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mercredi 11 novembre 2009

Marco Enríquez-Ominami, cauchemar de la coalition au pouvoir

Marco Enríquez-Ominami avait à peine trois mois lorsque, le 11 septembre 1973, les hélicoptères de Pinochet ont bombardé le palais présidentiel où s’était réfugié le président Salvador Allende. Quelques heures plus tard, sa mère, Manuela Gumucio, épouse de Miguel Enríquez, guérillero légendaire fondateur du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), était arrêtée. Le destin a voulu que le militaire qui la gardait ait eu pitié d’elle. Et c’est ainsi que la mère et l’enfant ont pu trouver refuge à l’ambassade du Venezuela [son père, passé à la clandestinité, a été abattu en octobre 1974].

“Nous sommes partis pour Paris, où nous sommes restés en exil pendant quatorze ans”, raconte Marco, trente-six ans plus tard. “Je n’avais alors qu’un passeport des Nations unies. On m’avait privé de ma nationalité, ce que je trouve vraiment absurde.” Aujourd’hui, Marco Enríquez-Ominami est devenu l’homme dont tout le monde parle au Chili. Candidat indépendant à l’élection présidentielle, il suscite les craintes de la Concertation [la coalition de centre gauche qui gouverne le pays depuis 1990]. “Ça n’a pas toujours été facile d’être le fils d’un héros”, explique-t-il. Mais, à Paris, Marco a trouvé un second père, le socialiste chilien Carlos Ominami. Exilé lui aussi, il est tombé amoureux de Manuela et a décidé d’adopter son fils. De retour au Chili des années plus tard, le jeune homme s’est rendu aux bureaux de l’état civil pour modifier son nom en réunissant les deux patronymes par un trait d’union : Enríquez-Ominami. “Le premier nom est celui de l’homme qui m’a donné la vie, et le second, celui de l’homme qui m’a sauvé”, répète-t-il à qui veut l’entendre. Carlos Ominami ne lui a pas seulement donné son nom, il lui a également permis de faire ses premières armes en politique en lui ouvrant les portes du Parti socialiste. Ex-militant du MIR, comme le père de Marco, Carlos Ominami a longtemps travaillé au cabinet de l’ancien président Patricio Aylwin. Il est aujourd’hui sénateur.

Lorsque Marco est rentré au pays, à l’âge de 17 ans, il a étudié la philosophie et tenté, en vain, de se faire élire à la direction de la Fédération des étudiants. Ce n’est que quelques années plus tard que sa vie publique a véritablement démarré, lorsqu’il s’est lancé dans la production de séries télévisées populaires comme La vida es una lotería [la vie est une loterie] et Mansacue. Ce n’est qu’en 2002 qu’il commence à manifester les premiers signes d’un anticonformisme politique, avec la diffusion d’un documentaire controversé intitulé Chili, les héros sont fatigués. Il s’agissait d’une critique acerbe à l’égard des représentants de la Concertation, qui, à son avis, avaient fini par oublier les idéaux du passé. Parmi eux, l’ancien président Ricardo Lagos et son propre père adoptif, Carlos Ominami. “Ils sont devenus esclaves de l’efficacité, sans en mesurer les conséquences. Ils sont tombés dans le piège. Pour défaire la droite, la gauche ne sait que mettre en avant son monopole moral et son passé de victime”, accuse Marco dans le documentaire, debout devant la tombe de son père à Santiago.

Il soutient avec force des causes marginales

Son aura médiatique a encore grandi quand il a épousé l’une des animatrices de télévision les plus en vue du Chili, Karen Doggenweiler. En 2006, il est directement entré en politique en se faisant élire député de la région de Valparaíso, le bastion historique de son père adoptif. La carrière du jeune député a vite fait parler de lui en raison de ses prises de position souvent controversées. Mais son passage à la Chambre a été plutôt efficace. Il a présenté des dizaines de projets de loi. Avec un style progressiste, très éloigné du conservatisme des socialistes locaux, il a apporté par exemple un soutien éner gique à des causes marginales comme les droits des minorités sexuelles. Il a également soutenu les re vendications de la Bolivie, qui de mande à son voisin chilien un accès à la mer, et a défendu la politique du président vénézuélien Hugo Chávez.

Puis, un jour de janvier 2009, dans le plus pur style Obama, Marco Enríquez-Ominami a soudainement an noncé sur Facebook sa candidature à l’élection présidentielle. La Concertation a refusé de l’inclure dans les primaires, qui ont finalement désigné l’ancien président Eduardo Frei comme candidat officiel. Il a donc décidé de rendre sa carte du Parti socialiste et de se présenter seul. Il devait encore réunir les 36 000 signatures exigées par la Constitution chilienne. A partir de ce moment-là, son ascension dans les médias a été fulgurante. Il a accepté toutes les invitations de la télévision ou de la radio, participé à une émission de téléréalité qui le suivait du matin au soir avec une caméra, fait la couverture de revues gays et de magazines pro-cannabis. Il s’est inscrit sur toutes sortes de forums pour faire circuler son programme. Et c’est ainsi qu’il est parvenu à dépasser largement le nombre de signatures requises. “Il n’est pas facile pour un candidat de 36 ans de prouver qu’il est présidentiable. Malgré sa popularité, il faudrait que Frei fasse une grosse bêtise pour permettre à Enríquez-Ominami de passer au second tour”, estime le politologue Patricio Navia. “A première vue, il est peu probable qu’il soit élu. Mais il semble tout aussi improbable qu’un autre candidat l’emporte sans son appui.”

Qui est-il vraiment ? Un homme né pour le combat politique ou un opportuniste issu de la jet-set chilienne ? Après le débat politique télévisé du 23 septembre, on serait tenté de choisir la première réponse. Tandis que le candidat de l’opposition, Sebastián Piñera [droite], et Eduardo Frei se lançaient d’indignes accusations, le candidat indépendant est apparu, selon les experts, comme le seul prétendant doté d’une vision d’avenir pour le pays. Son intervention a divisé la gauche et lui a permis de grimper dans les sondages. Selon une récente étude d’opinion, il ne lui manquerait que cinq points pour supplanter Frei et affronter Piñera au second tour. Il est désormais le cauchemar de la coalition de gauche au pouvoir.