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vendredi 12 juillet 2019

MICHEL NASH, LE CONSCRIT QUI S’EST REBELLÉ SOUS LA DICTATURE


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MICHEL NASH, LE CONSCRIT
 QUI S’EST REBELLÉ

ARCHIVES PHOTO FAMILLE NASH-SAEZ 
Michel Nash, mon frère. C’est le nom de l’exposition qui, jusqu’au 26 juillet sera présentée dans la municipalité populaire de Recoleta à Santiago du Chili. L’exposition comprend diverses images qui rendent compte de la vie du militant communiste qui, étant conscrit, s’est opposé à la violence exercée par les militaires.
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Le regard figé. Décoiffé et avec un léger sourire contenu. C’est ce à quoi ressemble Michel Nash dans l’une des images de l’exposition récemment inaugurée par la municipalité de Recoleta en son honneur, au premier étage de la municipalité, né d’une collaboration entre la famille Nash-Sáez, l’Association des photographes indépendants de Santiago (AFI) et le Recoleta Memorial Collective.

L’exposition a eu lieu dans le cadre de la commémoration du 65e anniversaire du jeune militant communiste, qui, au moment du coup d’État, était un conscrit. Dans ce contexte, Nash aurait refusé de tirer sur ses camarades militants, alors il a été emmené au camp de prisonniers de Pisagua. Il avait alors 19 ans.

Paula Moraga, directrice de la Corporation culturelle de Recoleta, a indiqué que l’exposition répond à la nécessité de générer une ligne de travail concernant le sauvetage de la mémoire : "Pour nous, sa silhouette est fondamentale, attachante. D’abord parce que Michel Nash était un jeune homme de cette commune et, jusqu’à aujourd’hui, son exemple nous montre une voie à suivre : celle de la vérité et de la justice pour s’être rebellé contre l’autorité malgré ses quelques années", a-t-il dit.

ARCHIVES FAMILLE NASH-SAEZ 

Les images de l’exposition ont été sélectionnées par les photographes d’AFI Marcela Araya et Marucela Ramírez. Tous deux se sont approchés des archives photographiques de la famille Nash-Saez pour découvrir la vie intime du jeune communiste : à travers cet exercice, ils ont rencontré une personne qui allait au-delà du mythe de sa mort.

De là, tous deux ont décidé de proposer, dans l’exposition, une ligne curatoriale basée sur la vie de Nash. "Nous voulions orienter l’exposition pour célébrer sa vie, le temps où nous pouvions l’avoir avec nous ", dit Marucela Ramírez. De plus, le photographe ajoute que l’exposition croise différents faits qui permettent de contextualiser la vie de Nash. "L’exposition raconte tous les événements politiques, tant au Chili que du côté arabe, car sa famille est d’origine syrienne. Il y a donc tous les jalons qui l’ont marqué, depuis sa naissance jusqu’en 1973.

ARCHIVES FAMILLE NASH-SAEZ 

Pour sa part, Marcela Araya a indiqué que les photographies ont du être restaurées pour être présentées. "Les archives photographiques étaient énormes parce que, contrairement à beaucoup de familles, elles avaient beaucoup de matériel, depuis son enfance jusqu’à son départ pour l’armée à l’âge de 18-19 ans. Nous avons donc commencé à sélectionner des photos, voir ce qui était le plus important et aussi essayer de faire une chronologie pour montrer les différentes étapes de sa vie. "Il y avait des photos dans différents états. Ensuite, nous avons fait la restauration, en enlevant un peu des taches qui étaient là. C’était un bon travail des Chinois, point par point, en arrangeant la photo pour qu’elle soit de la meilleure qualité possible", a-t-il dit.



Michel Nash est né en 1954 et a passé une grande partie de son adolescence dans le quartier Santos Dumont de Recoleta. Il a rejoint le Parti communiste à un très jeune âge, influencé par son père, qui était aussi un militant. A l’âge de 18 ans, il est appelé au service militaire dans le Régiment Granaderos N°2 d’Iquique. Au moment du coup d’État, il a refusé de participer aux raids dans la région. Il a immédiatement été transféré, avec d’autres détenus, à Pisagua. Par la suite, le 29 septembre 1973, il fut exécuté avec cinq autres prisonniers. Après des années de quête de justice, en 2016, l’ancien brigadier Alfonso Videla a été condamné à sept ans d’emprisonnement effectif pour sa mort. Cependant, son corps est toujours porté disparu.
Leila Nash, sa sœur, a conservé sa mémoire.



En ce qui concerne la décision courageuse de son frère, ce 11 septembre 1973 fatidique, Leila souligne que "pour nous, en tant que famille, c’est une triste joie parce que vous êtes fiers de savoir qu’il était incapable de tuer d’autres personnes, par un ordre qui n’était ni juste ni bon, c’était un ordre criminel."

Et la tristesse, dit-elle, "parce qu’avec sa décision, sa vie avait disparu, et ce que nous avons, c’est une famille désarticulée par ce fait. Puis il y a les deux émotions ensembles, la fierté de la cohérence de la vie de Michel, et une tristesse pour le prix qu’il a dû payer pour cela. La famille Nash Saez, dont le père est décédé et la mère malade, continue d’espérer que justice sera faite et que les peines prononcées seront proportionnelles aux crimes commis.



Cependant, les officiers, les anciens qui étaient à Pisagua, sont déjà morts...

- C’est le coût qu’il faut payer parce que la justice met beaucoup de temps à arriver. Puis les auteurs des crimes meurent ; les familles des victimes meurent aussi... Il y a encore de petites joies quand on voit que la justice avance. Mon père est mort en 2002 et n’a jamais pu vivre les accusations contre certains de ces criminels. Et Forestier, le meurtrier (commandant en chef de la 6e Division de l’armée) est mort ; Larraín (chef du camp de prisonniers de Pisagua), qui en était aussi responsable, est mort. Au moins Benavides, qui d’après les témoignages des prisonniers est celui qui a mis mon frère sur la liste pour "travail volontaire", est toujours vivant et nous attendons qu’il paye son crime.

Comment avez-vous vécu ces 40 ans ?

- Il n’a pas été facile de vivre ces 40 ans pour que la justice commence à peine à se faire sentir. J’ai rencontré des personnes très précieuses au cours de ce processus de recherche de la justice et j’ai vu comment mon frère s’est transcendé auprès des jeunes qui ont repris son nom et sa droiture comme exemple pour travailler pour une société meilleure et un pays meilleur.



LA PLAINTE

En 1998, la famille de Michel Nash a porté plainte pour homicide qualifié devant la Cour d’appel de Santiago contre Augusto Pinochet et d’autres hauts fonctionnaires, sous le patronage de l’avocat Adil Brkovic. C’est la même cause que Mario Carroza, ministre de la Juridiction, as entre ses mains aujourd’hui et qui est connu comme "Nash et autres".

"Selon les témoignages des personnes emprisonnées, le 29 septembre 1973, tôt le matin, peu avant 9 heures, le commandant du "camp des prisonniers de guerre", le lieutenant-colonel Ramón Larraín, ordonna aux quelque 600 prisonniers de quitter leurs cellules et de se former devant eux.

"A côté de lui se trouvaient le capitaine Sergio Benavides et les lieutenants Contador, Figueroa et Ampuero, d’après des témoignages fortuits d’anciens prisonniers de Pisagua. Ils sont arrivés et Larraín a demandé six volontaires pour peindre. Puis il a dit qu’ils avaient besoin de six autres volontaires pour installer les pieux. Cette fois-ci, les six n’étaient pas des volontaires, mais choisis par chaque officier, malgré le fait que dans les cas de Cañas et de Guzmán, ils ont exprimé leur désir de ne pas partir et d’autres ont proposé de les remplacer.

"Contador a choisi Cañas, qui venait de subir une intervention chirurgicale quelques jours avant d’être arrêté et qui marchait difficilement. Ampuero a choisi Guzmán qui est allé le chercher à l’intérieur de la cellule parce qu’il n’était pas sorti pour se former. Benavides a éliminé Michel Nash. Larraín lui-même a tué Lizardi. Figueroa a élu les deux anciens Marines Juan Calderón et Juan Jiménez. Ces deux derniers, des fonctionnaires du Département des enquêtes douanières, sont arrivés le 18 septembre de Valparaiso sur le navire marchand "Maipo" en tant que prisonniers de la marine marchande, ainsi que 300 autres prisonniers politiques de cette institution.

Selon les témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête menée par le Ministre en visite chez M. Sánchez Marré, à l’occasion de la découverte, le 2 juin 1990, d’une tombe dans la ville de Pisagua, il a été établi que les prisonniers n’ont jamais tenté de fuir, mais ont été contraints de courir pendant que des soldats leur tiraient dans le dos, avec une mitraillette 30 points placée dans une Jeep.

Le jeune soldat, faisait partie d’une fausse tentative d’évasion survenue à Pisagua, 29 septembre 1973, thèse qui, au cours de l’enquête qui conduit le ministre du fuero Mario Carroza, a été rejetée, puisque de nombreux témoignages graphiques que les six détenus, ont été choisis sous forme sélective. Cela a également été établi dans le rapport Rettig, puisque la Commission souligne qu’ils sont assistés par la conviction que Nash et les cinq autres exécutés "ont été victimes d’une violation grave de leurs droits humains, commise par des agents de l’Etat".

Avec Michel Nash, ont été assassinés :

• Juan Calderón Villalón, 25 ans, militant du Parti socialiste, est transféré à Pisagua à bord du navire Maipo.
• Marcelo Guzmán Fuentes, 34 ans, socialiste. Il s’est présenté volontairement au Régiment des télécommunications.
• Luis Alberto Lizardi Lizardi, 29 ans, militant du Parti socialiste, arrêté le 11 septembre.
• Nolberto Cañas Cañas Cañas, 48 ans, militant du Parti socialiste, travaillait au moment de son arrestation comme contrôleur du complexe de pêche du Nord.
• Juan Jiménez Vidal : 42 ans, douanier à Valparaíso et sans militantisme connu. Il s’est porté volontaire le 13 septembre 1973.
(Seuls les restes des trois premiers sont apparus dans la tombe clandestine de Pisagua).

Les six détenus ont été choisis comme "volontaires" pour effectuer un travail à l’extérieur de la prison. L’autorité militaire a en effet fait appel à des volontaires et bien que certains détenus se soient portés volontaires, tous les six ont été choisis de manière sélective. Ce fait est rappelé par l’ancien prisonnier politique, Angel Prieto, qui, avec trois de ses onze frères, a été détenu à Pisagua. "Quand ils ont demandé des volontaires, j’ai levé la main, mais ils ne m’ont pas considéré. Ceux qui ont été enlevés ont été intentionnellement sélectionnés, il est donc clair qu’ils allaient être tués", se souvient-il avec émotion.

La version officielle de la tentative d’évasion dit que les détenus ont fui, qu’on leur a ordonné de s’arrêter et que puisqu’ils n’ont pas obéi, ils auraient dû être fusillés. La version a été rejetée par la Commission Rettig et selon la même ligne, le juge Mario Carroza a jugé 6 soldats.

Écrit par Anyelina Rojas V. et Abril Becerra

Radio U Chile / edicion cero / traduction : ZIN TV