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PHOTO SOPHIE BASSOULS |
Emprisonné sous Pinochet puis exilé, l’auteur avait gardé dans son œuvre l’empreinte indélébile de ses combats et de leurs inévitables désillusions. Atteint du Covid-19, il est mort à l’âge de 70 ans.
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Traduite dans une soixantaine de langues, cette histoire d’un homme veuf, grand connaisseur de la forêt amazonienne et de ses Indiens, se plongeant dans des romans pour échapper à la barbarie des hommes blancs, avait conquis des millions de lecteurs dans le monde, charmés par le talent de conteur du romancier et la fausse candeur de son écriture.
Mais loin d’être un peintre naïf, jouant habilement sur la corde des émotions, comme on avait pu le lui reprocher, Luis Sepulveda, mort le 16 avril, à Oviedo, en Espagne, à l’âge de 70 ans, était d’abord un militant de gauche à l’engagement chevillé au corps et à la plume. « Raconter, c’est résister », se plaisait-il à dire, en reprenant la devise de l’écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa. Selon la version qu’il donnait de sa vie, ce petit-fils d’un Andalou anarchiste, contraint de fuir l’Espagne pour s’exiler en Equateur puis au Chili (du côté paternel), et d’un chef indien Mapuche (par sa mère) s’était engagé dès 12 ans auprès des jeunesses communistes. Par la suite, son appartenance à la garde rapprochée du président Salvador Allende (1908-1973) lui avait valu, sous la dictature d’Augusto Pinochet (1915-2006), d’être condamné à vingt-huit ans de prison pour trahison et conspiration.
Engagé au Nicaragua aux côtés des sandinistes
Libéré en 1977 après deux ans et demi de détention, grâce à Amnesty International, moyennant un exil de huit ans en Suède, il avait choisi de se soustraire à sa peine en arpentant l’Amérique du Sud. Une aventure des plus fécondes. Un séjour auprès des Indiens Shuars, en 1978, destiné à étudier l’impact de la colonisation, lui avait ainsi donné la matière de son premier roman. Ses pérégrinations lui avaient également inspiré Le Neveu d’Amérique (1996), sans doute l’un de ses plus beaux livres, récit d’un long voyage, depuis l’Amérique jusqu’en Andalousie.
En 1979, ayant mis le cap sur le Nicaragua, il s’était investi dans la lutte armée aux côtés des sandinistes, dans la brigade Simon-Bolivar. Il en était revenu «déçu qu’une belle révolution ait fini en enfer à cause des infirmités de toujours : le dogmatisme, l’uniformisation et le manque de générosité créative», avant de s’expatrier en Allemagne. A Hambourg, il était devenu reporter et avait épousé une infirmière dont il avait eu trois enfants, avant de retrouver, des années plus tard, à Paris, sa première femme, une ancienne militante de gauche, comme lui.
Son œuvre, qu’il avait choisi d’écrire du côté des perdants, avait gardé l’empreinte indélébile de ses combats et de leurs inévitables désillusions. C’est d’abord par le biais du thriller qu’il en avait rendu compte, par un alter ego romanesque, Juan Belmonte, un ancien guérillero chilien des révolutions perdues de l’Amérique latine, dont il avait fait le héros du livre Un nom de torero (1994), puis, plus récemment, de La Fin de l’histoire (2017), où celui-ci, retiré des affaires, repartait régler ses comptes avec un ex-tortionnaire de la junte chilienne.
Une sensibilité profondément humaniste
PHOTO ETIENNE DE MALGLAIVE |
Très marqué par l’œuvre de son compatriote, le conteur et nouvelliste Francisco Coloane (1910-2002), comme par celle de Jules Verne, il tenait Ernest Hemingway pour son maître d’écriture en sobriété. Cette simplicité était la marque de ses livres, qu’il souhaitait accessibles au plus grand nombre et dans lesquels prévalait une sensibilité profondément humaniste. Elle s’exprimait tant dans ses romans écologistes – un autre de ses combats depuis ses années passées en Allemagne (Le Monde du bout du monde, 1993) – que dans ses contes pour enfants (dont Histoires d’un chien mapuche, 2016). L’auteur, dont plusieurs livres avaient été portés à l’écran, s’était lui-même essayé au cinéma avec Terre de feu (2000), coécrit avec Miguel Littin, et Nowhere (2002).
Après avoir renoncé à retourner s’installer au Chili, Luis Sepulveda avait fini par s’établir en 1996 à Gijón, ville des Asturies (nord de l’Espagne), dont il louait la « tradition de lutte politique instaurée par les mineurs et la fraternité qui y règne ». Une ville à son image.
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PHOTO LUIS SEVILLANO ARRIBAS |
Luis Sepulveda en quelques dates
4 octobre 1949 Naissance à Ovalle (Chili)
1992 « Le vieux qui lisait des romans d’amour »
2009 « L’ombre de ce que nous avons été »
2016 « Histoires d’un chien mapuche »
2020 Mort à Oviedo, en Espagne
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- SEPULVEDA CHRONIQUEUR POLITIQUE