Sergio Larrain. Né en 1931 à Santiago, Chili. Décédé en 2012 à Tulahuén, Chili.Devenu photographe indépendant suite à un voyage familial en Europe et au Moyen-Orient, il effectue un séjour à Londres en 1958-1959 et, après sa rencontre avec René Burri et Henri Cartier-Bresson, intègre Magnum Photos en 1960. Il entreprend de nombreux reportages pour l’agence. De retour au Chili, Valparaiso, où il a déjà beaucoup photographié, fera l’objet de toute son attention. Il y produit avec le poète Pablo Neruda un essai photographique majeur, Valparaiso, publié trente ans plus tard à l’occasion de son exposition aux Rencontres d’Arles (1991). Après plusieurs expositions à travers le monde il demande, en 1999, de ne pas poursuivre la médiatisation de son œuvre Retiré depuis la fin des années 1970 dans sa maison de Tulahuén, au Chili, il y meurt le 7 février 2012.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
RÉGION DE LOS LAGOS, ÎLE DE CHILOÉ, CHILI. PHOTO SERGIO LARRAIN / MAGNUM PHOTOS |
LA PHOTOGRAPHIE, UNE ACTIVITÉ QUI TIENT DE LA MAGIE
Plusieurs courriers de Larrain, qui entretenait une correspondance suivie avec plusieurs photographes ou amis, sont reproduits dans le gros livre qui accompagne la rétrospective (ed. Xavier Barral) : on y trouve des lettres polycopiées, appels à pratiquer la méditation pour sauver la planète. ll envoie aussi des poèmes épistolaires, sortes de haïkus illustrés qui mélangent dessins, photos, maximes. Quand il transmet des négatifs ou des planches contact à Agnès Sire, c'est avec l'instruction expresse de ne jamais les montrer. Il parle aussi de sa vision de la photographie : une activité qui tient de la magie, du miracle, de l'inspiration : « Une bonne photographie vient d'un état de grâce. La grâce vient lorsqu'on est libéré des conventions, des obligations, de la compétition : être libre comme un enfant dans ses premières découvertes de la réalité.» A son neveu, qui veut apprendre le métier, il donne des conseils de cadrage, mais recommande surtout : « Il faut aller là où tu le sens... peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions. Prends-les.»
La chance et les coïncidences ont marqué le parcours de Larrain. Ce fils de la haute bourgeoisie chilienne (son père est un architecte reconnu) rompt très jeune avec sa famille. Après des études aux Etats-Unis, il achète son premier Leica, et commence par photographier les gens les plus pauvres de Santiago : des enfants des rues qu'il prend le plus près possible, à même le caniveau, couchés sur le sol, sous les ponts. Il envoie quelques-unes de ses images au MoMa, où Edward Steichen lui achète des tirages : « Ce fut comme l'apparition de la Vierge Marie dans ma chambre» , affirmera Larrain à propos du conservateur américain. Ainsi commence une carrière de photographe au magazine O Cruzeiro, suivie d'expositions. Mais c'est son travail personnel sur la ville de Valparaiso, la « rose immonde» , qui l'obsède – il y retournera plusieurs fois.
Dans cette ville « sordide et romantique » lui apparaît, dit-il, sa « première photo magique» : une image aux accents surréalistes où deux petites filles étrangement semblables, comme en écho, descendent un escalier plongé dans le soleil. Cette image fera la couverture de son livre mythique, El Rectangula en la Mano (1963). A Valparaiso, à la manière d'un Brassaï, Sergio Larrain se mêle à la nuit : les bars interlopes pleins de fumée et de miroirs, les rues sombres, les marins et les prostituées à demi nues. Mais son style ensorcelant n'appartient qu'à lui : des jeux de lignes époustouflants pour l'époque, des cadrages virtuoses où il n'hésite pas à empiler les courbes et les droites, à inviter le noir, à couper des têtes, à multiplier les débordements, au point qu'on ne sait plus toujours quel est le sujet principal. Il a beau être photographe de rue, il ne jure que par les verticales. Et il en revient toujours à la terre : le pavé, la route, le ruisseau, le trottoir dévorent l'image, donnant à la réalité au-dessus un tour étrange et inquiétant.
Sergio Larrain, qui vénérait Henri Cartier-Bresson, a longtemps rêvé d'entrer à l'agence Magnum. Une rencontre fortuite sur la plage de Copacabana, à Rio, en 1958, lui en donne l'occasion : il tombe sur le Suisse René Burri, membre de l'agence, futur grand ami. Ce dernier lui donne ses rouleaux de pellicule à rapporter à Paris – un prétexte idéal pour rencontrer le maître. Henri Cartier-Bresson à son tour va tomber sous le charme, et Sergio Larrain devient le premier membre sud-américain de l'agence.
« SERGIO LARRAIN VOULAIT CHANGER LE MONDE»
Malgré de nombreux voyages, et un succès lié à un reportage clandestin dans la mafia sicilienne, où il se fait passer pour un touriste, cette association tournera court. Comment Sergio Larrain aurait-il pu concilier sa vision magique de la photographie, sa recherche perpétuelle d'une paix intérieure, avec les commandes très encadrées du photojournalisme et la violence de l'actualité ? Depuis les années 1950, le mystique mène une quête de lui-même qui passe par des moyens extrêmes : les psychotropes, la psychanalyse, la spiritualité orientale. « Je crois que la pression du monde journalistique – être prêt à sauter sur n'importe quelle histoire, tout le temps – détruit mon amour et ma concentration» , écrit-il à Henri Cartier-Bresson en 1965. « Les membres de Magnum étaient concentrés sur des problèmes concrets, se souvient l'un des photographes de l'agence, Patrick Zachmann. Sergio Larrain voulait changer le monde. Dans ses lettres, il nous disait d'ouvrir les fenêtres, de se débarrasser des choses inutiles, de mettre des tapis par terre...»
Dans l'impasse, Sergio Larrain se retire petit à petit du circuit de la photographie. ll rejoint un temps la communauté mystique d'Arika, auprès du maître Oscar Ichazo, avant de chercher sa voie seul. L'arrivée de la dictature de Pinochet, dont il couvre le coup d'Etat en tant que reporter, le force à déménager plusieurs fois. Il finit par s'intaller à la campagne, à Tulahuen, où il se consacre à l'éducation de son fils, à la méditation et à l'écologie. Il refuse les honneurs, rejette les expositions, qu'il considère comme autant de manifestations d'ego déplacées. Quelques rares admirateurs qui ont tenté le pélerinage jusqu'à Ovalle ont aussi réussi à le rencontrer.
Profitant d'un reportage au Chili en 1999, Patrick Zachmann a d'abord suivi les traces de Larrain à Valparaiso : « Il n'y avait plus rien. Le bar aux 7 miroirs qu'il a photographié est devenu un hangar.» Puis il est allé voir le photographe. Une rencontre qu'il dit « à la fois riche et frustrante» . Malgré une complicité immédiate, le Chilien refuse de le laisser filmer, et tente de le convertir à sa pratique mystique. Patrick Zachmann raconte leurs échanges dans un film de 15 minutes qui sera projeté à Arles le 2 juillet. On y voit les mains du photographe, et on entend sa voix douce qui explique : « Quand tu prends une photo, tu organises ton corps, les trois points sont en ligne. C'est une expérience de yoga.»
LES RENCONTRES D'ARLES 2013 |