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lundi 17 décembre 2018

FRAIS DE SCOLARITÉ : DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS TÉMOIGNENT

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À L'UNIVERSITÉ DE PICARDIE-JULES-VERNE
 À AMIENS LE 19 NOVEMBRE 2018.
PHOTO FRANÇOIS LO PRESTI
TÉMOIGNAGES

CHILI Cristóbal, 27 ans, relations internationales
«Je suis chilien et je comptais poursuivre un master en relations internationales ou européennes en 2019 en France. J’avais déjà commencé à repérer des universités qui m’intéressent : à Marseille, Strasbourg, ou encore Lyon. Je suis censé m’inscrire sur Campus France pour lancer la procédure d’inscription à l’université en France, mais cette annonce d’augmentation considérable des frais d’inscription bouleverse mes plans. 
J’ai passé trois ans à faire des économies pour pouvoir m’installer en France (payer le loyer, etc.) durant les deux années de master. Je comptais de toute façon continuer à travailler à côté de mes études, mais ces nouveaux frais de scolarité sont trop importants, surtout que je suis déjà endetté à hauteur de 10 000 euros à cause de ma licence obtenue au Chili, où les frais sont là aussi énormes. J’avais choisi la France pour plusieurs raisons : pour la langue, pour la très bonne formation en sciences sociales et politiques. Et, bien sûr, pour les frais de scolarité qui étaient tout à fait accessibles, contrairement au Chili où le système éducatif est privatisé et n’est accessible qu’à une minorité. Dans mon pays, l’éducation est très chère. Pour ceux qui n’ont pas la chance d’obtenir une bourse sur des critères sociaux ou académiques, la seule option est de s’endetter durant plusieurs années, une fois diplômé.


« Je suis très déçu par la France qui se rapproche maintenant du modèle anglo-saxon néolibéral en faisant de l’éducation un marché pour attirer les étudiants les plus riches, alors que son modèle était fondé sur une éducation universelle. Je comptais, après mon master, avoir un doctorat dans un autre pays d’Europe avant de revenir travailler au Chili. Si je n’obtiens pas de bourse, je serai obligé de renoncer à mon projet. »

TUNISIE

Yasmine, 21 ans, IEP de lyon

«Je me suis installée en France juste après le bac. Les démarches sont longues et coûteuses, la paperasse administrative est interminable et on se sent souvent seul et perdu, mais je ne regrette pas mon choix. La décision d’augmenter les frais d’inscription m’inquiète beaucoup. Au début, j’ai cru que les étudiants qui avaient déjà entamé leur cursus depuis plusieurs années en France ne seraient pas concernés mais en fait si, car je passe de la licence au master, ce qui est considéré comme un changement de cycle. Il n’y a pas d’équivalent de ma formation en Tunisie et je n’ai pas envie de m’arrêter à la licence. Je compte avoir au moins un master pour pouvoir travailler dans des ONG sur des projets en lien avec la Tunisie. La monnaie de mon pays ne cesse d’être dévaluée. Ici, la vie est chère (le loyer, les frais de transport). Les 3 770 euros pour une inscription en master valent à peu près 13 000 dinars tunisiens, plus qu’un salaire annuel moyen en Tunisie, et aucun job étudiant en France ne permet de gagner une telle somme. Les étudiants africains et maghrébins représentent la majorité des étudiants étrangers en France. Nous venons de pays pauvres et les plus fortunés d’entre nous préfèrent les grandes écoles françaises - plus coûteuses - aux universités. Et nous n’avons pas le droit aux bourses d’études et ne sommes pas prioritaires pour accéder aux logements du Crous. D’un autre côté, nous participons à l’économie française, nous payons des taxes. Cette réforme est donc profondément injuste car elle s’attaque aux plus faibles et aux plus précaires. Comme étudiants, nous avons des conditions de vie difficiles ; comme étrangers, nous n’avons pas la légitimité et les moyens nécessaires pour nous défendre. Je rappelle à Edouard Philippe la devise de la France : Liberté, Egalité, Fraternité.»

TURQUIE

Ege, 25 ans, Nanterre

«L’annonce de cette mesure me hante. Je suis arrivé en France à l’âge de 18 ans pour faire des études de théâtre. J’y réside depuis maintenant sept ans. Pas pour la quasi-gratuité des études. Mais parce que j’étais francophone et que j’ai fait un lycée français à Istanbul. Je suis venu en France car c’était pour moi un pays où chacun pouvait trouver sa place, un pays qui avait une grande culture d’accueil envers les étudiants étrangers, et qui mettait l’accent sur le mot «univers» dans «université». La France, pour nous, est un choix. Et ce n’est pas un choix facile. Il y a déjà les problèmes initiaux d’expatriation, chercher un appartement sans garant français, en trouver un mais se faire refouler car on n’a pas encore de compte bancaire en France, ne pas pouvoir ouvrir de compte car on n’a pas encore d’adresse… Tout cela en essayant de gérer au mieux son dossier à la préfecture pour pouvoir obtenir un titre de séjour, et j’en passe. Si dans tout ce capharnaüm nous arrivons à nous concentrer sur nos études la première année, nous devons faire le double d’efforts : surtout dans les études de lettres et de sciences sociales, nous ne partageons pas le même bagage intellectuel.

«A la fin de l’année, je ne vais pas continuer en doctorat car après l’annonce de cette mesure, je n’ai plus la force. Je ne veux pas laisser une thèse dans une bibliothèque universitaire d’un pays qui ne veut clairement plus de moi.

«Etre étudiant étranger dans ce pays est une lutte permanente. C’est faire un sourire triste en récupérant le passeport européen de son chat chez le vétérinaire alors qu’on se bat pour un renouvellement de carte de séjour depuis quatre mois. C’est faire des efforts sans cesse et ne jamais être reconnu. La France préfère désormais un étudiant qui peut apporter de l’argent à un étudiant qui peut apporter du savoir-faire, de l’intelligence.»

COLOMBIE

Diana, 22 ans, audiovisuel, paris-IV

«Je suis colombienne et j’étudie à Paris-IV les lettres modernes et l’audiovisuel. Je suis arrivée en France il y a trois ans pour réaliser mon rêve d’étudier la littérature à la Sorbonne. Pour pouvoir payer mon loyer de 500 euros et subvenir à mes besoins, j’ai enchaîné les petits boulots à côté avant de commencer à travailler près de vingt heures par semaine dans un centre d’appels. Ce n’était pas facile, mais faisable grâce au coût faible de l’enseignement : j’ai payé 243 euros pour m’inscrire en master 1.

«Demander aujourd’hui à un étudiant de payer 10 fois le prix qu’il payait alors qu’on gagne le smic pour vingt heures par semaine et que les loyers sont très chers à Paris n’a pas de sens. Je ne sais toujours pas comment je peux me débrouiller pour financer mon master 2 en audiovisuel - écritures scénaristiques… Surtout qu’en Colombie, on doit faire cinq ans d’études pour que notre diplôme soit reconnu.

«Mon plan n’était pas de rester en France mais simplement d’y achever mes études. Comment ce pays peut continuer à parler d’égalité et de fraternité après ça ? Chez moi, l’éducation est malheureusement devenue un business, au point que des Colombiens doivent s’endetter parfois à vie pour pouvoir payer leurs études. Jusqu’à présent, on prenait comme exemple la France, qui rendait les études accessibles à tous. Avec l’annonce d’Edouard Philippe sur le boom des frais d’inscription, il semble que l’éducation entre dans une logique commerciale de privatisation… Le Premier ministre parle d’accueillir les étrangers, d’ouvrir les portes aux étudiants pour qu’ils soient attirés davantage par la qualité des études que par leur «gratuité» ? Derrière ce beau discours, la mesure reste profondément injuste et discriminatoire.

CANADA

Simon, 26 ans, Paris-VIII

«Lorsque j’ai appris la hausse, j’étais sidéré, je me suis dit : «Pas la France aussi…» Je suis québécois, j’ai connu les luttes étudiantes des printemps 2012 et 2015 au Québec. A l’époque, on citait la France comme une destination où l’on pouvait étudier avec des frais quasi inexistants. Je suis issu d’une famille de la «classe moyenne faible» et en aucun cas je n’aurais pu venir en France si la hausse des coûts de la scolarité avait été mise en place à l’automne 2017. La quasi-gratuité des universités était un argument indéniable pour que je vienne ici. Au Canada, je me suis endetté lors de mes quatre années de premier cycle. Des frais conséquents sont demandés depuis les années 80 [environ 2 800 euros par an à l’université du Québec à Montréal - Uqam, ndlr]. En France, le gouvernement assure qu’en contrepartie, des bourses seront offertes pour les revenus les plus faibles. Mais, comme au Québec, je ne suis pas assez précaire pour en bénéficier. A l’instar du Canada ou des Etats-Unis, la France a décidé d’assumer clairement une tangente vers la libéralisation de l’Enseignement supérieur. Ce chemin, et ce fut prouvé dans plusieurs rapports au Québec, ferme la porte à des milliers de jeunes et pousse à l’endettement.

«Venir en France, en tant qu’étudiant et écrivain, est un rêve, un rêve d’un francophone qui a grandi avec des auteurs français, des intellectuels qui ont forgé mon parcours et motivé mon choix de Paris comme ville littéraire par excellence. Mon plan B est de continuer en doctorat [Simon est en M2 de création littéraire] en cotutelle entre l’Uqam et Paris-VIII. Dans ce cas, je paierai les frais de scolarité de l’Uqam, moins chers. Je vais devoir faire des allers-retours onéreux : pas l’idéal. Mes autres plans sont aussi chamboulés. Je voulais poursuivre une école de scénarisation en jeux vidéo à Angoulême. C’est désormais impossible.»

CONGO-BRAZZAVILLE

Albien, 32 ans, sorbonne

Nous avons décidé de publier le texte d’Albien tel qu’il nous a été envoyé. Albien nous a indiqué qu’il souhaiterait poursuivre ses études de littérature en thèse mais qu’ayant déjà dû payer ses frais de scolarité en trois fois cette année, il ne savait pas comment payer quatre années de thèse à plusieurs milliers d’euros par an.

«Je suis étranger, je suis français

Etranger parce que je viens de ce qu’on appelle l’ailleurs

Parce que mes ancêtres ont vécu et sont morts là-bas, loin d’ici.

Etranger parce que j’apporte une nouvelle culture

Qui vient créer une diversité

Et une langue qui vient créer un multilinguisme.

Je viens de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de la Corse et de la Bretagne.

Je viens de loin, de là où on n’a pas l’accent parisien.

Je viens des territoires lointains, en dehors des limites de Paris.

Mes ancêtres ont accepté de mourir sur leurs propres terres plutôt que d’immigrer ailleurs.

Voilà pourquoi je suis étranger, et on me voit différent.

Mais je suis français parce que je vais à l’école de la République.

Je suis français parce que je respecte la loi, les valeurs, et les statuts juridiques.

Je suis français parce que je travaille et je contribue au développement en payant mes impôts et mes taxes.

Je suis français parce que la France ne voit ni couleur, ni ethnie, ni origine.

Je fais partie de la France parce que sa langue fait partie de mon identité et de ma vie.»
Aurélie Delmas , Dounia Hadni , Marlène Thomas