RAPA NUI, 2 mars 2016 - Ils gagnent des médailles au niveau international dans leurs disciplines, leur vie quotidienne est rythmée par le sport... C'est à croire que, dans l'ADN des Pascuans, il y a quelque chose qui les rend doués pour les exploits physiques, que ce soit la pirogue, le rugby, la natation ou l'athlétisme.
(Article écrit en espagnol et publié par le journal El Mostrador en 2015 sous le titre «Lo que Chile ignora: Súper atletas olímpicos en Rapa Nui». Traduit par Tahiti Infos avec leur autorisation. Tous droits réservés à El Mostrador)
Les prochains représentants olympiques du Chili pourraient venir de cette petite île… si l'ambitieux projet de centre pour sportifs de haut niveau sur l'île de Pâques se concrétise.
Quand Konui Lillo Laharona avait 16 ans, son père a entendu parler d'un marathon familial et a décidé de l'y inscrire, pour voir si cette compétition pourrait l'aider à concentrer son énergie sur quelque chose qui le fatiguerait et le calmerait un peu. Car, comme il s’en souvient : « Mon père me raconte que j'étais hyperactif et que je m'enfuyais tout le temps pour rejoindre la maison de ma grand-mère. » Cela a fonctionné, et l'année suivante, Konui participait à une autre course de 5 kilomètres, et la gagnait. « À partir de là, je me suis lancé, et j'ai continué de gagner. Au collège aussi, je gagnais à l'athlétisme, au relai, au 100 mètres. Ensuite j'ai décidé d'aller aux régionales. » Et il a effectivement continué de remporter des compétitions. Il s'est aussi illustré dans sa communauté via les sports traditionnels du Tapati et en ramenant pour Rapa Nui des médailles d'or et d'argent des championnats régionaux et mondiaux de pirogue.
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C'est que les Pascuans ont le sport dans le sang. Ils pratiquent quotidiennement le surf, la natation, le cyclisme, le football, le rugby, le basket-ball, le volley-ball, le taekwondo et l'athlétisme. Et bien que la pirogue traditionne soit le sport roi sur l'île, il n'a pas beaucoup d'écho au Chili, principalement parce que ce n'est pas un sport olympique. En 2014, l'île de Pâques s’est illustrée au championnat du monde de taekwondo en obtenant plusieurs médailles. En rugby, elle possède des représentants remarquables et l'île devrait être inclue dans le futur du rugby chilien. Le jeune espoir du surf chilien, Roberto Araki, vient également de Rapa Nui. Et la liste continue…
Pour Konui Lillo Laharona, « ici, ne pas être sportif, c'est comme ne pas être pascuan. Les jeunes sont tous sportifs. Ils courent, ils rament, ils font de tout. Tennis, natation, handball… Personnellement j'aime le sport parce que je m'amuse. Cela te permet de te sentir bien, fort, important, parce que tu gagnes du respect à chaque fois que tu es champion. »
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Cet impact de la renommée sportive sur le statut social, il l'a vécu directement. Quand il a commencé à concourir aux jeux traditionnels du Tapati, personne ne faisait attention à lui. Aujourd'hui, « ils viennent me chercher à la maison et me demandent s'il me faut quelque chose pour la compétition. Les premières années, je faisais moi-même mes ficelles – tu vois les chaussures ? Il y a une cordelette pour les attacher, qui ne sont pas n'importe quelle ficelle et sont chères – mais aujourd'hui ils m'en amènent. Les candidats me demandent de concourir pour eux » raconte-t-il fièrement. Il fait référence à la tradition du Tapati, héritée des anciennes coutumes, où les sportifs représentent les candidats de leur clan qui veulent devenir le roi (symbolique) de l'île pendant un an.
Un centre pour sportifs de haut niveau
Vu l'excellente condition physique des Pascuans et leurs prédispositions génétiques pour le sport, une idée bouillonne sur l'île : créer un centre pour sportifs de haut niveau. Selon le maire, Pedro Edmunds Paoa, la commune affecte 160 millions de pesos chaque année (soit 25 millions de francs) à son service des sports. « Cet argent est pour toutes les disciplines, football, rugby, tennis, surf, pirogue, etc. Un billet d'ici à Santiago coûte déjà 250 000 pesos (39 000 francs) et parfois, ce sont des délégations de 20 personnes qui se déplacent. Avec ça, il faut aussi payer les salaires des professeurs, l'entretien des équipements (l'île compte un terrain de football, un gymnase et un atelier de pirogue). Finalement c'est peu. » En plus de ce financement, de l'argent vient de projets spécifiques, et depuis 2014, du fonds du ministère des Sports pour le développement des écoles sportives (un programme de la présidente du Chili, Michelle Bachelet).
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COURSE DE PORTEUR DE FRUIT AUTOUR DU VOLCAN DE L'ÎLE. PHOTO JONATHAN MARTINS TORRES |
L'initiative visant à créer un centre pour sportifs de haut niveau veut profiter des conditions climatiques, de la renommée de l'île et de l'avantage génétique des Pascuans, pour recevoir des athlètes nationaux et internationaux de haut niveau. Elle a été proposée à la ministre des Sport, Natalia Riffo, lors de son passage sur l'île en 2014. Selon le maire, « il y a un énorme enthousiasme et appui de la ministre. Elle est venue et assure qu'elle va s'impliquer avec nous ». Mais selon le cabinet de la ministre, « il y a une volonté, cependant, pour l'instant, aucun financement n'est prévu pour la construction d'un centre. Il y a cette motivation et l'évidence du potentiel sportif de l'île. La ministre est convaincue qu'il faut pousser à la création d'un centre intégrant les deux cultures, vu les dispositions génétiques des Rapa Nui. Mais c'est sans budget assigné. »
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PHOTO JONATHAN MARTINS TORRES |
Konui, qui n'a pas entendu parler de ce projet, considère qu'au Chili [« il n'y a pas d'argent pour aider les sportifs. L'année dernière j'ai rencontré Tomás González [champion olympique et mondial chilien en gymnastique artistique, NDLR], qui est venu sur l'île. Il m'a donné des conseils sur l'alimentation, les repos et l'entraînement. Imaginez, Tomás González ! Lui, l'État ne l'a pas aidé. Tout le monde sait que Farkas [homme d'affaires et philanthrope chilien, ndlr] lui a donné un gymnase et tout. Bárbara Riveros, championne de triathlon, a été obligée de partir du pays pour s'entraîner à l'étranger. On voit qu'ils aident beaucoup le football, mais rien d'autre. »] !
Pour le moment, le jeune athlète est certain que pour lui, le plus important, c’est le sport. Et bien qu'il ait beaucoup voyagé pour ses compétitions, il revient toujours sur son île parce que "ici la vie est détendue. Je ne sais pas comment l'expliquer, c'est tranquille, on en profite, tout le monde se connaît. Et au final, tout le monde s'entre-aide."
Écrit par Claudia Urquieta, adapté et traduit par Jacques Franc de Ferrière