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PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE |
« La imaginacion del futuro » (L'imagination de l'avenir), de Marco Layera. Et si Salvador Allende n’avait été qu’un président bourgeois ? Et si la révolution socialiste qu’il a tentée au Chili n’avait été qu’un caprice ? Voilà les questions que pose un Chilien de 37 ans, Marco Layera, dans La Imaginacion del futuro (L’Imagination de l’avenir), un spectacle inconfortable, électrisant et horripilant, qui a laissé le public coi, le soir de la première, vendredi 18 juillet 2014, au Cloître des carmes à Avignon.
Personne n’a bronché, pas même le monsieur devant qui une comédienne s’est mise nue, lui proposant une fellation, afin de le convaincre de donner de l’argent pour payer les études d’un adolescent pauvre exhibé sur le plateau. Et les gens ont souvent ri, en voyant le président Allende houspillé par ses ministres, qui trouvaient nul son fameux discours, le dernier qu’il a prononcé, à la radio, le 11 septembre 1973, jour du coup d’Etat du général Pinochet.
C’est par ce discours que s’ouvre L’Imagination de l’avenir. Marco Layera imagine qu’il est filmé, et non diffusé sur les ondes. Salvador Allende est derrière son bureau, avec ses lunettes et son costume sombre. Première prise : « C’est certainement la dernière fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous. Les forces aériennes ont bombardé les antennes de Radio Portales et Radio Corporacion. Mes paroles n’expriment pas l’amertume, mais la déception. Que ces paroles soient le châtiment moral pour ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté… », déclare Allende, en précisant qu’il se battra jusqu’à la mort.
Mais non, ça ne va pas, il faut que le président se détende, qu’il en fasse moins, pensent ses ministres. Alors ils changent sa cravate, puis lui mettent un jogging blanc et le font poser, avec deux marionnettes d’enfants, devant un paysage bucolique. Au bout d’un moment, le président n’en peut plus. Il va faire une sieste, sous une ridicule tente orange.
Pourquoi traiter ainsi Salvador Allende, qui a payé de sa vie son combat ? Parce qu’il faut déboulonner les statues, répond Marco Layera. En finir avec la « figure de martyr », reconsidérer l’histoire sous un autre angle, apporter la controverse sur le passé pour mieux comprendre le présent. Quitte à poser des questions douloureuses et incommodantes, comme celle de la validité d’une utopie socialiste des années 1970, que l’auteur et metteur en scène chilien confronte « au ressentiment envers ceux qui ont fait de notre pays un conclave bananier et envers ceux qui nous ont fait rêver d’un pays plus juste et solidaire », comme il l’écrit dans le programme.
Il y a chez Layera une dureté et une rage ancrée dans un désir contradictoire qui explose sur le plateau : «Le social dépasse l’artistique », hurlent les comédiens (d’où la quête dans le public, dans la tradition de l’agit-prop). Et en même temps, l’artistique est leur métier, leur fonction sociale et leur raison d’être. Comment s’en sortir ? En tournant en dérision les médias qui demandent à une mère dont le fils vient de mourir d’une balle perdue comment s’est passée l’agonie de son enfant, ou quelle couleur a la tristesse. En relatant la torture infligée à une jeune fille à qui on a mis un rat dans le vagin, devant son père. En rappant sur « le système de merde » d’aujourd’hui.
Et pour finir ? En faisant mourir Allende, à son bureau. On ne voit pas le pistolet, offert par Fidel Castro, avec lequel il s’est suicidé. Mais on voit les ministres du début, désemparés, défaits, et l’on entend l’une d’entre eux dire au président qu’il a voulu bien faire en tentant sa révolution. Ainsi, les questions posées au début du spectacle vacillent. Reste une tristesse profonde. Et le constat au goût amer que tout cela, même formidablement mis en scène et joué, n’était que du théâtre.
La imaginacion del futuro (L’Imagination de l’avenir), de Marco Layera. Cloître des carmes, à 22 heures, jusqu’au 25 juillet (relâche le 20). Tél. : 04-90-14-14-14. De 10 € à 28 €. Durée : 1 h 25. En espagnol surtitré.