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LA « PACIFICATION DE L'ARAUCANIE », EUPHÉMISME DE LA CONQUÊTE MILITAIRE, A CONDUIT À LA DÉPOSSESSION DE L'ESSENTIEL DES TERRES DES MAPUCHE. LE CHANGEMENT DE LA FRONTIÈRE DU CHILI LORS DE L'OCCUPATION DE L'ARAUCANIE. CARTE DES VILLES D'ARAUCO ET VALDIVIA AVEC LE TRACÉ DE L'ANCIENNE ET NOUVELLE LIGNE DE FRONTIÈRES CONTRE LES INDIENS : 1870 |
La Suisse et le Chili
La « pacification » du sud du Chili entre 1861 et 1883 a conduit à l’appauvrissement d’une grande partie des Mapuche, qui vivaient de l’agriculture et de l’élevage.
Entre 1883 et 1886, les autorités chiliennes ont recruté des colons en Europe. Les premiers Suisses, dont Adam Luschinger, sont arrivés en 1883 sur le territoire de l’Araucanie. Jusqu’en 1890, 22'700 Suisses y ont trouvé une nouvelle vie.
Les immigrants ont reçu des terres et un attelage de bœufs. On leur a également remboursé les coûts du voyage et octroyé deux ans d’avance de salaire. Si le prêt n’était pas remboursé en huit ans, la terre retournait à l’Etat.
De nombreux descendants de 3e et 4e générations ont la double nationalité suisse et chilienne.Au vu du nombre de Suisses qui résident et voyagent dans la région, la Suisse a ouvert en 2008 un consulat à Temuco.Par l’entremise de l’ambassade, l’agence de coopération suisse (DDC) finance diverses petites actions destinées aux Chiliens les plus pauvres, qu’ils soient ou non mapuches. On peut citer les instruments de musique destinés à un orchestre scolaire de Temuco ou des activités sportives pour les enfants de Lautaro.
Les origines du conflit
Dans la seconde moitié du 19e siècle, le gouvernement chilien a encouragé la colonisation de l’Araucanie, le cœur du territoire des Mapuches, à 700 km au sud de la capitale Santiago, par les colons européens. Alors que les nouveaux arrivants se sont vu octroyer jusqu’à 60 hectares de terre par famille, les Mapuche n’ont pu conserver que de minuscules parcelles, à peine suffisantes pour survivre.
Dans le cadre de la réforme agraire mise en place entre 1964 et 1970, les communautés mapuches ont réclamé pour la première fois la restitution des terres héritées de leurs ancêtres. Mais c’est un processus inverse qui a été engagé sous la dictature d’Augusto Pinochet, puisque la nouvelle législation adoptée alors enterrait définitivement l’idée de propriété communautaire au détriment de la seule propriété individuelle.
Depuis une dizaine d’années, les communautés mapuches revendiquent la restitution des terres au-travers d’actions radicales.
Immigration encouragée
Les opérations d’occupation des terres par les Mapuche ont été couronnées de succès, malgré les actions d’expulsion répétées de la police. Jorge Luschinger, l’oncle du défunt Werner, qui a été très critiqué pour ses remarques désobligeantes envers les aborigènes, a ainsi été contraint de vendre sa propriété à l’Etat en leur faveur.
Militza Luschinger, la nièce du couple assassiné, est membre active de l’Association des descendants suisses de l’Araucanie (ADES). Pour elle, la situation est paradoxale. Il y a plus de 100 ans, le gouvernement chilien a encouragé l’immigration en provenance d’Europe, de Suisse et d’Allemagne notamment. Le processus s’est aujourd’hui inversé et Militza Luschinger peine à cacher son amertume: «Mes ancêtres ont émigré avec les meilleures intentions du monde. Ils voulaient simplement se bâtir un nouvel avenir dans l’agriculture. Des colonies ont été créées, le banditisme a été mis au pas et la région est devenue le grenier du pays. Nous avons travaillé avec les Mapuche et pris soin les uns des autres. Désormais, nous sommes poursuivis par des bandits et les terres fertiles se transforment en marais».
Paola Aroca Cayuno, une chamane non politisée, a travaillé plusieurs années en Suisse dans le domaine hospitalier et de l’action sociale. En 2007, elle est retournée au Chili pour s’occuper d’un centre consacré à la médecine traditionnelle. Avec les dons de guérison hérités de sa grand-mère, elle dit vouloir aider les riches et les pauvres, sans distinction entre Blancs et Mapuche, et contribuer ainsi à la paix entre les peuples.
Elle aussi se sent involontairement embarquée dans ce conflit. Bien qu’elle ne vive pas dans la zone de conflits, elle craint, en cas d’attentat dans son entourage, de se voir accuser de terrorisme.
L’ambassadrice de Suisse au Chili, Yvonne Baumann, suit avec attention l’évolution de la situation dans l’Araucanie, en particulier celle des descendants suisses. Elle se dit préoccupée par l’escalade du conflit et l’attentat commis à l’encontre du couple Luschinger-MacKay. Elle espère que «les coupables seront traduits en justice» et reste convaincue que des «solutions pourront être trouvées par le dialogue».
Les Mapuches
Selon les dernières données de 2002, 4,6% de la population chilienne est aborigène. 87% appartiennent aux communautés Mapuche. 62,8% d’entre eux vivent dans des villes, 30% dans la région de l’Araucanie et 28% dans l’agglomération de Santiago, la capitale. Un tiers des Mapuche vivent sous le seuil de pauvreté.
Cohésion renforcée
Des familles d’origine suisse avaient déjà manifesté par le passé leurs préoccupations auprès de l’ambassade, mais jamais une menace imminente n’a été évoquée, affirme Yvonne Baumann. «Ce sont en premier lieu les autorités chiliennes qui sont compétentes pour leur sécurité», ajoute-t-elle.
Selon Militza Luschinger, la mort de son oncle et de sa tante a au moins eu le mérite de renforcer la cohésion entre voisins, parmi lesquels figurent des Suisses. Vivant à proximité de communautés mapuches militantes, elle s’estime également menacée. Bien qu’elle lui cause beaucoup de frustration, cette insécurité ne lui fera cependant pas abandonner de sitôt sa terre d’adoption.
Près de 60% des familles de troisième et quatrième génération sont encore en possession de la nationalité suisse, estime Militza Luschinger. La majorité d’entre elles parlent encore l’allemand et a de la parenté en Suisse. Les descendants de colons suisses dans le sud du Chili voudraient pouvoir compter sur «le soutien déterminé des autorités suisses» et la condamnation de la violence contre les citoyens suisses. «Nous n’avons cependant pas encore demandé de l’aide à l’ambassade. Nous espérons toujours que le gouvernement trouve une solution afin que nous puissions vivre en paix».
Regula Ochsenbein, swissinfo.ch
Santiago du Chili