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mardi 24 février 2009

Avec "L'Ordinaire", le cannibalisme entre à la Comédie-Française

"L'Ordinaire", Michel Vinaver Editeur Actes Sud, Prix éditeur : 7,50€
Vinaver a commencé à écrire du théâtre en 1955, avec Les Coréens. Il a livré sa dernière pièce, 11 septembre 2001, juste après les attentats de New York. Depuis, il considère que son oeuvre est close. Mais il a envie d'en vérifier certaines hypothèses de représentation. D'où ce passage tardif à la mise en scène, qui permet au public de voir L'Ordinaire comme l'entend Michel Vinaver.


A l'origine de la pièce, il y a un des faits divers les plus marquants du XXe siècle : l'accident d'avion de rugbymen uruguayens dans la cordillère des Andes, en 1972. Pour survivre, les rescapés avaient mangé les corps morts de leurs compagnons. Dans L'Ordinaire, les passagers de l'avion ne sont pas des sportifs, mais les dirigeants d'une grande entreprise américaine, Housies, qui fabrique des logements préfabriqués. Accompagnés de leur femme, fille ou maîtresse, ils viennent de quitter Buenos Aires dans un jet privé, et se rendent au Chili, où Bob, le président de Housies doit rencontrer le général Pinochet. Des onze passagers, huit survivent à l'accident.

CIRCONSTANCES EXTRÊMES

La question de "manger les morts" se pose au bout de quelques jours. La réponse s'impose comme une nécessité. Elle dépasse le tabou pour sceller un nouveau mode de vie communautaire. Michel Vinaver n'insiste pas sur ce moment où l'infranchissable est franchi. Il montre comment chacun poursuit l'ordinaire de la vie, dans des circonstances extrêmes. Bob reste jusqu'au bout le grand patron qu'il était. Il s'effondre et meurt d'épuisement au milieu d'une tirade sur la réorganisation de Housies. Son épouse Bess fait un tout autre chemin : de "femme de", assez odieuse dans son genre, elle redevient au fil des jours l'infirmière attentive aux autres qu'elle était avant son mariage.

Dans le groupe, une fille détonne : Sue, la maîtresse d'un dirigeant mort au moment du crash. Dans une vie antérieure, elle a fait de l'archéologie sauvage dans la région des Chiapas, au Mexique, et s'est fait mettre en prison. Elle cherche sa place dans un monde dont elle connaît une autre réalité que les hommes et les femmes de Housies. Pour eux, l'entreprise est tout. Elle les façonne jusque dans leur intimité, de la même façon qu'elle façonne une vision de leur époque, ce début des années 1980 où il semble encore que l'expansion économique ne trouvera pas de frontières, politiques, financières ou sociales.

Voilà ce dont Michel Vinaver parle, dans L'Ordinaire, une pièce composée non pas de sept actes ou tableaux, mais de sept "morceaux" qui se déploient d'une manière très particulière. Au lieu de poser les fondements d'un conflit, et d'avancer vers un dénouement de ce conflit, ce qui constitue la nature même du théâtre, Vinaver écrit comme on déploie une toile uniforme, mais son écriture recèle une multitude de conflits. Pour lui, l'idéal serait de montrer L'Ordinaire sur une scène ronde, de façon que les acteurs (et les actions) soient perçus sous des angles différents. A la salle Richelieu, un tel dispositif n'est pas possible. Mais il y a, qui casse l'ordonnancement habituel, un plateau qui s'avance dans la salle.

Sur ce plateau, les comédiens (une belle distribution, de Jean-Baptiste Malartre en Bob à la jeune Léonie Simaga en Sue) se présentent le plus souvent de face, et évitent tout effet, au profit d'un travail sur la voix qui tient lieu de représentation. C'est souvent impressionnant, mais parfois, à trop tenir cette ligne dure, L'Ordinaire menace de perdre ses saisissants éclats.


L'Ordinaire, de Michel Vinaver. Mise en scène : Michel Vinaver et Gilone Brun. Comédie-Française, place Colette, Paris-1er. Mo Palais-Royal. Tél. : 08-25-10-16-80 (0,15 €/mn), ou www.comedie-francaise.fr. De 5 € à 37 €. Durée : 2 h 20. En alternance jusqu'au 19 mai.


Brigitte Salino


Au répertoire



Ce n'est pas un auteur, mais une oeuvre, qui entre au répertoire de la Comédie-Française. Il faut, pour toute pièce représentée pour la première fois salle Richelieu, l'accord du comité de lecture, composé de 12 membres dont l'administrateur général, des sociétaires et quatre personnalités extérieures. Ce comité doit rassembler au moins 7 membres pour siéger. Il vote à bulletins secrets. Une majorité des deux tiers des votants est nécessaire pour qu'une pièce soit acceptée. Les pièces jouées dans les deux autres salles de la Comédie-Française, le Vieux-Colombier et le Studio-Théâtre, ne sont pas concernées par cette procédure.