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DAFNE VALDES, SIBILA SOTOMAYOR, LEA CACERES ET PAULA COMETA
DU COLLEFTIF LASTESIS, À VALPARAISO LE 11 DÉCEMBRE 2019.
PHOTO / REUTERS / RODRIGO GARRIDO
Le groupe féministe Las Tesis a mobilisé les foules dans les rues des grandes villes, au Chili comme ailleurs dans le monde, en recourant à une mise en scène originale qui a permis à son message d’être largement diffusé.
«UN VIOLEUR SUR TON CHEMIN»
PHOTO MARIO TÉLLEZ / LA TERCERA |
Et c’est donc au travers d’une performance dans une langue du quotidien, avec de la musique électro et des effets visuels forts (les yeux bandés d’un foulard noir) que les quatre femmes de LasTesis entendaient faire connaître certaines vérités méconnues du public sur les violences sexistes. Et notamment que, quel que soit le lieu, quelle que soit sa tenue, une femme victime d’une agression, d’un viol ou d’un féminicide n’est jamais coupable.
La performance s’est déroulée pour la première fois le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, à Santiago et à Valparaiso, point de départ des premières interventions du collectif.
Photos et vidéos de l’événement n’ont pas tardé à circuler sur les réseaux sociaux, reprenant ces phrases lancinantes : “Y la culpa no era mía, ni dónde estaba, ni cómo vestía. El violador eres tú.” (“La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues ni l’endroit. Le violeur, c’est toi.”)
Un écho mondial
Les quatre membres de LasTesis, Daffne Valdés Vargas, Sibila Sotomayor Van Rysseghem, Paula Cometa Stange et Lea Cáceres Díaz, ont donné pour titre à leur performance “Un violador en tu camino” [“Un violeur sur ton chemin”].
Depuis lors, leur intervention a connu de nombreuses reprises au Chili, puis partout dans le monde : à Paris, Londres, Barcelone, New York, Mexico, Istanbul, Madrid, Berlin, Bogotá, et dans bien d’autres villes.
Les quatre Chiliennes ont franchi les frontières mais ont aussi transcendé les lieux et les générations. Sur les réseaux sociaux, on peut ainsi voir des vidéos de collégiennes ou des groupes de voisines reproduisant la chorégraphie ; et, le 4 décembre, une grande mobilisation “LasTesis senior” était attendue, pour rassembler, cette fois, des femmes de plus 40 ans.
Comment expliquer ce large écho qu’a connu la performance de LasTesis en quelques jours à peine ? Selon Lorena Fries, la présidente de Corporación Humanas, la mobilisation d’un grand nombre de femmes autour de ce mouvement montre clairement “que, nous, les femmes, nous souffrons toutes, partout, de discrimination”.
Un tournant dans la prise de conscience
La violence liée au genre a de nombreuses façons de s’exprimer, poursuit-elle, toutes les femmes sont concernées :
C’est pour cette raison que nous nous identifions instantanément, aussi bien au mouvement #MeToo que, aujourd’hui, à Un violador en tu camino. Un effort d’inventaire des formes de violence a commencé dans les années 1990 – des violences dans la sphère privée, certes, mais touchant tous les autres pans de la vie, jusqu’à la violence exercée par l’État lui-même, en passant par les violations des droits humains dont sont victimes les femmes en particulier, ou dans la rue, au travail, avec les gestes déplacés d’un supérieur, etc.”
L’intervention du collectif LasTesis marque un tournant qui était en préparation depuis quelque temps déjà, comme l’a montré la dernière Journée internationale des femmes, le 8 mars dernier, commente Constanza Valdés, diplômée en droit, militante trans et féministe. “Une plus grande visibilité désormais donnée au sujet et le sérieux du débat féministe au sens large aident les femmes à prendre la parole pour défendre leurs droits.”
Le bandeau, symbole de l’injustice
Pour sa part, Hillary Hiner, chercheuse à la faculté d’histoire de l’université Diego Portales [à Santiago] et membre du Réseau des historiennes féministes, estime que le succès du collectif s’inscrit dans le droit fil des mouvements antérieurs, tels que le Mai féministe de 2018 [de grandes manifestations féministes s’étaient alors déployées dans les universités du pays pour protester contre le harcèlement sexuel au cœur des établissements].
“Le collectif LasTesis nous parle de la violence politique qui s’est exprimée durant les manifestations au Chili, analyse Hillary Hiner, c’est pourquoi nombre de performances se tiennent devant des commissariats et des tribunaux.” Ainsi les yeux bandés dans la mise en scène, rappelle la chercheuse, symbolisent-ils l’injustice dans tous les domaines.
La solidarité que des femmes du monde entier ont affichée avec le collectif, cela démontre la puissance de cette performance “qui dénonce l’impunité des agresseurs et qui, en réunissant toutes les femmes, permet une identification large”, relève Diana Aurenque, chercheuse en philosophie à l’Usach (université de Santiago du Chili).
Proche de ce Chili qui s’éveille
À l’échelle mondiale, le féminisme a le vent en poupe, et c’est aussi ce qui porte le phénomène LasTesis : les enjeux sont plus visibles et le public est plus réceptif, poursuit Diana Aurenque : “Il s’inscrit dans un mouvement social plus large, et il serait erroné de n’y voir qu’un combat féministe, car les féministes veulent faire partie de ce nouveau Chili qui s’éveille et y avoir une place. La fin des violences est un appel transversal.”
L’étincelle des débuts commence à se rationaliser sous la forme de petits groupes qui, maintenant, formalisent leurs revendications. “Certains n’y voient que pure colère et irrationalité sans comprendre qu’il y a une volonté profonde de mobilisation et de changement”, insiste la chercheuse de l’Usach, soulignant que le côté cathartique de la performance fait davantage que “vingt ans de politiques publiques”.
Un fardeau en moins
Car rares sont les plaintes pour violences sexuelles qui aboutissent en justice, rappelle Diana Aurenque. “L’État ne se mobilise pas sur ces sujets et, par conséquent, il y a quelque chose de thérapeutique dans le fait de se déplacer, de participer et de prononcer ces mots très forts. De nombreuses femmes ont osé prendre la parole sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences qu’elles ont elles-mêmes vécues, et qu’elles taisaient depuis vingt ou trente ans. S’ouvrir et se libérer d’un tel fardeau, c’est énorme.”
Pour la philosophe Diana Aurenque, la performance a aussi pour vertu de dénoncer la culpabilisation de la victime :
« Faire porter à la femme la responsabilité du viol qu’elle a subi est typique de la société chilienne. »
Il n’en reste pas moins que le succès de la performance auprès de tant de femmes de tous âges doit beaucoup à son inventivité, estime l’avocate Lorena Fries. “Quand nous étions jeunes, la conscience des inégalités était bien moins forte. Aujourd’hui, nous, femmes mûres, voulons soutenir ce mouvement, et le mouvement plus général en faveur d’un État solidaire et démocratique au Chili.”
Paulina Sepúlveda
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