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vendredi 7 décembre 2018

L'ÉDUCATION DÉCHIFFRÉE: AU CHILI, EN FINLANDE ET EN FRANCE

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ILLUSTRATION NINI LA CAILLE
07 décembre 2018 
Question 5 – Frais de scolarité: une année à l’université coûte-t-elle plus chère au Chili, en Finlande ou en France?
Eric Charbonnier
Le financement de l’enseignement supérieur est un enjeu majeur en France, comme dans la plupart des pays de l’OCDE. Dans le contexte actuel, les effets de la crise économique rendent compliqué tout surplus d’investissement public, alors même que certaines universités ont déjà leur budget « dans le rouge ». C’est pourquoi les questions touchant aux frais de scolarité et aides aux étudiants sont au cœur des discussions et préoccupations de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) ou encore de la Conférence des Grandes Écoles (CGE).

Au niveau international, quasiment deux tiers des pays de l’OCDE ont fait évoluer leur système de frais de scolarité dans les 20 dernières années. La plupart de ces réformes ont donné lieu à un accroissement des frais de scolarité et sont allées de pair avec une révision du niveau d’aides publiques aux étudiants. Pourtant, de grandes différences subsistent encore entre les pays. La question du jour préparée par Giovanni SEMERARO, statisticien à l’OCDE, aborde ce sujet et compare les frais de scolarité et les différents systèmes d’aides publiques aux étudiants en 1er cycle universitaire.


LE PROFESSEUR RÉINVENTÉ
ILLUSTRATION NINI LA CAILLE
Question 5 : Est-ce qu’une année de premier cycle universitaire (de niveau Licence) coûte plus chère au Chili, en Finlande ou en France ?

Réponse : Les gouvernements des pays de l’OCDE adoptent des stratégies bien différentes quand il s’agit de financer l’enseignement supérieur. Si l’on schématise, 4 grand modèles de financement coexistent dans le monde aujourd’hui (voir graphique):

Le modèle des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède). Du point de vue de l’étudiant, c’est le modèle idéal puisque l’université est gratuite et plus de la moitié des étudiants bénéficient de bourses et/ou de prêts d’études. Les candidats pour entrer à l’université se bousculent mais les filières sont beaucoup plus sélectives qu’en France. Le revers de la médaille est que les taux d’imposition sur les salaires sont très élevés dans tous ces pays, ce qui permet à l’État de récupérer une partie de son investissement mais fait perdre de la valeur aux diplômes universitaires. La gratuité des études est remise en cause dans certains des pays nordiques. Ainsi, la Suède et le Danemark ont instauré au cours des dernières années des frais de scolarité pour les étudiants hors Union européenne, et la Finlande en fera bientôt de même. Ces changements pourraient dissuader les étudiants en mobilité internationale de se rendre dans ces pays dans le futur. C’est intéressant, le même débat a lieu en ce moment en France. Nous aurons l’occasion d’aborder plus en détails cette question la semaine prochaine.

Le modèle des pays anglo-saxons (Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni) est celui où les frais de scolarité qui sont pratiqués sont les plus élevés : ils sont supérieurs à 4 000 dollars (environ 3 500 euros) dans tous ces pays, les frais de scolarité atteignent même en moyenne 12 000 dollars (environ 10 500 euros) pour une année de licence au Royaume-Uni. Cependant, un étudiant qui débute une formation universitaire dépensera beaucoup, mais il bénéficiera également de nombreuses aides publiques. Encore plus intéressant, quand il s’agira de prêts d’études, l’étudiant ne les remboursera que lorsqu’il aura atteint un certain niveau de rémunération sur le marché du travail. C’est une forme de protection pour lui, il ne rembourse son prêt que s’il a un métier à la hauteur de son investissement. C’est aussi un risque pour le gouvernement. En Angleterre, on considère aujourd’hui que jusqu’à 45 % des emprunts ne seront pas remboursés. C’est un chiffre inquiétant qui sous-entend, que soit la qualité des programmes est insuffisante, soit le prix fixé par les universités est beaucoup trop élevé par rapport aux débouchés escomptés, soit les deux !

Le modèle asiatique (Corée et Japon), où l’on retrouve également le Chili. C’est le modèle le moins avantageux du point de vue de l’étudiant et le plus inégalitaire. Les frais de scolarité sont très élevés et les étudiants sont peu aidés durant leurs études (aussi bien sous forme de bourses que de prêts d’études). La pression sur les parents est donc très forte et les ressources des universités proviennent essentiellement d’argent privé. Cela pose un véritable problème d’équité. Récemment, le Japon et la Corée ont revu à la hausse le niveau des aides publiques auxquelles les étudiants peuvent prétendre. Au Chili, de nombreux étudiants sont descendus dans les rues, jugeant que le système actuel était injuste et se plaignant de ne pas avoir les moyens de s’acquitter de leurs frais de scolarité. Au Chili, les étudiants en licence universitaire vont payer en moyenne par an plus de 7 300 USD (6 500 euros). C’est énorme quand on sait que le salaire moyen de la population est d’environ 700 euros.

Le quatrième modèle est celui de beaucoup de pays européens tels que la France mais encore l’Autriche, la Belgique, l’Espagne ou l’Italie. C’est un peu le système du « Ni-Ni ». Ce sont des pays où les frais de scolarité pour une licence universitaire sont peu élevés (170 euros par an en France) mais aussi où les systèmes d’aides publiques sont peu développés. Dans ce groupe de pays, le financement de l’enseignement supérieur est en grande partie à la charge des pouvoirs publics. Des réformes ont été mises en œuvre depuis 1995 dans certains d’entre eux – surtout en Autriche et en Italie – pour augmenter les frais de scolarité facturés par les établissements publics, mais ils restent modérés en comparaison de ceux pratiqués dans les pays relevant du troisième modèle.

Pour revenir à la question, une année universitaire coûte donc plus cher au Chili qu’en Finlande ou qu’en France. D’un côté, les diplômés à niveaux licence ou master jouissent d’excellents salaires sur le marché du travail au Chili car la demande est forte et les élus peu nombreux. Mais, d’un autre côté, l’accès à l’université est bien souvent réservé aux enfants des milieux les plus favorisés. À contrario, les enfants des classes moyennes sont, quant à eux, surreprésentés au niveau BAC+2, un niveau où les frais de scolarité sont plus modérés (3 200 USD ou 2800 euros par an) mais où le bénéfice du diplôme est également moindre une fois en emploi.

Dans ce contexte international, l’université française manque encore de moyens, aussi bien comparée aux autres formations du supérieur en France que par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. De plus, son financement est essentiellement constitué par des fonds publics car les entreprises et les ménages y contribuent peu. Afin de faire face aux besoins accrus de financement, il pourrait être envisager d’augmenter la participation des entreprises dans le financement et de moduler les frais de scolarité au regard des débouchés d’emploi offerts par les formations, comme cela existe dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Le sujet est sensible, mais ne pas l’ouvrir par une concertation impliquant tous les acteurs de l’éduction serait dommageable. Cela pourrait même dans le futur impacter la qualité des enseignements dispensés, tant le nombre d’étudiants augmente année après année en France.
Lundi, nous parlerons d’ailleurs qualité, en se demandant si notre système éducatif permet de développer les connaissances et compétences indispensables pour le monde du 21ème siècle.
Frais de scolarité pour une licence universitaire (ou niveau équivalent) et pourcentage d’étudiants bénéficiant d’aides publiques (sous forme de bourses ou prêts d’études),  année scolaire 2015/16
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