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jeudi 6 juin 2019

POURQUOI POUTINE N’A-T-IL PAS ÉTÉ INVITÉ AUX CÉRÉMONIES DU D-DAY?



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75ÈME ANNIVERSAIRE DU DÉBARQUEMENT EN NORMANDIE
DÉCRYPTAGE - 
Le président russe est le grand absent des commémorations du Débarquement en Normandie du 6 juin 1944, ces 5 et 6 juin en Angleterre et en France. 
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Par Bénédicte Lutaud
6Temps de Lecture 4 min 30 s
PHOTO IAN LANGSDON
Comment expliquer une telle absence, alors que l’Union soviétique a joué un rôle majeur dans la victoire des Alliés? Cette non invitation intrigue d’autant plus que Vladimir Poutine était présent en France, lors du 70ème anniversaire du Débarquement, en 2014. «C’est un choix qui a été fait. Il y a eu beaucoup d’occasions et de grandes et belles cérémonies, comme le 11-Novembre», éludait-on, il y a quelques jours, à l’Élysée. Autre raison invoquée: la cérémonie internationale de clôture, ce 6 juin 2019, sera présidée par le Premier ministre Édouard Philippe, et non par le Président Emmanuel Macron... Enfin, on fait valoir qu’il s’agit d’une année en «9» et non d’une année en «4». Le président russe serait donc uniquement invité pour les anniversaires en dizaines...

Au-delà du langage diplomatique polissé, comment interpréter cette mise à l’écart du président russe?

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Xi JinPing reçu par Poutine en Russie


«C’est incompréhensible», s’agace Jean de Gliniasty, ex-ambassadeur de France en Russie (2009 - 2013) et spécialiste des questions russes à l’Institut des relations internationales et stratégiques, interrogé par Le Figaro. Le diplomate note toutefois qu’au même moment, Vladimir Poutine recevra le président chinois Xi JinPing, en visite officielle en Russie du 5 au 7 juin. Surtout, Xi JinPing est l’invité d’honneur du Forum économique de Saint-Pétersbourg qui a lieu du 6 au 8 juin, sur fond de guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

Tout un symbole, commente Jean de Gliniasty: «Au lieu d’aller à l’ouest célébrer la victoire sur le nazisme, Poutine va s’occuper des Chinois à Moscou puis à Saint-Pétersbourg». Le choix de Vladimir Poutine de se tourner vers la Chine et l’Est, en boudant l’Europe et les démocraties occidentales serait-il à l’origine de cette exclusion d’un événement, de fait, ostensiblement centré sur la France, l’Angleterre et les États-Unis?

«Déstabilisation des équilibres mondiaux»


L’historien spécialiste de la Seconde guerre mondiale Denis Peschanski va lui aussi dans ce sens. Pour lui, «Poutine n’a pas été invité pour des raisons politiques: compte tenu de son offensive de déstabilisation des démocraties européennes et américaines, en jouant sur les élections et sur la déstabilisation des équilibres mondiaux.»

«On a privilégié trois moments: une journée anglaise le 5 juin, et le 6 juin une journée mixte française, avec la cérémonie au cimetière américain de Colleville-sur-Mer, le déjeuner entre Macron et Trump à Caen, puis en mettant l’accent sur le massacre de la prison de Caen et les commandos Kieffer», observe Denis Peschanski. De cette manière, analyse l’historien, «l’objectif du Président est d’insister sur cette filiation héroïque française. Par ailleurs, il s’agit de mettre en scène une “bilatérale” du Président de la première puissance mondiale, avec le Président de l’Europe».

Reste que ce choix délibéré suscite l’incompréhension des diplomates et des historiens. Et l’ire de Moscou: «L’apport des Alliés dans la victoire sur le Troisième Reich est clair. Mais il ne faut pas l’exagérer et minorer par la même la signification des efforts titanesques de l’Union soviétique, sans laquelle cette victoire n’existerait tout simplement pas», a ainsi déclaré à la presse, ce mercredi, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.

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«Réécriture de l’histoire»


Et Maria Zakharova de dénoncer une «réécriture catastrophique de l’Histoire» donnant selon elle, notamment dans les films et les articles de presse, aux États-Unis et à leurs alliés un rôle prédominant dans la défaite allemande. Selon elle, «le Débarquement en Normandie n’a pas eu d’influence décisive sur l’issue de la Seconde guerre mondiale (...) déjà déterminée par la victoire de l’Armée rouge, avant tout à Stalingrad, Koursk».

«L’absence d’invitation est un signe fort qui va à l’encontre de la réalité historique, abonde Denis Peschanski. C’est une humiliation pour les peuples russes et anciennement soviétique, compte tenu de l’ampleur des souffrances et de la force de la contribution des troupes soviétiques en juin 1944, sur le front de l’Est, avec une offensive commençant en Bioélorussie quelques jours après le Débarquement, bloquant massivement les troupes allemandes, qui ne pourront plus se dégager sur l’ouest.»

Une offensive soviétique décisive


Le pacte Ribbentrop-Molotov de 1939, officiellement «Traité de non-agression germano-soviétique», avait pris fin brutalement en 1941 lorsqu’Hitler décida d’envahir l’Union soviétique, déclenchant des combats brutaux et le siège de villes russes jusqu’à ce que Staline puisse passer à la contre-attaque. Ces offensives soviétiques ont entamé la puissance militaire allemande, tout en maintenant sur ce front des millions de soldats nazis, éloignés, donc, du front ouest le Jour J.

Les autorités russes dénoncent depuis de nombreuses années l’oubli dans lequel sont tombés selon eux en Occident les 27 millions de morts des Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon un sondage cité par l’AFP, mené après la fin des combats en mai 1945, 57% des Français pensaient que Moscou avait été le premier contributeur à l’effort de guerre. Près de six décennies plus tard, en 2004, alors que Poutine représentait pour la première fois son pays lors des commémorations du «D Day», 20% des Français seulement plaçaient encore l’Union soviétique au premier plan. Pour 58%, tout le mérite revenait aux États-Unis, qui perdirent 400.000 hommes dans les combats en Europe et dans le Pacifique.

Le 9 mai en Russie boudé par l’Occident


En Russie, la « Grande Guerre Patriotique », nom donné en Russie au conflit armé entre l’URSS et l’Allemagne nazie, reste la source d’une immense fierté dans le pays. Symbole des tensions entre Russes et Occidentaux, la plupart des Européens avaient boudé en 2015 la parade militaire du 9 mai pour les 70 ans de la victoire sur l’Allemagne nazie, sur fond de tensions avec le conflit en Ukraine.


Un an auparavant, pourtant, Poutine était donc présent en France au 70e anniversaire du Débarquement. Sa présence avait été l’occasion d’une rencontre inédite, surnommée « Format Normandie » en langage diplomatique, entre Vladimir Poutine, François Hollande, Angela Merkel et Petro Porochenko pour tenter de trouver une solution au conflit ukrainien. « Ce fut un grand succès pour la diplomatie française », souligne Jean de Gliniasty. Cinq ans plus tard, les équilibres géopolitiques ont bien changé.