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mercredi 12 novembre 2008

Le peuple mapuche du Chili sur le chemin de l'autodétermination?

Le conflit entre l'Etat du Chili et le peuple mapuche est-il en voie de résolution? Le 14 octobre dernier, le «Journal officiel» publiait une nouvelle attendue avec impatience depuis près de vingt ans: la ratification de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT), un texte fondamental puisqu'il accorde une reconnaissance institutionnelle et surtout un droit de regard étendu aux peuples autochtones sur leurs terres ancestrales. Un enjeu colossal au Chili, dont un septième du territoire national – 10 millions d'hectares – était encore en mains des Mapuches à la fin du XIXe siècle! L'Etat sud-américain s'est donné onze petits mois pour inventer les instruments politiques, juridiques et économiques rendant concret le concept d'«autodétermination» inscrit dans la Convention 169. Tenant sa promesse de campagne électorale, la présidente Michelle Bachelet a donc promulgué le texte de l'OIT sans lui adjoindre de «déclaration interprétative», comme le demandait au début de l'année une commission sénatoriale. «C'est un triomphe des mouvements sociaux, le point de départ de la défense et de la promotion des droits collectifs des peuples indigènes», s'est exclamé l'éditorialiste de Mapuexpress.net, une plate-forme web indigéniste.

Représentant international du Consejo de todas la Tierras (Conseil de toutes les terres, CTT), Aucan Huilcaman se montre plus circonspect: «Adjoindre une déclaration interprétative aurait signifié soumettre un traité international à la législation nationale, le scandale aurait été international!»
De passage au siège genevois des Nations Unies, M. Huilcaman a fait part au nouveau rapporteur spécial pour les droits des peuples autochtones, l'Etasunien James Anaya, de sa méfiance quant aux vraies intentions du gouvernement. En premier lieu, car le rapprochement de Santiago avec le droit international n'a pas freiné la répression à laquelle sont soumis les activistes mapuches au Chili. Ensuite, Aucan Huilcaman relève que plusieurs pays d'Amérique latine ont déjà ratifié la Convention 169, «mais à part la production de lois pour rien, on n'en a pas vu beaucoup d'effets».
Face à ce risque d'enlisement, le CTT appelle les Mapuches à définir et à imposer par eux-mêmes un concept d'autonomie et des structures d'«autogouvernement». Explications.

Avant même la ratification de la Convention 169, vous aviez annoncé que le peuple mapuche aurait ses propres institutions autonomes dès 2010. Qu'est-ce qui fonde ce combat?

Aucan Huilcaman: La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée le 13 septembre 2007 (avec la voix du représentant chilien, ndlr), reconnaît expressément, en ses articles 3 et 4, le droit à l'autodétermination. Ce texte donne des compétences et des droits collectifs sur la terre, le territoire, le contrôle des ressources naturelles. Il protège aussi contre la piraterie intellectuelle, biologique, etc. J'ai participé durant dix-neuf ans à ce processus onusien; jamais je n'aurais cru que ce droit à l'autogouvernement indigène allait être reconnu aussi clairement, sans conditions! Je ne suis pas sûr que les gouvernements et l'ONU en aient vraiment pris conscience. Selon la Déclaration, les peuples indigènes doivent être considérés à l'égal de tout gouvernement étatique: un jour nous voudrons aussi voter aux Nations Unies! La question n'est plus aujourd'hui de savoir si les gouvernements veulent nous concéder des compétences, mais quel type de gouvernement voulons-nous librement nous donner. Le droit à l'autonomie n'est pas négociable, l'Etat n'a plus qu'à le reconnaître. On peut en revanche négocier les institutions.

Mais la question de l'autodétermination préoccupe-t-elle vraiment les communautés mapuches? Leurs revendications sont généralement liées à des problèmes concrets d'accès à la terre.

La situation des Mapuches est unique dans ce qu'on appelle l'Amérique latine: c'est le seul peuple qui ait conservé son autonomie en signant un traité avec le colonisateur. A la formation de l'Etat chilien en 1810, l'essentiel du territoire mapuche demeurait indépendant. Le Chili ne l'a annexé par la force qu'en 1881. Cela fait seulement cent vingt-sept ans – du temps de nos grands-parents! – que nous avons perdu notre souveraineté territoriale et politique, alors que d'autres peuples l'ont perdue à peine arrivés les Espagnols. Cela explique pourquoi la question de l'autodétermination a toujours été présente; nous ne nous considérons pas comme Chiliens: ils sont nos voisins. Au mieux, nous vivons dos à dos, au pire nous nous confrontons durement, comme le montre l'usage de la loi antiterroriste héritée de la dictature pour réprimer nos revendications. L'Etat chilien n'est pas notre maison. Celle-ci est à construire, afin de pouvoir nous développer culturellement, économiquement et politiquement.

Qu'attendez-vous concrètement de l'autonomie?

D'abord, le contrôle souverain par notre système de gouvernement local des ressources naturelles se trouvant sur et sous notre territoire ancestral. Aujourd'hui, ces ressources ne profitent pas aux populations locales.


Bien qu'autonomes durant la colonisation, les Mapuches n'ont jamais eu d'Etat, de forme d'organisation politique commune. A quoi pourrait ressembler votre «autogouvernement»?

La discussion est ouverte. Nous devons trouver une institutionnalité répondant à la fois aux exigences modernes et traditionnelles. Bien sûr, la forme Etat n'existait pas en Amérique avant la colonisation. Mais il existait d'autres formes d'organisations politiques. Le nier est une approche purement colonialiste, c'est inacceptable.


Quel est votre chemin pour obtenir ces institutions?

Nous allons simplement les créer, comme nous y autorise le droit international. En juin, nous avons tenu notre première Conférence sur l'autodétermination, qui devra être effective en 2010, à l'occasion du bicentenaire de la création du Chili. Nous avons aussi ouvert une école chargée d'étudier et d'informer sur la future autonomie mapuche.


D'autres peuples autochtones du Chili, comme les Aymaras, au nord, pourraient-il être intéressés par l'autonomie?

En principe, il y ont droit. Mais dans la pratique, cela paraît difficile pour eux, au vu de leur dispersion territoriale et de leur faible nombre. Je ne pense pas que ce modèle soit généralisable.


De quel soutien jouit votre projet d'«autogouvernement» au sein de la population, mapuche ou non?

Notre conférence de juin a initié un processus de débat avec l'ensemble des organisations mapuches. Toutes ne se sont pas encore saisies de ce thème, beaucoup de Mapuches n'ont jamais entendu parler de la Déclaration des Nations Unies. C'est pourquoi, notre initiative est un processus progressif et ouvert. Vous savez: les Mapuches ont été très fortement colonisés. On peut voir beaucoup de gens à l'aspect mapuche, avec un nom mapuche, mais dont l'esprit ne l'est pas du tout. Il faudra du temps pour que l'on se réapproprie notre culture... Dans l'histoire, on n'a jamais vu une lutte nationale débuter avec la majorité de la population!

Au niveau du Chili, le débat n'a pas encore vraiment commencé. Mais les enquêtes d'opinion montrent un appui de la grande majorité des Chiliens à la cause mapuche en général.

Comment réagira, selon vous, l'Etat chilien à la déclaration d'autonomie mapuche en 2010?

Difficile de le prédire. Va-t-il adopter une attitude répressive? C'est bien possible. Dans la balance du pouvoir, les intérêts des transnationales ont toujours primé. Or, aujourd'hui, les ressources naturelles de notre territoire sont en mains de compagnies transnationales. L'eau, les forêts, la terre, le sous-sol, tout leur appartient. Des entreprises forestières possèdent davantage de terre que tous les Mapuches réunis, à l'instar de Mininco qui possède 500 000 hectares contre 400 000 aux 1,2 million de Mapuches! Cela dit, quelle que soit la réaction de l'Etat, l'autonomie dépend de notre volonté politique. Et de nos compétences à la concrétiser.

Quelle sera la place des Blancs vivant sur le territoire ancestral mapuche?

Ceux qui ne possèdent pas la terre n'ont rien à craindre, nous cohabiterons sans problème. En revanche, nous devrons régler la question foncière avec les autres. D'un point de vue institutionnel, personne n'a l'obligation de participer à l'autogouvernement. L'important, pour nous, est que face à l'Etat chilien il y ait un interlocuteur mapuche.


L'autodétermination est-elle synonyme, à terme, d'indépendance?

Tous les peuples ont droit à l'indépendance... Mais il faut aussi prendre en compte ce qui est possible. Aujourd'hui, nous visons un régime d'autonomie au sein d'un Etat fédéral.


Le Canada est-il un modèle?

En partie. Car si l'Etat du Canada garantit effectivement aux peuples autochtones l'accès aux ressources de leurs territoires, il garde pour lui le contrôle souverain de celles-ci...

«L'EVO MORALES CHILIEN»

Créé juste avant le retour de la démocratie, le Conseil de toutes les terres (Aukiñ Wallmapu Ngulam) est issu d'une scission mapuche du Parti socialiste chilien, ayant rompu avec la société nationale pour défendre une voie propre, indigène. Organisé sur le modèle traditionnel, le Conseil coordonne quelque 350 communautés rurales mapuches sur les 2000 que compterait le pays. Le droit à la terre et au territoire est au coeur des revendications de ces communautés de petits agriculteurs et éleveurs indigènes.

Aucan Huilcaman, bien qu'officiellement «chargé des relations internationales», est, de fait, le leader historique et charismatique de cette formation, dont les pratiques oscillent entre le radicalisme des origines – des occupations de terres qui l'ont convertie en cible principale de l'establishment – et l'invocation du droit international au sein de l'ONU.

Parfois présenté comme l'«Evo Morales chilien», Aucan Huilcaman a néanmoins échoué en 1993 à se faire élire au parlement. Aujourd'hui, le CTT a totalement abandonné la voie électorale pour défendre les intérêts des 600 000 Mapuches officiellement recensés au Chili sur une population globale de 16 millions. Le CTT parle lui de 1,2 million de Mapuches, dont les deux tiers demeureraient sur leur territoire traditionnel, situé au sud de Santiago, entre les rivières Bio-Bio et Tolten, le dernier tiers vivant dans la capitale.