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vendredi 10 octobre 2008

Au Chili, des étudiants jouent du marteau pour éradiquer les bidonvilles


Sur les hauteurs, on aperçoit le plus grand bidonville de la région. Mille familles y vivent perchées sans eau courante, ni égouts, sans cuisinière, ni toilettes, dans des logements de fortune. Aux planches mal jointes qui laissent passer le vent et la pluie, aux fenêtres bouchées par du plastique, au plancher parfois inexistant, quelque 150 étudiants et lycéens tentent d'apporter une solution.

Armés de planches et d'outils, ces bénévoles mettent à profit leurs week-ends et leurs vacances scolaires pour construire des logements d'urgence. Ces «mediaguas» se résument à 18 m2 en bois avec deux fenêtres, une porte et un toit de tôle ondulée. pas du luxe, mais un logement plus digne.

Objectif? éradiquer les bidonvilles d'ici à 2010, année où le chili fêtera ses 200 ans d'indépendance. D'ici deux ans, pas moins de 28 000 logements d'urgence devront être construits dans 533 bidonvilles. Utopique? pas vraiment.

L'association un toit pour le Chili (un techo para chile) n'en est pas à ses premières armes. Depuis 1997, année de sa fondation par le père jésuite Felipe Berrios, l'organisation lutte contre la pauvreté et les stéréotypes qui lui collent à la peau, en motivant plus de 15 000 étudiants bénévoles par an à devenir menuisiers, ébénistes, contremaîtres, architectes. Et ils n'ont pas chômé: ils ont construit 33 000 «mediaguas» en plus d'établir des réseaux de soutien permanents dans les bidonvilles. Pour financer leur oeuvre, ils ramassent des fonds dans les rues du Chili, trois jours par an.

Le coût de la dignité

À Viña Del Mar, ce week-end-là, les élèves de 28 lycées, âgés de 17 et 18 ans, s'affairent à construire 15 logements. Cinq coups dessus, trois coups à côté, Camila Garay, 17 ans, plante un clou. Cette lycéenne a une excuse: elle ne s'était jamais approchée d'un marteau avant. Pas plus que d'un bidonville. «J'avais envie d'offrir un week-end pour aider les gens qui en ont le plus besoin», explique cette jeune fille de milieu aisé, dans un grand sourire. «Mes préjugés sur les gens des bidonvilles se sont envolés, ajoute-t-elle. en général, mon entourage a tendance à penser que ce sont des voleurs, des gens violents et vulgaires.»

Manuel Frankovich la regarde planter ses clous, un peu sceptique. «Ils font de leur mieux, mais j'ai peur que ce ne soit pas solide», explique à voix basse le nouveau propriétaire de 28 ans, qui vit dans le bidonville depuis quatre ans. Avec sa compagne, Jeannette Delpilar, 38 ans, ils ont tout prévu: dans le nouveau logement, ils installeront le salon, la cuisine et la chambre d'enfants. Ce couple de vendeurs ambulants, qui vit avec moins de 9$ par jour, ne compte pas pour autant détruire le 6 m2 de bois et tôle dans lequel il loge depuis deux ans. Désormais, il leur servira seulement de chambre. «Je suis tellement contente, s'exclame Jeannette. J'ai enfin de la place pour accueillir mes enfants pour les vacances!»

Ils ont acheté la «mediagua» à l'association, 80$, soit 10% du prix réel. Pour Manuel, ce n'est pas cher. «Construire moi-même une pièce en plus, comme j'avais l'intention de le faire, m'aurait coûté le double et elle aurait été bien plus petite que la maison de l'association!» souligne-t-il.

Pour le fondateur du techo, le prix symbolique payé par les «clients» est sacré. «Donner, c'est détruire la dignité des gens. À partir du moment où ils paient une partie de leur maison, ils ont le droit d'exiger», note felipe berrios. Ce que manuel ne se gêne pas pour faire!

Quand on demande au prêtre pourquoi il appelle à participer des jeunes souvent novices dans la construction, tandis qu'il pourrait former un noyau d'experts capables de monter une «mediagua» en cinq heures plutôt que deux jours, il s'explique: «au-delà de redonner un peu de dignité aux gens, l'objectif de l'association, c'est que des Chiliens séparés socialement par le facteur argent se rencontrent. l'idée est de réunir autour d'une même construction ceux qui ont le plus de perspectives d'avenir dans la vie, les étudiants, et ceux qui en ont le moins, afin de générer une société moins segmentée.»

Le Chili est le second pays le plus inégalitaire d'amérique, après le brésil. et sûrement l'un où riches et pauvres se côtoient le moins.

Face au succès de son entreprise, l'association a dépassé les frontières. Elle prend son élan vers toute l'Amérique latine (Colombie, l'Uruguay, le Costa Rica, le Mexique, le Paraguay, le Salvador, l'Argentine, le Brésil, le Guatemala, le Pérou, l'équateur). les bidonvilles n'ont qu'à bien se tenir.