l’une des plus grosses problématiques de sa carrière sur la côte valenciane. Celle qui aurait pu lui fermer les portes des grands clubs. Lassé des caprices de la star Riquelme, il décide de l’écarter du groupe et de faire confiance à ce qu’il appelle ses “leaders positifs”, en l’occurrence, Senna, Pires, Venta et Arruabarrena. «Si les individualités se mettent au service de l’équipe, c’est parfait, mais si elles font passer leurs propres intérêts avant le collectif, elles n’ont plus lieu d’être». Les Galacticos sont prévenus…

Quelque part, l’arrivée de Pellegrini au Real Madrid n’est pas une surprise. Florentino Perez, très attaché aux apparences, fantasme sur les coachs étrangers aux cheveux poivre et sel, ou le symbole de la force tranquille. Une certaine idée de l’élégance: Wenger, Ancelotti, Rutger Hauer (l’entraîneur du Real Madrid fictif dans le navet, Goal 2)… Et donc “l’Ingénieur”. Pour le coup, le président d’ACS a visé juste. Pellegrini connaît la Liga comme sa poche. D’ailleurs, il est actuellement la personne qui a le plus d’expérience sur un banc de touche espagnol, seulement dépassé par Lotina (entraîneur du Depor). Mais, surtout, sa conception du football est en parfait accord avec la stratégie marketing mise en place pour le retour des Galacticos 2. « Le travail tactique se fait de la défense jusqu’au milieu de terrain, ensuite je veux que mes joueurs aient le plus de liberté possible. Le public va au stade pour voir des joueurs qui font des choses différentes avec le ballon. S’il n’y a pas de spectacle, à quoi bon ?», théorise-t-il.

Le casse-tête madrilène

Adepte de la technique plus que du physique, Pellegrini est donc surtout un coach qui met l’accent sur le travail avec le ballon. Spectacle oblige : « Je veux que mes joueurs travaillent avec la balle, pas contre elle. Il n’y a personne sur terre qui puisse supporter de courir derrière un ballon sans jamais pouvoir le toucher, c’est pourquoi j’organise toujours des séances d’entraînement où le ballon a le rôle principal, hormis une fois par mois, et encore, quand je ne suis pas d’humeur ! ».

Depuis son étape à Villarreal, le Chilien taciturne a également pris l’habitude de ponctuer chacune de ses séances d’entraînement par le même exercice : des confrontations sur un quart de terrain où chaque joueur rejoint le vestiaire uniquement après avoir piqué 20 sprints. En théorie, le pari proposé par Pellegrini semble donc prometteur. Reste à savoir comment aligner ses stars dans son classique 4-4-2 : «J’aime jouer avec deux milieux de terrain, l’un plus technique que l’autre, et occuper les côtés, mais pas toujours avec les mêmes joueurs. Sans roulements, mon système serait prévisible. Mais, surtout, j’adore jouer avec deux attaquants de pointe parce que je ne crois pas vraiment à ce qu’on appelle les 9 et demi. Je ne comprends vraiment pas à quoi ils servent».

Avec Kaka et Cristiano Ronaldo dans son effectif, il va pourtant bien devoir se pencher sur la question… Pour l’heure, Pellegrini nourrit un seul et unique regret depuis son arrivée dans la capitale espagnole : la plage. «J’adorais passer un peu de temps à lire, allongé sur la plage de Benicassim. C’est quelque chose qui va vraiment me manquer à Madrid. Depuis quelques mois, je m’étais même inscrit à des cours d’allemand et de peinture, histoire de décompresser un peu du football». Si Manuel recherchait un havre de paix en débarquant au Real, pour le coup, c’est raté…

Javier Prieto Santos