Catégorie

mardi 30 août 2016

JOSÉ BALMES, L’UN DES PLUS GRANDS PLASTICIENS CHILIENS

BIEN APRÈS LA DICTATURE, JOSÉ BALMES, ALORS ÂGÉ DE 72 ANS,
RÉVÉLAIT QU'IL ÉTAIT ENCORE L'OBJET DE MENCAS DANS
SON QUARTIER DE SANTIAGO.
PHOTO CRIS BOURON 
Le monde artistique s’est réveillé en deuil, hier matin, après la mort, à 89 ans, du grand peintre communiste, par deux fois exilé. 
Magali Jauffret
Ses tableaux monumentaux, pleins de la forte charge émotive de ses inquiétudes politiques et sociales, dont il revivait le passé tout en travaillant le présent, n’étaient pas aussi abstraits qu’on pourrait le penser. En haut, la Catalogne, en bas le Chili, au milieu, des lignes qui se croisent avec des taches, des flèches, des signes. On dirait du Cy Twombly, au sens où la traduction plastique de son impulsion n’est jamais illustrative, ni uniquement abstraite. Ses Petits Pains, fragments sexués du corps féminin peints avec énergie, violence et contrecollés sur toile ou sacs à farine, brisent le cloisonnement entre peinture et dessin, restent en retrait des débats concernant la figure.

Les poèmes de Pablo Neruda inspiraient ses œuvres

Ses acryliques sur papier inspirées des poèmes de Neruda traitent plastiquement du drame des sacs de cadavres jetés dans les flots depuis des avions. Ses puissants arbres grand format sur toile brute, baptisés Arbre feu, Arbre poing, Arbre du mort nu, résonnent comme autant de secousses convoquant le politique. Comme le disait Raoul-Jean Moulin, « sa peinture ne cherche pas à reproduire le réel, mais à produire le sens du réel ».

L’homme, fils de républicain espagnol, communiste, ami de Pablo Neruda et de Salvador Allende, devint doyen de l’Académie des beaux-arts de Santiago, après avoir couvert les murs de la cité de ses collages résistants au moment du coup de force de Pinochet. Il aura vécu toute sa vie entre deux exils, trois pays (sa Catalogne natale, le Chili, où il s’exila en 1939 pour fuir Franco, la France, où il se réfugia après le coup d’État) et une résistance obstinée à l’oubli. À Paris, où il fut accueilli dès 1973 à la Ruche, lieu de vie et de création des plus grands artistes niché au cœur de Montparnasse, il exposa à plusieurs reprises, notamment ses Déchets d’oubli et de mémoire, ses Protestats, et fut professeur à la Sorbonne.

L’aventure du cargo Winnipeg

José Balmes était l’un des derniers survivants de la traversée transatlantique partie de Pauillac-Trompeloup pour le Chili, le 3 août 1939, à bord du cargo Winnipeg, affrété par l’État chilien. À son bord, 2 500 républicains espagnols. À la chute de la République, en février, quelque 450 000 d’entre eux avaient franchi les Pyrénées, où ils avaient été accueillis… dans des camps. À Santiago, le président de Front populaire, lui, décide d’attirer dans ce pays en pleine expansion ces cousins espagnols défaits par Franco. Il dit à Neruda : « Ramène-moi des Espagnols. Pas des intellectuels, mais des mineurs, des pêcheurs, des ouvriers. »

Neruda trouve des volontaires. Les réveils se font au son de l’Internationale, un début d’épidémie est jugulé dans l’hôpital de bord tenu par la fille de Marcel Cachin, une chorale basque rompt la monotonie de la traversée. Dans un film de Jean Ortiz, des survivants racontent que deux des plus grands peintres chiliens, José Balmes et Roser Bru, étaient sur le Winnipeg.

En 1987, José Balmes est présent, à Paris, lors du lancement des états généraux de la culture de Jack Ralite. Il rentre au Chili, contacte douze intellectuels pour tenir une conférence de presse s’appuyant sur ce texte. « On risque l’arrestation », lui répondent ces derniers. Réaction de José Balmes : « Si ce n’est pas moi, alors qui ? Si ce n’est pas moi, alors quand ? » Après une mémorable conférence de presse, 467 manifestations culturelles eurent lieu à Santiago en 1988 !