[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
JAIME TORRES, EN 2016. (ARCHIVE CLARÍN) |
Le virtuose argentin, héraut de la culture quechua, est mort à 80 ans. Il avait été révélé par la «Misa Criolla», une messe folklorique au succès mondial dans les années 60.
« DIABLO SUELTO, JAIME TORRES »
[ Cliquez sur la flèche pour voir la vidéo ]
DIABLO SUELTO PAR JAIME TORRES
THÈME MUSICAL DE L'AUTEUR VÉNÉZUÉLIEN
HERACLIO FERNÁNDEZ (MARACAIBO, 1851 - LA GUAIRA, 1886)
THÈME MUSICAL DE L'AUTEUR VÉNÉZUÉLIEN
HERACLIO FERNÁNDEZ (MARACAIBO, 1851 - LA GUAIRA, 1886)
JAIME TORRES, À PARIS PHOTO ARCHIVE SILVIA MAJUL |
Né en 1938 à San Miguel de Tucuman, sur les contreforts des Andes, ses parents sont des immigrés boliviens qui ont fui la misère. Le petit Jaime reçoit un charango taille enfant à l’âge de 5 ans, mais doit attendre une dizaine d’années pour disposer d’un nouvel instrument, fabriqué par son père ébéniste. C’est l’une des raisons de sa spectaculaire dextérité : Jaime Torres a longtemps joué avec un charango miniature.
Neuf lunes
À la fin des années 50, l’Argentine se prend de passion pour la diversité de ses traditions musicales : c’est le «boom du folklore», porté notamment par le festival des Neuf lunes, créé en 1961 à Cosquin, près de Cordoba. Ces musiques de l’intérieur (chamamé, chacarera, zamba, carnavalito, takirari…) ont gagné la capitale grâce à l’immigration, sans vraiment concurrencer l’omniprésent tango. Elles restent des expressions du ghetto, méprisées par les élites, réservées aux chauffeurs de taxi et aux femmes de ménage.
« JAIME TORRES ET MERCEDES SOSA -
MISA CRIOLLA - GLORIA A DIOS (AÑO 1999)»
MISA CRIOLLA - GLORIA A DIOS (AÑO 1999)»
[ Cliquez sur la flèche pour voir la vidéo ]
JAIME TORRES & MERCEDES SOSA - MISA CRIOLLA - GLORIA A DIOS (AÑO 1999)
LA MISA CRIOLLA (MESSE CRÉOLE), LA MESSE CRÉOLE EST UNE ŒUVRE MUSICALE POUR SOLISTES, CHŒUR ET ORCHESTRE, DE NATURE RELIGIEUSE ET FOLKLORIQUE, CRÉÉE PAR LE MUSICIEN ARGENTIN ARIEL RAMÍREZ (1921-2010).
LA MISA CRIOLLA (MESSE CRÉOLE), LA MESSE CRÉOLE EST UNE ŒUVRE MUSICALE POUR SOLISTES, CHŒUR ET ORCHESTRE, DE NATURE RELIGIEUSE ET FOLKLORIQUE, CRÉÉE PAR LE MUSICIEN ARGENTIN ARIEL RAMÍREZ (1921-2010).
Mais en 1964, l’enregistrement de la Misa Criolla provoque un choc culturel. Dans le sillage du concile Vatican II, qui autorise à célébrer la messe dans la langue des fidèles, le compositeur Ariel Ramirez et le poète Felix Luna créent une messe inspirée de motifs du folklore. Ils l’enregistrent avec le groupe vocal Los Fronterizos, le percussionniste d’exception Domingo Cura et Jaime Torres, déjà reconnu comme le meilleur instrumentiste de charango dans le pays.
En quelques années, la Misa (couplée avec une célébration de la Nativité, Navidad Nuestra) est publiée dans le monde entier, et se vend à des millions d’exemplaires. Quel foyer catho français ne possédait pas le 33 tours édité par Philips ? Jaime Torres est réclamé un peu partout, il se produit avec des orchestres symphoniques, des chœurs prestigieux, belle revanche pour ce fils de Quechuas qui a toujours clamé haut et fort ses origines. En 2008, il se félicitait d’avoir fait découvrir au monde le charango, et précisait à Libération : «On le trouve désormais dans le monde entier, mais je voudrais que ceux qui le jouent, comme ceux qui l’écoutent, n’oublient pas qu’il provient d’un peuple qui s’est longtemps battu pour ne pas disparaître.»
Electro et jazz
Fruit de son engagement auprès de sa communauté, il crée en 1973, dans le spectaculaire canyon de Humahuaca (province de Jujuy, nord de l’Argentine), le centre culturel Tantanakuy («rencontre» en langue quechua), consacré à la conservation et à l’enseignement des arts traditionnels. Il disait aussi, en 2010 : «Les classes aisées tiennent à ce que leurs enfants apprennent l’anglais ou le français. Mais le fait que nous, indigènes, soyons bilingues, n’a aucune valeur à leurs yeux.»
Son attachement aux racines n’empêchait pas son ouverture artistique et son goût pour les métissages. D’abord avec Ariel Ramirez, dans une ambitieuse série d’albums de duos piano-charango. Il reprochera plus tard à son partenaire d’avoir mal partagé les bénéfices de leur collaboration. En 2007, il participe à Electroplano, croisement de folk argentin et d’électronique – dont il n’était guère satisfait – puis, avec son compatriote percussionniste Minino Garay et le flûtiste Magic Malik, une étonnante incursion dans les territoires du jazz et de l’improvisation : Altiplano, chez Accords Croisés. «Peu importe l’étiquette, expliquait-il. Ce que transmet le musicien, c’est une couleur qui lui est propre, un paysage qui lui sort du cœur. Quand je joue, je pense à mon père qui a fabriqué mes charangos, je revois ma mère et mes grands-parents qui dansaient.»
Pachamama
En homme sage et modeste, il revenait toujours à sa relation avec la terre, et philosophait, il y plus de dix ans : «Nous célébrons chaque mois d’août la fête de la Pachamama, la terre-mère nourricière. Nous vénérons aussi le Soleil et la Lune. Quand je vois la mobilisation contre le réchauffement climatique, je pense que nous, peuples quechuas, avons des années d’avance.»
François-Xavier Gomez