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lundi 22 août 2016

POURQUOI LES CHILIENS EXIGENT-ILS UNE REFONTE DE LEUR SYSTÈME DES RETRAITES?

Une crainte pour les uns, une réalité pour Augustino Zapata, âgé de 77 ans. Depuis qu’il a arrêté son métier de maître charpentier dans la construction, il vit avec 160 euros par mois. « Et dans trois mois, mon AFP me coupe ma pension, explique-t-il, excédé. Ils m’ont soi-disant versé tout ce que j’avais cotisé, après 30 ans de cotisations. » Berta Machuca, son épouse âgée de 72 ans, tape sur une casserole vide avec un petit bout de bois, symbole de leur misère. Et d'avouer : « Je fais les marchés pour que les gens me donnent des fruits et des légumes. Après 35 ans de cotisations, je reçois 120 euros par mois. »

Malgré les airs de fête de la deuxième manifestation familiale pacifique qui a coloré dimanche l’artère principale de Santiago et les rues de toutes les villes du Chili, après une première manifestation le 24 juillet, c’est une colère noire qui domine la foule. Une colère qui gronde aujourd’hui contre un système unique au monde, imposé en 1981 par la dictature d’Augusto Pinochet, le Chili étant le premier pays au monde à adopter les fonds de pension.

Les Chiliens se sentent floués par le système

Géré par six entreprises privées appelées Administratrices de fonds de pension (AFP), ce système promettait d’offrir aux travailleurs chiliens de meilleures retraites, et même 100 % de leur salaire, comme le titrait le journal de droite El Mercurio en 2000. La réalité est toute autre : un retraité chilien reçoit en moyenne 270 euros par mois, neuf Chiliens sur dix gagnant même moins de 209 euros, loin derrière les 345 euros que représente le salaire minimum, déjà peu élevé au regard du coût de la vie.

« Personne ne peut vivre avec moins de 345 euros par mois », martèle Cristian Saria, 35 ans, tout en poussant la poussette de son bébé, bardée d’un grand panneau « No mas AFP ». « Nous ne voulons plus des AFP. » « Si je suis à charge de ma fille quand je serai vieux, comment fera-t-elle pour vivre ? »

Chaque mois, les AFP reçoivent les cotisations obligatoires des Chiliens, qui s’élèvent à 10 % de leur salaire, auxquels s’ajoute une commission de gestion de 1,15 % en moyenne. « De trois pesos cotisés, explique la professeure d’anglais Carola Sabia, qui tient son caniche dans les bras, il nous revient seulement un peso, un tiers de notre cotisation. Le reste tombe directement dans les poches des AFP et est investi dans les grandes entreprises du pays. »

Une mobilisation qui n'en est qu'à ses débuts ?

Luis Torres, mécanicien, qui avoue manifester pour la première fois, s’écrie : « Nous sommes fatigués, fatigués d’être volés chaque mois de manière légale pour remplir les poches des grands chefs d’entreprises de notre pays. » Tandis que les Chiliens s’appauvrissent en vieillissant, les AFP s’enrichissent en effet de plus en plus. « Sur les vingt dernières années, elles ont présenté une rentabilité annuelle moyenne de 26,3 % », souligne Benjamin Saez, chercheur de la Fondation Sol, un think tank dédié aux questions de travail, de syndicalisme et d’éducation.

Benjamin Saez précise que cela équivaut « à plus de 2 millions d’euros par jour en 2015. Cette même année, 45 membres de leurs directions ont reçu la modique rémunération annuelle moyenne de plus de 84 000 euros. » Or, sur les cotisations que reçoivent les AFP, seules 40 % sont redistribués sous forme de retraites. « Quant au 60 % restant, la moitié tombe dans la poche des AFP, précise Manuel Riesco, économiste de Cenda, un centre de recherches en économie, et l’autre tombe directement dans celle des grands groupes financiers chiliens, sous forme d’investissement à très bas taux d’intérêt. »

L'économiste explique que ce système a été créé pour cette raison, « pour soutenir le modèle économique chilien ». Alors, pour réformer ou mettre à bas ce « vol » ou cette « arnaque », comme disent les manifestants, ces derniers ne comptent pas sur leurs représentants politiques, dans un contexte où les scandales de corruption ne cessent de les éclabousser. Pas plus qu’ils ne croient aux réformes proposées par la présidente socialiste Michelle Bachelet il y a deux semaines, une présidente soutenue par seulement 15 % de la population selon un dernier sondage.

« La seule manière d’arrêter les abus, c’est de descendre dans la rue », lance Augustino Zapata. « Cette mobilisation n’est qu’un début ! », promet-il.